Par un arrêt en date du 22 janvier 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions de mise en œuvre du mécanisme de désistement d’office dans le cadre du contentieux des étrangers.
En l’espèce, un ressortissant étranger a fait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 21 novembre 2023 lui refusant la délivrance d’un titre de séjour, l’obligeant à quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour de trois ans. L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une requête sommaire en annulation de cette décision. Par une ordonnance du 29 décembre 2023, le premier juge a donné acte de son désistement au motif qu’aucun mémoire complémentaire n’avait été produit dans le délai de quinze jours prévu par le code de justice administrative. Le requérant a alors interjeté appel de cette ordonnance, soutenant que sa requête initiale, bien que sommaire, n’annonçait nullement son intention de la compléter.
Il convenait donc pour la cour de déterminer si un juge peut présumer de l’intention d’un requérant de produire un mémoire complémentaire, et ainsi lui appliquer la sanction du désistement d’office, sur la seule base du caractère sommaire de sa requête initiale et en l’absence de toute mention expresse en ce sens.
À cette question, la juridiction d’appel répond par la négative. Elle juge que le mécanisme du désistement d’office prévu par l’article R. 776-12 du code de justice administrative est subordonné à la mention explicite par le requérant de son intention de produire un mémoire complémentaire. En l’absence d’une telle mention, la seule insuffisance des moyens présentés dans la requête sommaire ne saurait suffire à établir une volonté claire de la compléter ultérieurement. La cour annule par conséquent l’ordonnance du premier juge pour irrégularité et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif.
La solution retenue par la cour administrative d’appel réaffirme une application stricte des conditions textuelles du désistement d’office (I), consacrant ainsi la protection du droit au recours effectif face à un formalisme procédural excessif (II).
I. Une application stricte des conditions du désistement d’office
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une lecture rigoureuse du texte régissant la procédure, rappelant que la sanction du désistement d’office est subordonnée à l’annonce préalable d’un mémoire complémentaire (A) et refusant par là même de reconnaître au juge le pouvoir d’induire une intention non exprimée par le requérant (B).
A. L’exigence d’une annonce expresse du mémoire complémentaire
Le raisonnement du juge d’appel s’articule autour de l’article R. 776-12 du code de justice administrative, qui dispose que « Lorsqu’une requête sommaire mentionne l’intention du requérant de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au greffe […] dans un délai de quinze jours ». La cour s’attache à une interprétation littérale de cette disposition, soulignant que le déclenchement du mécanisme de désistement présumé est conditionné par le fait que la requête « mentionne » cette intention.
Cette précision textuelle est fondamentale, car elle fait de l’annonce de la production future un acte de procédure explicite, une manifestation de volonté du requérant qui seule peut justifier l’application d’un délai de forclusion aussi bref. En se fondant sur la matérialité des pièces du dossier, la cour constate que la requête initiale, bien que qualifiée de sommaire, ne contenait aucune formule annonçant un développement ultérieur. Le champ d’application de la sanction procédurale se trouve ainsi clairement délimité par les termes mêmes choisis par le législateur, empêchant toute extension de la règle au-delà des hypothèses qu’elle vise expressément.
B. Le rejet d’une intention implicite déduite par le juge
En conséquence de cette lecture, la cour censure directement le raisonnement du premier juge. Ce dernier avait estimé que le caractère insuffisamment détaillé de l’argumentation initiale suffisait à présumer de la volonté du requérant de la compléter. Or, la cour administrative d’appel oppose à cette démarche une fin de non-recevoir catégorique.
Elle affirme en effet que « la circonstance tirée de ce qu’aucun des moyens brièvement énoncés dans cette requête n’est assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé n’est par elle-même pas suffisante pour révéler une intention claire et non équivoque du requérant de présenter un mémoire complémentaire ». Par cette formule, le juge d’appel refuse de conférer au premier juge un pouvoir d’appréciation sur les intentions non formulées du justiciable. Il établit une distinction nette entre le contenu d’une requête, qui peut être jugé faible ou mal étayé, et l’intention procédurale, qui doit être matériellement établie. En agissant ainsi, la cour prévient le risque qu’une requête simplement mal rédigée soit assimilée à une requête volontairement incomplète, protégeant le requérant contre une interprétation de son silence par le juge.
II. La garantie du droit au recours face au formalisme procédural
Au-delà de la simple question d’interprétation textuelle, l’arrêt emporte des conséquences significatives sur la conception de l’office du juge et la protection des droits des justiciables. Il constitue une censure d’une rigueur procédurale jugée excessive (A) et réaffirme par là même la prééminence du droit à ce qu’une affaire soit jugée au fond (B).
A. La censure d’une sanction procédurale excessive
Le désistement d’office est une mesure radicale qui met fin à l’instance sans que le litige ait été examiné. Son application doit donc demeurer exceptionnelle et strictement encadrée pour ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, principe à valeur constitutionnelle. L’ordonnance du premier juge, en appliquant cette sanction sur la base d’une simple déduction, instaurait un formalisme particulièrement rigoureux.
La cour administrative d’appel, en annulant cette ordonnance, rappelle que les règles de procédure, si elles sont nécessaires à la bonne administration de la justice, ne doivent pas devenir des obstacles insurmontables pour le justiciable. Le juge ne saurait créer une présomption de négligence là où le texte n’en prévoit pas explicitement. Cette solution est d’autant plus importante dans le contentieux des étrangers, où les requérants sont souvent dans une situation de précarité et peuvent avoir des difficultés à maîtriser toutes les subtilités de la procédure administrative contentieuse. La décision protège ainsi le justiciable contre une application trop zélée des règles qui le priverait de son droit à voir sa cause entendue.
B. La réaffirmation de la primauté d’un examen au fond
En renvoyant l’affaire devant le tribunal administratif, la cour administrative d’appel garantit que la demande du requérant sera finalement examinée sur le fond. Cette issue souligne la finalité même du procès administratif, qui est de trancher un litige et non de sanctionner des manquements formels mineurs. L’arrêt enseigne que lorsque la requête, même sommaire, est complète en ce qu’elle ne renvoie pas à un acte ultérieur, elle doit être traitée comme telle par le juge.
Il appartient alors au juge, s’il estime la requête insuffisamment motivée pour lui permettre de statuer, de mettre en œuvre d’autres mécanismes procéduraux, comme une mesure d’instruction ou une demande de régularisation, plutôt que de clore prématurément le débat. La décision du 22 janvier 2025 réaffirme ainsi l’office du juge administratif, qui doit chercher, dans le respect des règles, à assurer l’effectivité du recours. Elle consacre une vision de la procédure où la forme reste au service du fond, et non l’inverse, garantissant que le dialogue entre le citoyen et l’administration puisse avoir lieu devant son juge naturel.