Par un arrêt en date du 24 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité du refus de délivrance d’un titre de séjour opposé à un couple de ressortissants étrangers. En l’espèce, deux époux originaires de la République démocratique du Congo, présents sur le territoire national depuis 2012, s’étaient vu refuser la délivrance de titres de séjour par le préfet du Nord par des arrêtés du 24 août 2022. Le couple, parent de trois enfants dont deux nés en France et tous scolarisés, disposait de solides attaches sur le territoire, l’épouse étant notamment titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Saisis par les intéressés, le tribunal administratif de Lille avait rejeté leurs demandes tendant à l’annulation de ces décisions par des jugements du 28 novembre 2024. Les requérants ont alors interjeté appel de ces jugements, soutenant principalement que les arrêtés préfectoraux portaient une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale et étaient entachés d’une erreur manifeste d’appréciation. L’administration opposait pour sa part des faits anciens reprochés à l’épouse, pour lesquels aucune condamnation n’avait cependant été prononcée.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si le refus de séjour, fondé sur des antécédents administratifs non suivis d’effets judiciaires, portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de ressortissants étrangers durablement installés et intégrés sur le territoire national.
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, annulant les jugements de première instance ainsi que les arrêtés préfectoraux. Elle juge que les décisions du préfet « ont porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regards des buts en vue desquels ils ont été pris et ont ainsi méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Cette solution, qui repose sur une analyse factuelle détaillée, illustre la méthode du contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif (I), tout en confirmant la portée essentiellement casuistique de ce type de contentieux (II).
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I. Le contrôle approfondi de l’atteinte portée à la vie privée et familiale
La cour fonde sa décision sur une appréciation concrète et méticuleuse des éléments de la situation personnelle des requérants. Elle procède à une balance des intérêts en présence en examinant d’une part l’ensemble des facteurs d’intégration du couple (A), et en relativisant d’autre part la portée des arguments opposés par l’administration (B).
A. La prise en compte exhaustive des éléments d’intégration
Le juge d’appel prend soin de relever l’ensemble des faits qui témoignent de l’ancrage des intéressés en France. Il constate d’abord l’ancienneté de leur présence sur le territoire, établie depuis l’année 2012, soit une décennie avant la décision préfectorale contestée. Cette durée significative constitue un indice majeur de la stabilité de leur installation.
Ensuite, la juridiction accorde une importance particulière à la situation familiale et à l’intérêt des enfants. Elle note que les trois enfants du couple sont scolarisés, et que le suivi par une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert atteste de l’investissement du père dans leur éducation. La stabilité de la cellule familiale et l’intégration scolaire des enfants sont ainsi des éléments déterminants dans l’appréciation du juge.
Enfin, la cour examine l’intégration professionnelle de l’épouse. Elle souligne qu’elle est titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, qu’elle travaille de manière continue depuis près de trois ans et qu’elle a suivi une formation qualifiante. Cet élément démontre une volonté et une capacité d’insertion durable dans la société française, qui va au-delà d’une simple présence sur le territoire.
B. La neutralisation des antécédents administratifs non sanctionnés
Face à ces puissants éléments d’intégration, l’administration tentait de justifier sa décision en invoquant le passé de l’un des époux. Le préfet indiquait en effet que l’épouse était « défavorablement connue des autorités pour des faits de reconnaissance d’enfant pour l’obtention d’un titre de séjour et aide à l’entrée, la circulation ou séjour irrégulier d’un étranger en France ».
Toutefois, la cour écarte cet argument avec fermeté. Elle opère une distinction fondamentale entre une mention dans un dossier administratif et une sanction pénale. Le juge relève qu’« il ressort des pièces du dossier que les faits en cause sont anciens et qu’aucune condamnation n’a jamais été prononcée ».
Ce faisant, la cour rappelle qu’en l’absence de condamnation judiciaire, de simples soupçons ou des faits anciens ne sauraient suffire à caractériser une menace pour l’ordre public justifiant une atteinte grave à la vie privée et familiale. Le juge administratif se refuse à donner un poids excessif à des éléments non corroborés par une décision de justice, restaurant ainsi une forme de prééminence de la situation actuelle et avérée des personnes sur leur passé administratif.
II. La portée d’une solution fondée sur l’appréciation concrète des faits d’espèce
En annulant la décision du préfet, la cour administrative d’appel ne crée pas un droit automatique au séjour, mais réaffirme avec force le rôle du juge dans le contrôle des décisions de l’administration (A). La solution demeure néanmoins une décision d’espèce, dont l’influence jurisprudentielle reste par nature limitée (B).
A. L’affirmation du pouvoir souverain d’appréciation du juge
Cet arrêt illustre parfaitement la méthode du bilan, qui consiste pour le juge à peser les différents intérêts en présence. D’un côté, l’intérêt général qui s’attache à la maîtrise des flux migratoires et à la défense de l’ordre public. De l’autre, le droit fondamental de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La décision commentée montre que ce contrôle n’est pas purement formel. Le juge ne se contente pas de vérifier que l’administration a invoqué un but légitime. Il examine de manière approfondie si la mesure prise est nécessaire et proportionnée à ce but. En l’espèce, la cour estime que le refus de séjour constitue une mesure excessive au regard de la solidité des liens privés et familiaux tissés en France.
Cette analyse renforce la garantie des droits des administrés face au pouvoir discrétionnaire de l’administration. Elle rappelle que le préfet, dans l’exercice de son pouvoir de police des étrangers, doit procéder à un examen individualisé de chaque situation et ne peut se fonder sur des considérations générales ou des faits non judiciairement établis pour motiver un refus.
B. Une décision d’espèce à l’influence jurisprudentielle mesurée
Si la méthode de contrôle est classique, la solution retenue n’en demeure pas moins une décision d’espèce. Son issue est intimement liée à la conjonction de plusieurs facteurs particulièrement favorables aux requérants : une présence de dix ans, une intégration professionnelle réussie, la scolarisation de trois enfants et l’absence de toute condamnation pénale.
Il serait donc erroné de déduire de cet arrêt un assouplissement général des conditions de régularisation. La décision ne consacre pas un droit inconditionnel au séjour pour les familles installées de longue date, mais sanctionne une erreur manifeste d’appréciation commise par le préfet dans un cas particulier. La portée de l’arrêt est donc avant tout corrective.
En conséquence, cet arrêt a une valeur pédagogique pour l’administration, qui est invitée à faire preuve de plus de discernement dans l’appréciation des situations individuelles. Il confirme que le juge administratif exerce un contrôle entier sur la proportionnalité des atteintes portées aux droits fondamentaux, mais il ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni le point de départ d’une nouvelle orientation. Il s’inscrit dans le courant d’une jurisprudence bien établie qui privilégie une approche pragmatique et humaine des situations individuelles.