Cour d’appel administrative de Douai, le 21 mai 2025, n°24DA01128

Par un arrêt en date du 21 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Douai se prononce sur la légalité de la prolongation d’une interdiction de retour sur le territoire français. En l’espèce, un ressortissant ivoirien, entré en France en 2018 alors qu’il était mineur et pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français assortie d’une interdiction de retour d’un an en décembre 2021. Cette interdiction a été successivement prolongée par l’autorité préfectorale. Suite à une nouvelle interpellation, le préfet a, par un arrêté du 20 décembre 2023, prolongé à nouveau cette mesure pour une durée d’un an.

Le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 31 janvier 2024, a rejeté la demande d’annulation de cet arrêté formée par l’intéressé. Ce dernier a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la légalité externe qu’interne de la décision contestée, notamment l’incompétence de son auteur, une motivation insuffisante, un défaut d’examen de sa situation personnelle et une erreur manifeste d’appréciation au regard des critères légaux. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si la prolongation d’une interdiction de retour, fondée sur le maintien irrégulier de l’étranger sur le territoire et une série d’interpellations, est légale malgré l’existence d’éléments d’intégration et en l’absence de condamnation pénale.

La Cour administrative d’appel rejette la requête, validant ainsi la décision préfectorale et le jugement de première instance. Elle estime que l’arrêté est formellement régulier et que le préfet, en procédant à une balance des éléments de la situation de l’intéressé, n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prolongeant l’interdiction de retour, compte tenu notamment du non-respect par l’étranger de ses obligations de quitter le territoire. La solution de la Cour s’attache à confirmer la régularité de la procédure administrative suivie par le préfet (I), tout en consacrant la primauté de son appréciation des faits dans l’application des mesures de police des étrangers (II).

***

I. Le contrôle restreint de la légalité de la prolongation de l’interdiction de retour

La Cour administrative d’appel opère un contrôle classique de la légalité de l’acte, en écartant rapidement les moyens de légalité externe (A) pour se concentrer sur l’appréciation des motifs de fond retenus par le préfet (B).

A. La confirmation de la régularité formelle de l’acte

Le juge administratif vérifie en premier lieu si les conditions de forme de la décision attaquée ont été respectées. Le requérant soulevait l’incompétence de l’auteur de l’acte, mais la Cour écarte ce moyen en relevant qu’une délégation de signature avait été régulièrement consentie et que l’indisponibilité du délégant était présumée en l’absence de preuve contraire apportée par l’intéressé. Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante qui facilite le fonctionnement de l’administration en n’exigeant pas une preuve positive de l’empêchement de l’autorité normalement compétente.

Ensuite, la Cour examine le moyen tiré du défaut de motivation. L’arrêté contesté se contentait de viser l’article L. 612-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de mentionner les faits pertinents. Le juge estime cette motivation suffisante en droit comme en fait, opérant une distinction nette entre le vice de forme et le vice de fond. Il précise que « la circonstance que le préfet aurait tenu compte d’informations erronées dans son appréciation, qui se rapporte à la contestation des motifs de la décision de prolongation, n’est pas de nature à révéler un défaut de motivation de cette décision ». Ce faisant, la Cour confirme qu’une motivation, même fondée sur des faits contestés, remplit son office dès lors qu’elle permet au destinataire de comprendre les raisons de la décision prise à son encontre.

B. L’appréciation des motifs substantiels de la décision

Sur le fond, la Cour analyse si la décision du préfet est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des critères posés par l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces critères incluent la durée de présence, la nature des liens avec la France, les mesures d’éloignement antérieures et la menace pour l’ordre public. L’arrêt met en balance les éléments positifs, tels que l’arrivée en France durant la minorité, la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance et l’obtention d’un diplôme professionnel.

Cependant, ces éléments sont confrontés au comportement de l’intéressé. La Cour relève qu’il a fait l’objet de plusieurs interpellations pour des faits de violences, d’exhibition sexuelle et d’outrage. Elle note avec précision que le préfet « s’est borné à rappeler dans son arrêté les faits pour lesquels l’intéressé est défavorablement connu des services de police, sans pour autant retenir qu’il constituerait une menace pour l’ordre public ». De plus, le juge souligne le non-respect des précédentes obligations de quitter le territoire et d’une assignation à résidence. La Cour conclut donc qu’au regard de ces manquements, la décision de prolongation d’un an n’est pas manifestement disproportionnée, validant ainsi l’appréciation portée par l’autorité préfectorale.

***

II. La consécration d’une large prérogative préfectorale

La décision de la Cour administrative d’appel a pour effet de renforcer le pouvoir d’appréciation de l’administration dans la gestion des flux migratoires (A), ce qui a pour corollaire de limiter la portée des éléments d’intégration avancés par l’étranger (B).

A. La confirmation du large pouvoir d’appréciation préfectoral

L’arrêt illustre la nature du contrôle juridictionnel en matière de police des étrangers. Le juge n’examine pas s’il aurait pris la même décision que le préfet, mais seulement si la décision de ce dernier est entachée d’une erreur si grossière qu’elle en devient illégale. En l’espèce, la Cour estime que le préfet n’a pas commis une telle erreur en prolongeant l’interdiction de retour. Elle valide son analyse factuelle, y compris lorsque celui-ci estime que l’intéressé « ne démontre pas avoir engagé de démarches en vue de la régularisation de sa situation administrative ».

Le juge considère que les démarches initiales de régularisation ne suffisent pas, dès lors que l’étranger n’a pas donné suite à une convocation de la préfecture et a persisté dans une situation irrégulière. Cette approche confirme que le pouvoir d’appréciation du préfet s’étend non seulement à la qualification des faits, mais aussi à l’interprétation du comportement global de l’étranger. L’absence de condamnation pénale n’est pas jugée déterminante face à la répétition des interpellations et au non-respect des obligations administratives, qui constituent pour l’administration des manquements suffisants pour justifier sa décision.

B. La précarisation de la situation de l’étranger face à son comportement

La portée de cet arrêt réside dans la hiérarchie qu’il établit implicitement entre les différents éléments pris en compte. Les efforts d’intégration, bien que réels, comme l’obtention d’un certificat d’aptitude professionnelle, pèsent peu face au maintien sur le territoire en violation de plusieurs mesures d’éloignement. La Cour circonscrit également le débat juridique en jugeant inopérante l’invocation des dispositions de l’article L. 612-7 du code, relatif aux circonstances humanitaires s’opposant à une première interdiction de retour.

Elle distingue ainsi le régime de l’édiction initiale d’une interdiction de retour de celui de sa prolongation. Cette dernière, prévue à l’article L. 612-11, est justifiée par le seul fait que « l’étranger s’est maintenu irrégulièrement sur le territoire français alors qu’il était obligé de le quitter sans délai ». Cette lecture stricte des textes réduit considérablement les moyens de défense de l’étranger qui n’a pas obtempéré à une première mesure d’éloignement. La décision souligne ainsi que le comportement de l’individu, et en particulier sa déférence aux injonctions de l’administration, constitue le critère prépondérant dans l’évaluation de sa situation, au détriment de son parcours d’intégration en France.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture