Cour d’appel administrative de Douai, le 28 août 2025, n°24DA01188

Par un arrêt en date du 28 août 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’expulsion prise à l’encontre d’une ressortissante étrangère menaçant gravement l’ordre public. En l’espèce, une ressortissante algérienne, entrée en France durant son enfance, a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion le 1er février 2022, en raison de multiples condamnations pénales en Belgique et en France, dont une peine de quinze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son conjoint. L’intéressée a saisi le tribunal administratif de Lille pour en obtenir l’annulation, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 23 mai 2024.

Soutenant que la décision d’expulsion méconnaissait les protections prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que son droit au respect de sa vie privée et familiale et l’intérêt supérieur de son enfant, elle a interjeté appel de ce jugement. Elle arguait notamment de sa résidence habituelle en France depuis l’âge de treize ans et de sa qualité de mère d’un enfant français, tout en soulignant l’ancienneté de sa présence et ses attaches familiales sur le territoire. Le préfet, pour sa part, concluait au rejet de la requête en se fondant sur la gravité de la menace que la présence de l’appelante constituait pour l’ordre public.

Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si la présence d’une ressortissante étrangère, malgré des attaches familiales en France et une longue période de présence sur le territoire, constituait une menace grave pour l’ordre public justifiant son expulsion, et si cette mesure n’était pas disproportionnée au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les conditions des protections légales n’étaient pas remplies et que la mesure d’expulsion, au regard de la gravité des faits commis, n’était pas excessive. La décision de la cour s’articule autour d’une interprétation stricte des conditions de protection légale contre l’expulsion, laquelle est complétée par une appréciation rigoureuse de la balance entre les exigences de l’ordre public et le droit à la vie privée et familiale.

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I. Une interprétation stricte des conditions de protection légale

La cour procède à une analyse rigoureuse des conditions posées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour bénéficier d’une protection contre l’expulsion. Elle examine successivement la condition de résidence habituelle depuis l’enfance, qu’elle écarte en se fondant sur une appréciation globale du parcours de vie de l’intéressée (A), puis celle de la résidence régulière de plus de dix ans en tant que parent d’enfant français, qu’elle neutralise en raison de la période d’incarcération (B).

A. L’appréciation de la résidence habituelle : une condition appréciée au regard du parcours de vie global

Le juge administratif rappelle que la protection prévue au 1° de l’article L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile vise les étrangers justifiant d’une résidence habituelle en France depuis l’âge de treize ans. Toutefois, l’arrêt met en lumière que la simple entrée sur le territoire avant cet âge ne suffit pas à caractériser une telle résidence. En effet, la cour relève que si l’intéressée a bien été scolarisée en France dans sa jeunesse, elle a par la suite séjourné de manière prolongée en Belgique, où elle a eu une activité professionnelle, commis des infractions et purgé une peine de prison. Le fait que l’intéressée ait eu deux de ses trois enfants en Belgique et n’ait obtenu son premier titre de séjour en France qu’en 2009 conforte cette analyse.

La cour considère ainsi que « Mme B… ne justifie pas avoir sa résidence habituelle en France depuis l’âge de treize ans ». Cette approche démontre que la notion de résidence habituelle s’apprécie au regard de la continuité et de la stabilité de la présence sur le territoire. Une longue période de vie établie à l’étranger, même entrecoupée de retours en France, suffit à rompre le lien de résidence habituelle exigé par le législateur, et ce, malgré une arrivée précoce sur le sol français. La décision souligne ainsi que cette protection est réservée aux personnes dont le centre des intérêts n’a pas été durablement fixé hors de France après l’âge de treize ans.

B. La neutralisation de la période d’incarcération dans le calcul de la résidence régulière

La cour se penche ensuite sur la protection accordée au parent d’un enfant français résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans, prévue au 4° de l’article L. 631-3 du même code. L’appelante, mère d’une enfant française, avait été titulaire de titres de séjour pendant plus de dix ans. Cependant, la cour énonce de manière claire et non équivoque que « la période d’exécution d’une peine privative de liberté, quelles qu’en soient les modalités d’exécution, ne peut s’imputer dans le calcul de la période de résidence régulière en France de plus de dix ans ».

