Cour d’appel administrative de Douai, le 20 mars 2025, n°24DA00592

Par un arrêt du 20 mars 2025, la cour administrative d’appel de Douai, statuant sur renvoi du Conseil d’État, s’est prononcée sur les conditions d’éligibilité à une réduction d’impôt sur le revenu au titre d’investissements productifs réalisés outre-mer. En l’espèce, des contribuables avaient bénéficié de cet avantage fiscal pour l’année 2013 à la suite de leur participation au financement de sociétés destinées à l’exploitation d’éoliennes en Guyane. L’administration fiscale a remis en cause cette réduction au motif que les investissements ne pouvaient être considérés comme réalisés au cours de l’année d’imposition.

Saisi par les contribuables, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté leur demande de décharge par un jugement du 25 février 2021. Sur appel, la cour administrative d’appel de Douai, par un premier arrêt du 15 septembre 2022, a infirmé ce jugement et a prononcé la décharge totale des impositions. Le ministre de l’économie a alors formé un pourvoi en cassation. Par une décision du 6 décembre 2023, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour et lui a renvoyé l’affaire. Les contribuables soutenaient principalement que la procédure d’imposition était irrégulière, l’administration n’ayant pas communiqué tous les documents obtenus de tiers, en violation de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Sur le fond, ils affirmaient que la date de livraison des biens constituait le fait générateur de la réduction d’impôt, et non leur mise en service effective.

La cour devait donc répondre à deux questions distinctes. D’une part, le manquement de l’administration à son obligation de communiquer l’intégralité des renseignements obtenus de tiers affecte-t-il la validité de l’ensemble de la procédure de rectification lorsque celle-ci repose sur plusieurs éléments factuels concourant à un même motif juridique ? D’autre part, le fait générateur de la réduction d’impôt pour un investissement productif destiné à la vente d’électricité se situe-t-il à la date de livraison du matériel ou à celle de son raccordement au réseau public, qui seul permet une exploitation effective ?

La cour administrative d’appel a jugé que le défaut de communication de certains documents, bien qu’il entache la procédure d’irrégularité, n’a d’incidence que sur la fraction des impositions se rapportant aux investissements directement concernés par ces documents. Sur le fond, elle a jugé que le bénéfice de la réduction d’impôt est conditionné non pas à la simple livraison du bien, mais à sa capacité effective à générer des revenus, laquelle est matérialisée pour des éoliennes par leur raccordement au réseau électrique.

Il convient d’analyser la portée de la sanction retenue par le juge face à l’irrégularité procédurale (I), avant d’examiner la confirmation d’une conception matérielle de la réalisation de l’investissement productif (II).

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I. Une sanction modulée de l’irrégularité procédurale

La cour, tout en constatant une violation par l’administration de ses obligations, en tire une conséquence limitée en n’accordant qu’une décharge partielle. Elle réaffirme d’abord le principe de la communication des pièces obtenues de tiers (A), mais en module la sanction par une application proportionnée (B).

A. Le rappel de l’obligation de communication au soutien des garanties du contribuable

La décision réaffirme avec force l’obligation pour l’administration de garantir le caractère contradictoire de la procédure fiscale, conformément à l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Le juge rappelle qu’il « incombe à l’administration, quelle que soit la procédure d’imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d’informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d’arrêter d’office les bases d’imposition, de l’origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers ». Cette obligation vise à permettre au contribuable de discuter utilement les éléments retenus à son encontre, en demandant si nécessaire la communication des pièces elles-mêmes.

En l’espèce, l’administration s’était fondée sur des informations émanant de la douane et de l’opérateur électrique pour conclure à l’absence de réalisation de l’investissement. Or, elle a omis de transmettre aux contribuables des attestations d’architecte qui lui avaient été communiquées par l’opérateur électrique, pièces sur lesquelles elle appuyait en partie son argumentaire. La cour en déduit logiquement que la procédure est viciée, les contribuables ayant été privés de la possibilité de discuter d’un élément de preuve utilisé pour fonder la rectification. Ce faisant, le juge confirme la place centrale de cette garantie, qui protège le contribuable contre une utilisation d’informations dont il ne pourrait contester ni l’origine ni la portée.

