Cour d’appel administrative de Douai, le 24 septembre 2025, n°24DA01225

En l’espèce, un justiciable, confronté au refus d’un établissement hospitalier de lui communiquer le dossier médical de son père décédé, avait obtenu du tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 22 mars 2007, que cette communication lui soit ordonnée. Faisant face à une inexécution persistante de cette décision, il a saisi à nouveau la juridiction de première instance pour voir ouvrir une procédure juridictionnelle d’exécution forcée. Le président de ce tribunal, par une ordonnance du 22 avril 2024, a toutefois rejeté sa demande comme étant tardive. C’est dans ce contexte que le requérant a interjeté appel de cette ordonnance devant la cour administrative d’appel de Douai, qui, par un arrêt du 24 septembre 2025, se prononce sur sa propre compétence pour connaître d’un tel litige. Le requérant soutenait devant la cour que sa demande n’était pas tardive et que le jugement de 2007 demeurait inexécuté. La cour administrative d’appel, soulevant d’office son incompétence, était ainsi conduite à s’interroger sur la juridiction compétente pour statuer sur le recours formé contre une ordonnance rejetant une demande d’exécution, lorsque le jugement initial dont l’exécution est demandée a été rendu en premier et dernier ressort.

À cette question, la cour administrative d’appel de Douai répond en affirmant que les voies de recours ouvertes contre l’ordonnance statuant sur l’exécution sont identiques à celles prévues pour contester le jugement initial. Constatant que le litige primitif, relatif à la communication de documents administratifs, relevait de la compétence du tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, elle en déduit que seule la cassation devant le Conseil d’État est ouverte. Par conséquent, la cour se déclare incompétente et transmet le dossier au Conseil d’État.

La décision commentée illustre avec clarté un principe de parallélisme des voies de recours en matière d’exécution des décisions de justice. Il convient d’en analyser la portée en examinant d’abord l’assimilation de la procédure d’exécution à l’instance principale (I), avant d’en apprécier les conséquences pratiques pour le justiciable en quête de l’effectivité de ses droits (II).

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I. L’assimilation de la procédure d’exécution à l’instance principale

La cour administrative d’appel fonde son raisonnement sur une double identification : celle de l’ordonnance de rejet à une véritable décision juridictionnelle (A), ce qui conditionne l’application d’une règle de compétence calquée sur le litige au fond (B).

A. La nature juridictionnelle de l’ordonnance rejetant la demande d’exécution

L’arrêt commenté prend soin de qualifier la nature de l’acte contesté. Il énonce que la décision du président du tribunal qui rejette pour tardiveté une demande d’ouverture d’une procédure juridictionnelle d’exécution « a le caractère d’une décision juridictionnelle ». Cette précision est déterminante, car elle distingue un tel acte d’une simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours. En effet, en déclarant la demande tardive, le juge ne se borne pas à gérer le rôle de son tribunal ; il tranche une contestation en opposant une fin de non-recevoir qui clôt définitivement l’instance d’exécution engagée.

Cette qualification assure au justiciable une garantie fondamentale : celle d’un droit au recours contre une décision qui lui fait grief. L’arrêt rappelle ainsi implicitement que le droit à l’exécution d’une décision de justice constitue une composante du droit à un procès équitable. Le fait que le président du tribunal statue par ordonnance ne change rien à la nature juridictionnelle de sa décision dès lors qu’elle statue définitivement sur la demande dont il est saisi. La cour s’appuie sur une jurisprudence établie qui confère à de telles ordonnances le statut de jugement, ouvrant ainsi la voie à un contrôle par une juridiction supérieure.

B. L’application d’un principe de parallélisme des voies de recours

Une fois le caractère juridictionnel de l’ordonnance affirmé, la cour en tire les conséquences quant à la détermination de la juridiction d’appel compétente. Elle applique une règle de cohérence procédurale en énonçant que les voies de recours « sont ouvertes les voies de recours de droit commun identiques à celles prévues à l’encontre des décisions dont l’exécution est demandée ». Ce principe, bien que non explicitement formulé par un texte unique, découle d’une logique selon laquelle l’accessoire suit le principal. Le contentieux de l’exécution est ici considéré comme l’accessoire du contentieux au fond.

En l’espèce, le jugement initial du 22 mars 2007 portait sur un litige en matière de communication de documents administratifs. En application des articles R. 222-13 et R. 811-1 du code de justice administrative, de tels litiges sont jugés par le tribunal administratif en premier et dernier ressort. La seule voie de recours est alors le pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. En appliquant sa logique de parallélisme, la cour administrative d’appel de Douai en déduit que l’ordonnance de 2024, qui statue sur l’exécution de ce jugement, ne peut elle-même être contestée que devant le Conseil d’État. La cour se déclare donc logiquement incompétente au profit de la Haute Juridiction administrative.

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II. Une solution rigoureuse aux effets contrastés pour le justiciable

Si cette solution assure une parfaite orthodoxie juridique (A), elle interroge néanmoins quant à son impact sur la situation concrète du requérant et sur la perception de l’effectivité du service public de la justice (B).

A. La consécration d’une logique de cohérence procédurale

La solution retenue par l’arrêt présente l’avantage d’une grande clarté et prévient toute complexité procédurale inutile. En alignant le régime de recours du contentieux de l’exécution sur celui du principal, elle évite que des questions liées à l’exécution d’un jugement non susceptible d’appel puissent être portées devant une cour administrative d’appel. Une telle situation créerait une asymétrie difficilement justifiable et pourrait, par des voies détournées, permettre une forme d’examen par une cour d’appel d’un jugement que le législateur a voulu soustraire à ce niveau de juridiction.

Cette rigueur garantit l’intégrité de l’organisation juridictionnelle voulue par le code de justice administrative, où la répartition des compétences entre les cours et le Conseil d’État est précisément définie. L’arrêt commenté constitue ainsi une application fidèle de la hiérarchie des normes et des compétences, réaffirmant que le juge d’appel ne saurait connaître d’un litige, même sous l’angle de son exécution, si la loi l’a exclu de son champ de compétence initial. Il s’agit donc d’une décision qui renforce la sécurité juridique et la prévisibilité des voies de recours.

B. La perception d’un allongement du parcours du combattant

D’un point de vue pratique, la solution, bien qu’irréprochable en droit, peut apparaître comme une source de complexité et de délai supplémentaire pour le justiciable. Celui-ci, qui cherche depuis de nombreuses années à obtenir l’exécution d’une décision de justice définitive, se voit réorienté vers une autre juridiction, avec les délais et l’incertitude inhérents à cette nouvelle saisine. Le parcours procédural pour obtenir la simple communication d’un document se révèle particulièrement long et sinueux.

L’arrêt souligne ainsi la tension pouvant exister entre la rigueur procédurale et le droit à l’exécution des décisions de justice dans un délai raisonnable, garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Bien que le renvoi au Conseil d’État soit la seule issue légale, il prolonge une situation d’attente pour une personne qui a déjà obtenu gain de cause sur le fond. Cet arrêt, bien que n’étant qu’une décision d’espèce par ses faits, illustre la portée d’un principe général dont l’application stricte peut parfois donner le sentiment d’un formalisme éloigné des préoccupations concrètes des citoyens.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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