Cour d’appel administrative de Douai, le 25 juin 2025, n°24DA02163

Par un arrêt en date du 25 juin 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la situation d’un ressortissant étranger, père de deux enfants français, qui contestait le refus de renouvellement de son titre de séjour motivé par une menace à l’ordre public. Un individu de nationalité algérienne, en couple avec une ressortissante française avec qui il a eu deux enfants, s’est vu refuser le renouvellement de son certificat de résidence par un arrêté préfectoral du 14 mars 2023. La même décision l’obligeait à quitter le territoire français sans délai. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Lille, qui, par un jugement du 26 septembre 2024, a annulé l’obligation de quitter le territoire français mais a confirmé le refus de séjour. Le préfet et le ressortissant étranger ont tous deux interjeté appel de ce jugement, conduisant la cour à joindre les deux requêtes. La question posée aux juges était double : d’une part, il s’agissait de déterminer si des condamnations pénales réitérées pouvaient légalement justifier un refus de renouvellement de titre de séjour opposé au parent d’un enfant français, au regard de l’accord franco-algérien et du droit au respect de la vie privée et familiale. D’autre part, il convenait de déterminer si ce même motif de menace à l’ordre public pouvait faire échec à la protection contre l’éloignement dont bénéficie un tel parent en vertu du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour administrative d’appel répond de manière différenciée. Elle juge que la menace à l’ordre public, matériellement établie par la gravité et la réitération des infractions pénales, constitue un motif légal de refus de séjour qui ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’intéressé. En revanche, elle confirme que ce dernier ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire dès lors qu’il remplit les conditions de contribution à l’entretien et à l’éducation de ses enfants français, la loi ne prévoyant pas d’exception à cette protection pour un motif d’ordre public.

Cette décision illustre une scission marquée dans le traitement contentieux du droit au séjour des étrangers parents d’enfants français, où la notion d’ordre public justifie pleinement un refus de titre (I) sans pour autant permettre de déroger à une protection légale absolue contre l’éloignement (II).

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I. L’admission contrôlée de l’ordre public comme motif de refus de séjour

La cour confirme la validité du refus de renouvellement du titre de séjour en s’appuyant sur une application rigoureuse de la notion de menace à l’ordre public (A), tout en procédant à une mise en balance concrète des intérêts au regard du droit à la vie privée et familiale (B).

A. La primauté maintenue de l’ordre public sur le droit au séjour conventionnel

La décision rappelle que le droit au séjour, même lorsqu’il semble découler de plein droit d’un accord international, n’est pas absolu. En l’espèce, le requérant se prévalait des stipulations de l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui prévoit la délivrance d’un certificat de résidence au ressortissant algérien parent d’un enfant français. Toutefois, la cour énonce clairement que « les stipulations de l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ne privent pas l’administration française du pouvoir qui lui appartient, en application de la réglementation générale en vigueur relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, de refuser tout renouvellement du certificat en se fondant sur des motifs tenant à l’ordre public ». Cette affirmation, classique, confirme que les accords bilatéraux en matière d’immigration doivent se combiner avec les prérogatives de puissance publique de l’État d’accueil. L’administration conserve ainsi une marge d’appréciation pour écarter un droit au séjour lorsque la sécurité et la tranquillité publiques sont en jeu, ce que le juge administratif valide sans difficulté.

B. L’appréciation concrète de la menace et sa proportionnalité

Le contrôle du juge ne se limite pas à une validation de principe ; il porte sur la matérialité des faits et leur qualification juridique. La cour prend soin de détailler le casier judiciaire de l’intéressé, relevant six condamnations pénales pour des faits de vol, violence avec arme et usage de stupéfiants. Elle souligne « la gravité des faits commis par l’appelant, de leur réitération et de leur caractère récent » pour conclure que le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation en retenant une menace actuelle pour l’ordre public. Face au moyen tiré de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour procède à une balance des intérêts. Elle reconnaît l’existence d’une vie familiale en France, matérialisée par un couple et deux enfants français, ainsi qu’une insertion professionnelle. Néanmoins, elle juge que ces éléments ne sauraient l’emporter sur l’impératif de protection de l’ordre public. La décision de refus de séjour n’est donc pas considérée comme une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, ce qui témoigne d’une approche où la gravité du trouble causé à la société l’emporte sur l’intensité des liens privés et familiaux.

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II. La consécration d’une protection intangible contre l’éloignement

Alors même qu’elle valide le refus de séjour, la cour neutralise ses effets les plus directs en confirmant l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français. Elle se fonde pour cela sur une application littérale des dispositions protectrices du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (A), ce qui conduit à une situation juridique paradoxale (B).

A. L’application inconditionnelle de l’immunité légale

Le préfet demandait l’annulation du jugement en tant qu’il avait annulé l’obligation de quitter le territoire français. Pour rejeter sa requête, la cour se place sur le terrain de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte dispose que l’étranger père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France ne peut faire l’objet d’une telle mesure, à la condition qu’il contribue effectivement à son entretien et à son éducation. La cour analyse les pièces versées au dossier, telles que « des attestations de la mère de ses filles, de sa belle-famille, de certaines factures (…) et de photographies », et en déduit que l’intéressé remplit bien cette condition matérielle. Contrairement à l’analyse menée sur le droit au séjour, le motif tiré de la menace à l’ordre public n’est ici pas opérant. Les juges appliquent la loi sans y ajouter de condition qu’elle ne prévoit pas, constatant que cette catégorie de protection spécifique n’est assortie d’aucune exception liée à l’ordre public. L’obligation de quitter le territoire a donc été édictée en méconnaissance de la loi.

B. La coexistence paradoxale d’un refus de séjour et d’une impossibilité d’éloignement

Le résultat de cet arrêt est la création d’une situation où un individu est légalement privé du droit de résider en France, mais simultanément protégé contre toute mesure d’exécution forcée de son départ. Cette dissociation entre la légalité du séjour et la possibilité d’éloignement est une particularité bien connue du droit des étrangers. Elle conduit à maintenir sur le territoire des personnes en situation irrégulière, qui ne sont ni régularisables au vu de leur menace à l’ordre public, ni expulsables en raison de leur statut parental. Une telle solution, si elle peut sembler incohérente, traduit un choix du législateur de faire prévaloir de manière absolue l’intérêt de l’enfant à ne pas être séparé de l’un de ses parents. La décision commentée en est une parfaite illustration : la menace à l’ordre public est suffisamment sérieuse pour justifier un refus de titre, mais elle s’efface devant la protection dont la loi entoure le parent d’un enfant français contre l’éloignement. La portée de cette décision confirme ainsi l’étanchéité entre les deux régimes juridiques, celui du droit au séjour et celui du droit à ne pas être éloigné.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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