Cour d’appel administrative de Douai, le 24 septembre 2025, n°25DA00342

Par un arrêt en date du 24 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du refus d’accorder une admission exceptionnelle au séjour à un ressortissant tunisien. En l’espèce, un individu de nationalité tunisienne, entré sur le territoire français en 2017 et s’y maintenant en situation irrégulière, a formé une demande de régularisation au titre du travail en juin 2023. Il se prévalait alors d’un contrat de travail à durée indéterminée, mais cette relation de travail avait été rompue quelques semaines avant que l’autorité préfectorale ne statue sur sa situation. L’intéressé était par ailleurs célibataire, sans charge de famille en France, et conservait des attaches familiales dans son pays d’origine.

Saisi d’une demande d’annulation, le tribunal administratif de Lille avait rejeté le recours par un jugement du 21 janvier 2025. Le requérant a interjeté appel de cette décision, soutenant que le refus de séjour était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation quant à son insertion professionnelle et méconnaissait l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il soulevait par voie de conséquence l’illégalité des autres mesures dont il faisait l’objet, à savoir une obligation de quitter le territoire français, la fixation du pays de destination et une interdiction de retour d’une durée d’un an.

La question de droit soumise à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si le refus de régulariser la situation d’un étranger, fondé sur le caractère précaire de son insertion professionnelle et l’absence d’attaches privées et familiales prépondérantes en France, caractérisait une erreur manifeste d’appréciation de la part de l’administration et portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée. La cour a répondu par la négative, considérant que la situation de l’intéressé ne révélait pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels justifiant une régularisation. Elle juge ainsi que le préfet a pu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation et sans méconnaître l’article 8 de la Convention européenne, refuser le titre de séjour sollicité.

Cette décision illustre le contrôle restreint exercé par le juge sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de régularisation (I), tout en confirmant une application rigoureuse de la mise en balance des intérêts exigée par la protection de la vie privée (II).

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I. La confirmation du pouvoir discrétionnaire préfectoral face à une insertion professionnelle précaire

La cour administrative d’appel valide la décision du préfet en s’appuyant sur une conception stricte de l’admission exceptionnelle au séjour, qui demeure une simple faculté pour l’administration. Elle rappelle d’abord le cadre juridique applicable à cette prérogative (A) avant d’opérer une application concrète de son contrôle limité sur l’appréciation des faits (B).

A. Le rappel du caractère dérogatoire de l’admission au séjour

L’arrêt prend soin de préciser le fondement juridique de la régularisation des ressortissants tunisiens. Il énonce que les stipulations de l’accord franco-tunisien du 17 mars 1988, si elles « fixent les conditions dans lesquelles les ressortissants tunisiens peuvent être admis à séjourner en France au titre d’une activité salariée », n’ont pas pour effet de priver l’autorité administrative de sa faculté de régulariser des situations qui n’y satisfont pas. La juridiction souligne que le préfet « dispose à cette fin d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressé, l’opportunité d’une mesure de régularisation ».

Cette réaffirmation est essentielle. Elle signifie que la régularisation n’est jamais un droit pour le demandeur, mais une mesure de faveur que l’administration peut accorder au regard de circonstances particulières. En conséquence, le contrôle du juge administratif sur une telle décision est nécessairement restreint. Il ne s’agit pas pour le juge de déterminer s’il aurait pris la même décision que le préfet, mais uniquement de vérifier que ce dernier n’a pas commis d’illégalité, notamment une erreur manifeste dans l’appréciation de la situation du demandeur.

B. L’application d’un contrôle restreint à l’appréciation des faits

C’est au regard de ce contrôle limité que la cour examine la situation personnelle du requérant. Elle relève plusieurs éléments factuels pour conclure à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. D’une part, elle note que si l’intéressé avait bien un emploi, « leur relation de travail a été interrompue en avril 2024, avant l’intervention de l’arrêté attaqué ». Ce point est déterminant, car la demande de régularisation reposait essentiellement sur l’insertion par le travail. La perte de l’emploi avant même la décision administrative fragilise donc considérablement le dossier.

D’autre part, la cour qualifie l’insertion de l’intéressé sur le marché du travail de « récente et précaire ». Elle observe enfin que rien ne semble faire obstacle à sa réinsertion professionnelle dans son pays d’origine. En conséquence, la cour estime que les faits du dossier « ne permettent pas de regarder son admission au séjour comme répondant à des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels ». La décision du préfet, reposant sur une analyse factuelle cohérente, échappe ainsi à la censure du juge.

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II. La validation d’une mise en balance orthodoxe au regard du droit à la vie privée

Au-delà du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, la cour examine la conformité de la décision préfectorale avec les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle procède à une mise en balance classique des intérêts en présence (A), aboutissant à une solution d’espèce qui s’inscrit dans une jurisprudence bien établie (B).

A. La mise en balance des intérêts en présence

L’article 8 de la Convention européenne impose à l’autorité publique, lorsqu’elle prend une mesure portant atteinte à la vie privée et familiale d’une personne, de s’assurer que cette ingérence est proportionnée au but légitime poursuivi, tel que la défense de l’ordre public ou le bien-être économique du pays. La cour applique ce test de proportionnalité de manière rigoureuse.

D’un côté de la balance, elle place les éléments de la vie privée du requérant en France : une présence de sept années, certes, mais en situation irrégulière, et une insertion professionnelle jugée précaire. La cour souligne surtout les faiblesses des attaches personnelles, relevant que l’intéressé est « célibataire et sans charge de famille et n’y a aucune attache familiale ». De l’autre côté, elle met en exergue l’intérêt de l’État à maîtriser les flux migratoires, ainsi que la réalité des liens du requérant avec son pays d’origine, où il a vécu la majeure partie de sa vie et où résident « ses parents et de ses frères et sœurs ». La balance penche ainsi nettement en défaveur d’un maintien sur le territoire français.

B. La portée d’une solution d’espèce réaffirmant une jurisprudence constante

En concluant à l’absence de violation de l’article 8, la cour rend une décision qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence. Il s’agit d’un arrêt d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits particuliers de la cause. Toutefois, sa portée n’est pas nulle, car il réaffirme avec clarté la hiérarchie des critères d’appréciation dans le contentieux du séjour des étrangers.

Cette décision confirme que la durée de présence sur le territoire, même significative, ne saurait à elle seule fonder un droit au séjour lorsque les autres critères d’intégration font défaut. L’absence d’attaches familiales solides en France et la précarité de l’insertion professionnelle constituent des obstacles majeurs à la régularisation, que la seule durée du séjour ne peut compenser. L’arrêt illustre ainsi une ligne jurisprudentielle constante qui refuse de transformer l’admission exceptionnelle au séjour en un mécanisme de régularisation quasi automatique pour les étrangers présents depuis plusieurs années en situation irrégulière.

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Hassan KOHEN
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