B. Une application proportionnée des conséquences de l’irrégularité

Cependant, la cour ne prononce pas une décharge totale des impositions. Elle opère une distinction subtile pour limiter la portée de l’irrégularité constatée. Elle juge que les arguments de l’administration, tirés de l’absence d’importation des éoliennes et de leur non-raccordement, ne constituaient pas des motifs « distincts et autonomes » mais concouraient à un unique motif tiré de l’absence d’investissement réalisé. Par conséquent, le défaut de communication d’une pièce affectant l’un de ces arguments entache bien la procédure.

Toutefois, la cour introduit une modulation en considérant que l’irrégularité « n’emporte toutefois de conséquences que sur la seule fraction des impositions ayant résulté des investissements en lien avec les sociétés exploitantes Samuela et Senecio, à l’exception de celle résultant des investissements en lien avec la société Scilla à laquelle les attestations d’architecte non communiquées étaient étrangères ». Cette solution pragmatique consiste à ne sanctionner l’administration qu’à la hauteur du préjudice réellement subi par le contribuable dans l’exercice de ses droits de la défense. L’annulation est ainsi circonscrite aux seuls redressements pour lesquels les pièces non communiquées étaient pertinentes, et non à l’ensemble du rehaussement. Cette approche, qui privilégie une proportionnalité de la sanction, évite qu’une irrégularité formelle, bien que réelle, ne conduise à anéantir une rectification par ailleurs fondée pour sa plus grande partie.

La question de la régularité étant ainsi tranchée, la cour devait se prononcer sur le bien-fondé de la part de l’imposition maintenue.

II. La consécration d’une condition matérielle pour le bénéfice de l’avantage fiscal

Sur le fond du droit, la cour administrative d’appel confirme une interprétation stricte de la condition de réalisation de l’investissement, en faisant prévaloir sa capacité de production effective. Elle précise ainsi le fait générateur de la réduction d’impôt (A) tout en écartant l’application d’une lecture prétendument plus souple de la doctrine administrative (B).

A. La détermination du fait générateur au regard de la finalité productive de l’investissement

Le cœur du débat de fond portait sur la définition de la « réalisation » d’un investissement au sens de l’article 199 undecies B du code général des impôts. Pour les contribuables, la livraison du matériel suffisait. Pour l’administration, l’investissement n’était réalisé que lorsqu’il était opérationnel. La cour tranche nettement en faveur de la seconde interprétation. Elle juge que pour l’acquisition d’éoliennes destinées à produire et vendre de l’électricité, « la date à retenir est celle du raccordement de ces installations au réseau public d’électricité, dès lors que les éoliennes (…) ne peuvent être effectivement exploitées et par suite être productives de revenus qu’à compter de cette date ».

Cette solution repose sur une analyse téléologique de la loi fiscale. La réduction d’impôt vise à encourager les « investissements productifs ». Le juge en déduit que le critère déterminant est la capacité de l’actif à fonctionner de manière autonome et à générer les revenus qui sont l’objet même de l’activité économique encouragée. Une simple livraison de matériel, qui ne serait pas suivie de sa mise en service, ne saurait satisfaire à cette exigence de productivité. En liant le fait générateur de l’avantage fiscal à l’aptitude effective de l’éolienne à produire de l’électricité, la cour donne son plein effet à l’intention du législateur, qui est de stimuler l’économie réelle des territoires d’outre-mer et non de simples opérations d’acquisition de matériel.

B. Le rejet d’une interprétation parcellaire de la doctrine administrative

Les contribuables tentaient enfin de se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine administrative qui mentionnait que l’année de réalisation de l’investissement s’entendait de celle où l’immobilisation est « livrée ». La cour écarte cet argument en refusant une lecture isolée des instructions fiscales. Elle souligne que les énonciations invoquées « ne peuvent être appréhendées séparément mais doivent être lues en tenant compte de l’économie globale de la doctrine administrative dans laquelle elles s’insèrent ».

Or, la même instruction précisait que la notion d’investissement productif « implique l’acquisition ou la création de moyens d’exploitation, permanents ou durables capables de fonctionner de manière autonome ». Le juge conclut de cette lecture combinée que la notion de livraison, au sens de la doctrine elle-même, doit s’entendre de la livraison d’un bien en état de fonctionner et d’être productif. En conséquence, il n’existe aucune divergence entre l’interprétation de la loi retenue par l’administration et celle contenue dans sa propre doctrine. Cette analyse rappelle utilement que la garantie contre les changements de doctrine ne permet pas à un contribuable de se prévaloir d’un extrait d’instruction administrative contraire à l’esprit général du texte qu’il commente et de la loi qu’il interprète.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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