Cour d’appel administrative de Douai, le 28 août 2025, n°25DA00011

L’espèce soumise à la cour administrative d’appel le 28 août 2025 met en lumière les prérogatives du juge administratif face à l’inertie de l’administration dans l’application d’une décision de justice devenue définitive. En l’occurrence, une ressortissante étrangère avait sollicité l’annulation d’un arrêté préfectoral refusant de lui délivrer un titre de séjour et l’obligeant à quitter le territoire français. Par un jugement du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen avait annulé cette décision et enjoint au préfet compétent de procéder au réexamen de la situation de l’intéressée dans un délai de trois mois. Le préfet avait interjeté appel de ce jugement. La cour administrative d’appel, par un arrêt du 2 mai 2024, avait rejeté la requête du préfet, rendant ainsi l’injonction de réexamen exécutoire. Constatant l’absence de toute diligence de l’administration à l’expiration du délai imparti, la requérante a saisi de nouveau la cour administrative d’appel, sur le fondement de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, afin que celle-ci assure l’exécution du jugement. Le préfet, en défense, se bornait à indiquer que l’intéressée avait reçu un récépissé l’autorisant à travailler et que sa situation serait examinée ultérieurement par la commission du titre de séjour. Se posait alors la question de savoir si les mesures conservatoires prises par l’administration suffisaient à caractériser l’exécution d’un jugement, et à défaut, quelles mesures coercitives le juge pouvait ordonner pour contraindre l’administration à s’exécuter. Par sa décision du 28 août 2025, la cour administrative d’appel constate la carence persistante de l’administration et prononce une astreinte à son encontre. La décision met ainsi en évidence la distinction entre l’exécution effective d’une injonction et de simples actes de gestion procédurale (I), avant de consacrer le recours à l’astreinte comme un outil nécessaire pour garantir la pleine effectivité du contrôle juridictionnel (II).

I. La consécration de l’inexécution par l’administration

La cour administrative d’appel, pour justifier sa décision, s’attache d’abord à démontrer que l’obligation de réexamen ordonnée par le premier juge n’a pas été respectée. Elle écarte pour cela les arguments du préfet, considérant que la délivrance d’un titre provisoire ne saurait tenir lieu d’exécution (A), caractérisant ainsi une inaction administrative fautive (B).

A. L’insuffisance de la délivrance d’un récépissé

La juridiction administrative rappelle implicitement que l’autorité de la chose jugée s’attache non seulement au dispositif d’une décision, mais également aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. En l’espèce, le jugement du tribunal administratif de Rouen n’ordonnait pas simplement de régulariser provisoirement la situation de la requérante, mais bien de procéder à un « réexamen » complet de son dossier en tenant compte de sa « situation familiale ». La cour souligne que le préfet, « en se bornant à relever que [l’intéressée] a été munie d’un récépissé de demande de titre de séjour l’autorisant à travailler », ne satisfait nullement à cette obligation. En effet, une telle mesure est un acte de gestion administrative courant qui ne présage en rien de la décision finale qui sera prise. L’injonction de réexamen impose à l’administration de reprendre l’instruction du dossier sur le fond et de rendre une nouvelle décision explicite, ce qui n’avait manifestement pas été fait.

B. La caractérisation d’une inaction administrative injustifiée

La décision met en exergue le fait que l’administration n’a pas seulement mal exécuté le jugement, elle ne l’a pas exécuté du tout dans le délai prescrit. La cour constate que le préfet « ne conteste pas ne pas avoir, au jour du présent arrêt, réexaminé la situation » de l’intéressée. Plus encore, elle relève que le représentant de l’État « ne fait état d’aucune difficulté particulière qui aurait été susceptible d’entraver le réexamen ». Cette formule, classique dans le contentieux de l’exécution, permet au juge de vérifier que l’inertie administrative ne résulte pas d’obstacles matériels ou juridiques insurmontables. L’absence de toute justification, couplée au dépassement manifeste du délai de trois mois fixé par le premier juge, suffit à établir une carence fautive. L’arrêt souligne d’ailleurs, à titre de circonstance aggravante, « l’inaction de l’Etat en dépit de deux mesures d’instruction diligentées par la cour », ce qui témoigne d’une résistance persistante et délibérée à se conformer à une décision de justice.

II. Le prononcé de l’astreinte, garantie de l’effectivité de la décision de justice

Face à ce manquement caractérisé, la cour administrative d’appel fait usage des pouvoirs coercitifs que lui confère le code de justice administrative. