Par un arrêt en date du 25 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’autorisation d’exercice en France d’une profession de santé réglementée par un ressortissant d’un État tiers. En l’espèce, un praticien de nationalité brésilienne, titulaire d’un diplôme de physiothérapie obtenu au Brésil, avait vu ce titre homologué en Italie, lui conférant sur le territoire italien les mêmes effets qu’un diplôme national. Se fondant sur cette reconnaissance, l’autorité préfectorale française lui avait délivré une autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute. Saisi par les conseils national et départemental de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, le tribunal administratif de Lille avait refusé d’annuler cette décision par un jugement du 19 avril 2024. Les conseils de l’ordre ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’autorisation méconnaissait les dispositions du code de la santé publique, lesquelles exigent l’obtention d’un titre de formation dans un État membre de l’Union européenne. Il revenait donc à la cour de déterminer si un diplôme délivré par un État tiers, mais ayant fait l’objet d’une homologation par un État membre de l’Union, peut être considéré comme un « titre de formation obtenu dans un État membre » au sens de l’article L. 4381-4 du code de la santé publique. La cour administrative d’appel répond par la négative à cette question, considérant qu’une telle reconnaissance ne modifie pas le lieu d’obtention initial du titre. Par conséquent, elle annule le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision préfectorale contestée.
Cette solution conduit à examiner l’application littérale de la condition de délivrance du diplôme (I), laquelle réaffirme le strict contrôle national sur l’accès aux professions de santé réglementées (II).
I. L’application littérale de la condition de délivrance du diplôme
La cour fonde sa décision sur une lecture stricte des dispositions du code de la santé publique, rejetant l’idée qu’une homologation puisse valoir obtention du titre (A) et affirmant par là même la primauté de la disposition législative nationale sur toute autre considération (B).
A. Le rejet d’une équivalence par l’effet de l’homologation
Le raisonnement des juges d’appel s’articule autour de l’interprétation des termes de l’article L. 4381-4 du code de la santé publique. Ce texte subordonne l’autorisation d’exercice pour un ressortissant d’un État tiers à la titularité d’un « titre de formation obtenu dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ». Or, la cour établit une distinction nette entre le lieu d’obtention d’un diplôme et la reconnaissance ultérieure de ses effets par un autre État. En l’espèce, le diplôme du praticien a été délivré par une université brésilienne, ce qui constitue un fait constant. Si les autorités italiennes ont, par un acte d’homologation, conféré à ce diplôme la même valeur qu’un titre national italien, cet acte ne saurait en modifier l’origine. La cour l’affirme sans ambiguïté en jugeant que « le titre de formation étranger ainsi reconnu ne saurait être regardé comme un titre de formation obtenu dans un Etat membre ». Cette approche formaliste s’attache à la lettre du texte et refuse d’assimiler l’homologation, qui est une procédure de reconnaissance, à l’obtention même du titre, qui sanctionne un cycle de formation initial.
B. La primauté inconditionnée de la disposition législative nationale
En se concentrant sur le non-respect des conditions posées par l’article L. 4381-4 du code de la santé publique, la cour écarte tous les autres arguments soulevés par les parties. Elle précise en effet annuler la décision contestée « sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens de la requête ». Cette formule, classique en contentieux administratif, démontre la volonté de la juridiction de s’en tenir au moyen le plus opérant, celui qui justifie à lui seul la solution retenue. Le préfet avait d’ailleurs reconnu en première instance avoir commis une erreur en se fondant sur cette disposition. La cour valide cette analyse et refuse d’explorer d’autres fondements juridiques, notamment ceux tirés du droit de l’Union européenne, que les requérants avaient pourtant évoqués. La décision repose donc exclusivement sur le constat d’une application erronée de la loi nationale, dont le caractère clair et précis suffisait à trancher le litige sans qu’il soit nécessaire d’examiner des questions complexes de substitution de base légale ou d’invocabilité de traités internationaux.
Cette interprétation restrictive n’est pas sans conséquence sur le contrôle de l’accès à certaines professions, dont elle vient préciser les contours.
II. La réaffirmation du contrôle national sur l’accès aux professions réglementées
En faisant prévaloir une lecture stricte, la cour réaffirme indirectement la volonté du législateur de garantir un niveau de qualification élevé pour des motifs de santé publique (A), tout en précisant la portée limitée de la reconnaissance intracommunautaire des diplômes pour les ressortissants d’États tiers (B).
A. La sauvegarde des impératifs de santé publique
La condition posée par l’article L. 4381-4 du code de la santé publique vise à assurer que les praticiens autorisés à exercer en France possèdent des compétences et des connaissances conformes aux standards exigés au sein de l’Union européenne. En exigeant que le titre de formation soit « obtenu » dans un État membre, le législateur a entendu garantir que le cursus de formation lui-même, dans son intégralité, a été suivi et validé au sein d’un système d’enseignement supérieur européen. Une procédure d’homologation, si elle peut attester d’une équivalence de niveau académique, ne garantit pas nécessairement que le contenu de la formation, notamment ses aspects pratiques, soit identique à celui dispensé dans l’Union. La décision commentée, en refusant de considérer l’homologation comme suffisante, conforte cette logique protectrice. Elle préserve le pouvoir de contrôle de l’État français sur la qualité des qualifications des professionnels de santé, dans un domaine où l’impératif de protection de la santé des patients demeure prépondérant et justifie des exigences particulièrement strictes.
B. La portée limitée de la reconnaissance intracommunautaire pour les ressortissants d’États tiers
Cet arrêt apporte également un éclairage sur la portée du principe de reconnaissance mutuelle des diplômes au sein de l’Union européenne lorsqu’un ressortissant d’un État tiers est en cause. La solution retenue confirme que la reconnaissance d’un diplôme non communautaire par un État membre ne crée pas un droit automatique à l’exercice professionnel dans les autres États membres pour son titulaire. Chaque État reste maître de définir les conditions spécifiques applicables aux ressortissants d’États tiers, lesquelles sont distinctes et souvent plus restrictives que celles bénéficiant aux citoyens de l’Union en vertu des libertés de circulation. L’arrêt illustre ainsi la cloison qui demeure entre, d’une part, la libre circulation des professionnels européens et, d’autre part, le régime d’autorisation individuelle applicable aux praticiens extracommunautaires. Pour ces derniers, l’homologation de leur diplôme dans un État membre ne constitue qu’une étape, et non une finalité, dans la démarche visant à obtenir une autorisation d’exercice dans un autre État de l’Union.