Cette précision est déterminante pour le sens de la décision. En excluant les années passées en détention du calcul de la durée de résidence régulière, le juge administratif adopte une interprétation stricte de cette condition. La résidence régulière suppose non seulement la possession d’un titre de séjour en cours de validité, mais aussi une présence sur le territoire qui ne soit pas la conséquence d’une contrainte judiciaire. L’incarcération, par nature, prive l’individu de sa liberté d’aller et venir et ne peut donc être assimilée à une période de résidence s’inscrivant dans un projet de vie et d’intégration. Cette solution a pour valeur de renforcer l’exigence d’intégration sociale attachée à la protection légale, en considérant que le temps passé en prison ne saurait conférer des droits supplémentaires à l’étranger en situation irrégulière ou menaçant l’ordre public.

II. Une balance rigoureuse entre ordre public et vie privée et familiale

Après avoir écarté les protections légales spécifiques, la cour se livre à un contrôle de proportionnalité au regard des stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle fait prévaloir la menace grave pour l’ordre public face à un lourd passé pénal (A), tout en relativisant la portée des liens privés et familiaux invoqués par l’intéressée au regard de leur stabilité et de leur intensité (B).

A. La prééminence de la menace grave pour l’ordre public face à un lourd passé pénal

L’arrêt accorde un poids considérable à la notion de menace grave pour l’ordre public. Pour ce faire, le juge ne se contente pas de constater l’existence d’une condamnation, mais procède à une analyse détaillée du parcours délinquant de l’appelante. La cour énumère la nature, la multiplicité et l’étalement dans le temps des infractions, commises sur une période de vingt ans, culminant avec un meurtre. Elle souligne également les incidents survenus durant l’incarcération, comme la détention de stupéfiants ou la tentative d’extorsion sur une codétenue vulnérable.

En conséquence, la cour estime que « la présence en France de Mme B… constitue une menace grave à l’ordre public ». Cette appréciation, qui fait écho à la gravité exceptionnelle des faits, montre que les efforts de réinsertion, bien que reconnus, ne suffisent pas à effacer une menace jugée persistante et sérieuse. La décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif pèse les antécédents criminels, en particulier lorsqu’ils incluent des atteintes à la vie des personnes. La valeur de cette approche réside dans sa réaffirmation que la protection de la société demeure un impératif majeur, capable de justifier des mesures d’éloignement sévères même pour des personnes ayant des liens anciens avec la France.

B. La relativisation des liens privés et familiaux au regard de leur stabilité et de leur intensité

Face à la menace pour l’ordre public, la cour examine les liens privés et familiaux de l’appelante. Si elle reconnaît la présence en France de sa mère, de sa fratrie et de ses trois filles, dont une mineure de nationalité française, elle en minimise la portée. La cour relève qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier […] qu’elle aurait entretenu des relations stables et intenses avec ses deux filles aînées ». Concernant sa fille mineure, elle note que celle-ci a été élevée par sa grand-mère pendant dix ans, qualifiant les liens renoués depuis de « particulièrement récents à la date de l’arrêté contesté ».

Cette analyse démontre que l’existence de liens familiaux ne suffit pas. Le juge en apprécie la substance, la stabilité et l’intensité. Des relations distendues ou récemment établies ne pèsent que d’un faible poids dans la balance. De même, un mariage postérieur à la décision d’expulsion est jugé inopérant pour contester sa légalité. La portée de cette décision est claire : elle signifie que le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait constituer un obstacle absolu à l’expulsion lorsque, d’une part, la menace pour l’ordre public est d’une gravité exceptionnelle et, d’autre part, les liens familiaux invoqués manquent d’une consistance et d’une ancienneté suffisantes pour rendre la mesure disproportionnée. L’arrêt confirme ainsi une jurisprudence exigeante quant à la qualité des liens personnels et familiaux opposés à une mesure d’éloignement fondée sur des motifs d’ordre public.

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Hassan KOHEN
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