Cour d’appel administrative de Douai, le 2 juillet 2025, n°24DA01435

Par un arrêt en date du 2 juillet 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions de refus de renouvellement d’un titre de séjour sollicité pour des raisons de santé. En l’espèce, une ressortissante étrangère, souffrant d’une pathologie sévère, s’est vu notifier par l’autorité préfectorale une décision de rejet de sa demande, assortie d’une obligation de quitter le territoire français. L’intéressée avait bénéficié par le passé d’un titre de séjour pour ce même motif.

Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de première instance avait rejeté la demande. La ressortissante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que la décision administrative méconnaissait les dispositions de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle faisait valoir qu’elle ne pourrait pas bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine, contestant ainsi l’analyse sur laquelle s’était fondée l’administration. Le préfet, pour sa part, concluait au rejet de la requête, estimant que les conditions légales pour la délivrance du titre n’étaient pas réunies, notamment au regard de l’offre de soins disponible dans le pays d’origine. La question de droit posée au juge d’appel était donc de savoir dans quelles conditions la preuve de l’absence d’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine peut être considérée comme rapportée par un ressortissant étranger, et quelle est la force probante des différents éléments versés au débat contradictoire.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative, en considérant que les éléments produits par la requérante ne suffisent pas à remettre en cause l’avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Elle estime que la disponibilité d’un traitement approprié dans le pays d’origine est établie au vu des informations précises soumises par l’administration, que les documents généraux ou non circonstanciés de la requérante ne parviennent pas à contredire utilement.

Cette décision illustre le contrôle approfondi opéré par le juge administratif sur la notion d’accès effectif aux soins (I), tout en consacrant une exigence probatoire particulièrement élevée pour le ressortissant étranger (II).

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I. Le contrôle rigoureux de l’effectivité de l’accès aux soins

La cour administrative d’appel confirme la méthode d’analyse de l’administration, qui repose sur l’avis médical émis par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (A) et se livre à une appréciation factuelle très détaillée de la disponibilité de chaque traitement (B).

A. La centralité de l’avis du collège de médecins

L’arrêt rappelle que la procédure de délivrance d’un titre de séjour pour soins est subordonnée à l’avis d’un collège de médecins. Bien que l’autorité administrative ne soit pas liée par cet avis, il constitue en pratique un élément déterminant de sa décision. En l’espèce, le juge écarte le moyen tiré d’un vice de procédure, alors même que le rapport médical initial était incomplet, estimant que cette circonstance « ne l’a pas privée d’une garantie et est restée sans influence sur le sens de la décision contestée ». Cette approche pragmatique montre que le juge se concentre sur l’essentiel : l’avis final a bien pu statuer sur les deux critères fondamentaux que sont la gravité des conséquences en cas de défaut de soins et la disponibilité du traitement dans le pays d’origine. La cour valide ainsi la démarche de l’administration qui s’approprie les conclusions de l’avis médical pour fonder sa décision, considérant que le préfet ne s’est pas estimé en situation de compétence liée.

B. Une analyse factuelle détaillée de la disponibilité des traitements

Le cœur du raisonnement du juge réside dans l’examen minutieux des traitements nécessaires à la pathologie de la requérante. Plutôt que de s’en tenir à des considérations générales, la cour procède à une vérification médicament par médicament. Elle distingue ceux qui sont disponibles, ceux pour lesquels une alternative thérapeutique existe, et ceux dont la prescription même n’est pas établie. Par exemple, le juge relève que pour un médicament non référencé en Géorgie, « une alternative thérapeutique est permise par un autre bisphosphonate appelé acide alendronique ». Cette analyse très concrète s’appuie sur des sources d’information spécialisées, telles que la base de données de l’agence pour l’asile de l’Union européenne. En validant cette méthode, l’arrêt consacre une approche quasi scientifique de la notion d’offre de soins, qui doit s’apprécier au regard de la disponibilité de molécules spécifiques ou de leurs substituts directs.

Cette approche rigoureuse conduit logiquement à faire peser une charge de la preuve très lourde sur le demandeur.

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II. La charge probatoire renforcée pesant sur le ressortissant étranger

La décision commentée met en lumière l’insuffisance des preuves de portée générale pour contester l’analyse de l’administration (A), ce qui redéfinit en pratique les contours de la notion d’accès effectif au traitement (B).

A. L’insuffisance des preuves générales et non circonstanciées

Face à l’analyse précise de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, la requérante produisait des courriers d’une agence de régulation de son pays et des documents généraux sur le système sanitaire local. La cour écarte ces éléments, les jugeant insuffisamment probants. Elle critique le fait que la requérante « se borne à soutenir que ces fiches ne sont pas rédigées en français » et « n’apporte aucune contestation utile de l’analyse qu’en a tiré l’Office ». Le juge attendait manifestement une contre-expertise documentée ou des éléments précis et personnalisés. La cour souligne ainsi que la requérante « n’apporte aucun élément à l’instance se rapportant notamment au niveau de vie qui serait le sien en Géorgie […] susceptible de démontrer qu’elle ne pourrait y accéder effectivement à un traitement approprié ». Par conséquent, la simple allégation de la non-disponibilité ou du coût élevé des soins ne suffit plus ; il faut en apporter la preuve circonstanciée et individualisée.

B. La portée de la notion d’accès effectif au traitement

En exigeant du ressortissant étranger qu’il démontre son incapacité personnelle à accéder aux soins, l’arrêt donne sa pleine mesure à la notion d’accès « effectif ». Cet accès ne s’entend pas seulement de la disponibilité théorique d’un traitement dans le pays, mais aussi de la capacité concrète de l’individu à en bénéficier. Cependant, en faisant reposer la charge de cette preuve sur le demandeur, le juge place la barre à un niveau très élevé. Il devient nécessaire pour le demandeur de documenter sa situation financière, son absence de couverture sociale dans son pays d’origine, et tout autre élément personnel pertinent. Cette exigence, si elle est cohérente avec une application stricte de la loi, soulève la question de la capacité réelle des personnes malades et souvent isolées à rassembler de telles preuves depuis la France. La décision révèle ainsi une tendance jurisprudentielle qui, sous couvert d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, se montre particulièrement exigeante envers le demandeur.

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Hassan KOHEN
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