Par un arrêt en date du 24 septembre 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de séjour opposé à une ressortissante étrangère.
En l’espèce, une ressortissante de nationalité malienne, entrée régulièrement en France en 2010 sous couvert d’un visa étudiant, a sollicité en 2022 l’octroi d’un titre de séjour sur le fondement de l’admission exceptionnelle au séjour. Le 28 mars 2023, le préfet du Nord a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d’une décision fixant le pays de destination. La requérante a saisi le tribunal administratif de Lille, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 12 juin 2024. Elle a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’arrêté préfectoral était entaché d’un vice de procédure, faute pour l’administration d’avoir saisi la commission du titre de séjour, alors même qu’elle justifiait d’une résidence habituelle en France de plus de dix ans.
Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si l’omission par l’autorité préfectorale de consulter la commission du titre de séjour, dans le cas d’un étranger justifiant d’une résidence habituelle en France supérieure à dix ans, constitue un vice de procédure de nature à justifier l’annulation de la décision de refus de séjour.
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, annulant le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral. Elle juge que l’absence de saisine de la commission du titre de séjour constitue un vice de procédure qui, en l’espèce, a privé l’intéressée d’une garantie et a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision.
La cour, en sanctionnant l’omission préfectorale, réaffirme le caractère substantiel d’une garantie procédurale (I), dont la méconnaissance emporte des conséquences précises tant pour l’administration que pour l’administré (II).
I. La sanction rigoureuse d’un vice de procédure substantiel
La décision de la cour repose sur une analyse en deux temps. Elle établit d’abord souverainement la condition de résidence habituelle de plus de dix ans (A) avant de qualifier l’absence de saisine de la commission de vice de procédure substantiel (B).
A. La constatation d’une résidence habituelle de plus de dix ans
Pour déclencher l’obligation de saisine de la commission du titre de séjour prévue par l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la condition préalable de la résidence habituelle en France depuis plus de dix ans doit être établie. La cour administrative d’appel procède à une appréciation concrète des éléments versés au dossier par la requérante. Elle relève que l’intéressée produit « de nombreuses pièces, telles que des relevés de comptes, des bulletins de paie, des paiements de tickets CESU, des documents médicaux et des témoignages ». Ces documents permettent de caractériser, selon les juges du fond, une « résidence habituelle et continue en France depuis son entrée en France jusqu’à la date de la décision contestée ».
L’appréciation des juges se fonde sur un faisceau d’indices concordants, démontrant la continuité du séjour et le maintien du centre des intérêts matériels et personnels de la requérante sur le territoire national. Cette approche pragmatique permet de ne pas s’en tenir à la seule situation administrative de l’étranger, souvent précaire, pour évaluer l’ancrage de sa résidence. La cour confirme ainsi que la preuve de la résidence peut être rapportée « par tout moyen », conformément à la lettre même de l’article L. 435-1, offrant une souplesse probatoire essentielle aux étrangers en situation irrégulière.
Une fois cette condition factuelle établie, la cour en tire les conséquences juridiques quant à l’obligation procédurale qui pesait sur le préfet.
B. La qualification de garantie substantielle attachée à l’avis de la commission
L’obligation de saisine de la commission du titre de séjour n’est pas une simple formalité pour l’administration. La cour rappelle que l’article L. 435-1 dispose que l’autorité administrative « est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission ». Le caractère impératif de cette disposition ne laisse aucune marge de manœuvre au préfet dès lors que la condition de résidence est remplie. En s’abstenant de procéder à cette consultation, le préfet a entaché sa décision d’un vice de procédure.
Toutefois, pour qu’un vice de procédure entraîne l’annulation d’un acte administratif, il doit avoir privé l’intéressé d’une garantie ou avoir été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision. La cour considère ces deux conditions comme remplies. Elle juge que le vice « a en l’espèce privé Mme A… d’une garantie et qui est en outre susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise ». La consultation de la commission, organisme collégial, constitue bien une garantie pour l’administré, lui permettant de faire valoir ses observations dans un cadre distinct de celui du strict examen de son dossier par les services préfectoraux. De surcroît, l’avis émis par cette commission, même s’il ne lie pas le préfet, est un élément d’appréciation essentiel qui aurait pu éclairer sa décision différemment.
La qualification de garantie substantielle justifie ainsi une annulation contentieuse, dont la portée doit être précisée.
II. La portée de l’annulation pour l’administration et l’administré
L’annulation de l’arrêté préfectoral produit des effets importants, constituant d’une part un rappel à l’ordre pour l’autorité administrative (A) et assurant d’autre part une protection effective des droits de la ressortissante étrangère (B).
A. Le rappel à l’ordre de l’autorité préfectorale
La conséquence première de l’annulation est de contraindre le préfet à respecter la procédure qu’il avait méconnue. La cour enjoint à l’autorité préfectorale de « procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par Mme A…, après saisine de la commission du titre de séjour ». Cette injonction, prononcée dans un délai de quatre mois, replace l’administration face à ses obligations. Elle ne préjuge pas de la décision finale qui sera prise, le préfet conservant son pouvoir d’appréciation pour accorder ou non le titre de séjour sollicité. Néanmoins, sa future décision devra impérativement être précédée de l’avis de la commission.
Cette solution illustre le rôle du juge administratif comme garant du respect de la légalité procédurale. Le contrôle exercé ici n’est pas un contrôle d’opportunité, mais un contrôle de la bonne application des règles de compétence et de forme qui encadrent l’action administrative. En censurant la méthode suivie par le préfet, la cour rappelle que l’économie d’une procédure obligatoire, même si elle peut paraître administrativement efficace à court terme, fragilise juridiquement la décision et méconnaît les garanties accordées aux administrés. Le rejet de la demande d’astreinte montre cependant une certaine mesure, la cour estimant que l’injonction est, en l’état, suffisamment contraignante.
Au-delà de l’obligation de réexamen, la décision assure la restauration complète des droits de l’intéressée.
B. La protection effective des droits de l’étranger
L’arrêt ne se limite pas à l’annulation du seul refus de séjour. Conformément à une jurisprudence constante, il annule « par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination ». Ces mesures, accessoires au refus de séjour qui en constituait le fondement juridique, ne pouvaient survivre à sa disparition. Cette annulation en cascade est protectrice pour l’intéressée, qui n’est plus sous la menace d’une mesure d’éloignement.
De plus, la cour va plus loin en ordonnant de « faire procéder à l’effacement du signalement de non-admission de Mme A… au fichier d’information Schengen et au fichier des personnes recherchées ». Cette mesure matérielle est essentielle pour garantir l’effectivité de la décision de justice. Un tel signalement aurait pu faire obstacle à de futures démarches et porter une atteinte durable à la situation de la requérante. En exigeant sa suppression, la cour assure une remise en état complète et concrète, démontrant que la protection juridictionnelle s’étend aux conséquences pratiques de l’illégalité constatée. La procédure, loin d’être une abstraction, est ainsi réaffirmée comme un instrument fondamental de la protection des droits des individus face à l’administration.