Cour d’appel administrative de Douai, le 25 juin 2025, n°24DA02449

Dans une décision en date du 25 juin 2025, la Cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conséquences indemnitaires de l’illégalité du retrait de la délégation de fonctions d’une adjointe au maire. En l’espèce, une élue locale s’était vu retirer sa délégation par une décision du maire, laquelle fut ultérieurement annulée par le tribunal administratif pour des motifs étrangers à la bonne marche de l’administration. S’estimant lésée, l’élue a formé une demande indemnitaire auprès de la commune, qui est restée sans réponse. Elle a alors saisi le tribunal administratif, lequel a condamné la commune à lui verser une somme symbolique en réparation de son préjudice moral, mais a rejeté ses conclusions tendant à l’indemnisation de sa perte d’indemnités de fonction. L’élue a interjeté appel de ce jugement, en contestant son évaluation du préjudice, tandis que la commune, par la voie de l’appel incident, a soulevé l’irrecevabilité de la demande initiale pour tardiveté et contesté le principe même de sa responsabilité. La question soumise à la cour portait donc sur la délimitation du droit à réparation d’un élu local à la suite d’une éviction illégale. La juridiction d’appel a confirmé la solution des premiers juges en jugeant que si l’illégalité du retrait et l’omission de consulter le conseil municipal constituaient bien des fautes de la commune, celles-ci n’ouvraient pas droit à l’indemnisation de la perte des indemnités de fonction, celles-ci étant conditionnées à l’exercice effectif des fonctions déléguées. Seul un préjudice moral, distinct de tout préjudice financier, pouvait être retenu. Il convient d’analyser la caractérisation d’une double faute de la collectivité (I), avant d’examiner la portée restrictive que la cour confère à la réparation des préjudices qui en découlent (II).

I. La reconnaissance d’une double faute à la charge de la commune

La cour administrative d’appel retient la responsabilité de la collectivité en s’appuyant sur deux fondements distincts. D’une part, elle consacre la faute résultant de l’illégalité même de l’acte de retrait (A), et d’autre part, elle identifie une faute procédurale autonome tenant à l’absence de saisine de l’organe délibérant (B).

A. La faute résultant de l’illégalité du retrait de délégation

La juridiction d’appel fonde la responsabilité de la commune sur l’illégalité du retrait de la délégation de l’adjointe. Elle rappelle que par un jugement antérieur devenu définitif, le tribunal administratif a annulé l’arrêté litigieux au motif que les raisons de ce retrait étaient « étrangers à la bonne marche de l’administration communale ». La cour confère à cette constatation l’autorité de la chose jugée, ce qui lui permet d’établir sans plus de débat l’existence d’une première faute. En effet, l’annulation contentieuse d’un acte administratif pour illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique qui en est l’auteur. Cette solution est classique et s’inscrit dans une jurisprudence constante. L’originalité de l’espèce ne réside pas dans ce principe, mais dans la nature du motif d’illégalité : le détournement de pouvoir. Le juge a considéré que la décision du maire n’était pas motivée par l’intérêt du service mais par des considérations personnelles, ce qui confère à la faute un caractère aggravé et justifie d’autant plus la recherche de la responsabilité de la commune pour les préjudices qui en auraient découlé.

B. La faute issue de l’omission de saisine du conseil municipal

Outre la faute liée à l’acte lui-même, la cour en identifie une seconde, qui tient à une carence procédurale. Elle relève qu’en méconnaissance des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal n’a pas été invité à se prononcer sur le maintien de l’adjointe dans ses fonctions après le retrait de ses délégations. Or, cette formalité est impérative ; si le maire dispose du pouvoir de retirer les délégations qu’il a consenties, cette décision doit être suivie d’un débat et d’un vote de l’assemblée délibérante sur le statut même de l’adjoint. L’omission de cette étape constitue, selon les termes de l’arrêt, « une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ». Cette analyse a le mérite de distinguer clairement les deux niveaux de décision : le pouvoir propre du maire et la compétence du conseil municipal. En sanctionnant cette omission, la cour réaffirme l’importance du parallélisme des formes et le respect des prérogatives de l’organe collégial, seul compétent pour décider du maintien en fonction d’un de ses membres. Cette seconde faute, bien que distincte de la première, participe à la caractérisation d’un comportement globalement fautif de l’administration municipale.

II. Une appréciation restrictive du préjudice indemnisable

Bien qu’ayant établi l’existence de deux fautes, la cour adopte une approche rigoureuse quant à l’évaluation du préjudice réparable. Elle écarte fermement toute indemnisation du préjudice financier lié à la perte des indemnités (A), tout en confirmant une réparation très mesurée des autres préjudices (B).

A. L’éviction du préjudice financier en dépit de la faute

La requérante demandait le versement des indemnités de fonction dont elle avait été privée durant vingt-et-un mois. La cour rejette cette prétention de manière catégorique en s’appuyant sur la nature même de ces indemnités. Elle rappelle que selon le code général des collectivités territoriales, le versement de celles-ci est subordonné à « l’exercice effectif de fonctions ». Or, à compter du retrait de sa délégation, l’élue n’exerçait plus les attributions qui y étaient attachées. La cour estime que les quelques missions résiduelles accomplies, telles que la célébration de mariages ou la participation à des séances, ne suffisent pas à caractériser cet exercice effectif. Par cette analyse, la juridiction administrative opère une dissociation entre la faute et le préjudice financier. Si la faute est bien la cause de la cessation des fonctions, cette cessation rompt elle-même la condition nécessaire au versement des indemnités. En d’autres termes, l’illégalité de l’éviction ne saurait reconstituer fictivement un service non fait. Cette solution, conforme à la jurisprudence relative au traitement des agents publics illégalement évincés, est transposée ici à la situation des élus locaux, réaffirmant que l’indemnité de fonction n’est pas un salaire mais une compensation pour l’exercice d’une charge publique.

B. La reconnaissance limitée des autres préjudices

Face à ce rejet du préjudice matériel, la cour se penche sur les autres chefs de préjudice. Elle confirme l’indemnisation du préjudice moral à hauteur de la somme de cinq cents euros, allouée par les premiers juges. Ce montant, que l’on peut qualifier de symbolique, vise à réparer l’atteinte à la réputation et le tort moral subis du fait du « caractère vexatoire et calomnieux du retrait de délégation ». Le juge reconnaît ainsi l’existence d’un préjudice moral né de l’illégalité fautive, mais en fait une évaluation minimale, ce qui est fréquent en matière de contentieux administratif. De manière plus significative encore, la cour écarte tout préjudice distinct qui serait né de la seconde faute, à savoir l’absence de saisine du conseil municipal. Elle considère qu’il ne « résulte pas de l’instruction que la seule faute mentionnée au point 6 du présent arrêt serait à l’origine d’un préjudice propre, direct et certain ». Cette position est discutable, car on pourrait soutenir que l’incertitude statutaire dans laquelle l’élue a été laissée constituait un préjudice moral spécifique. En refusant de l’indemniser, la cour fait une application très stricte du lien de causalité et absorbe en quelque sorte le préjudice né de la seconde faute dans la réparation, déjà minime, accordée au titre de la première.

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Hassan KOHEN
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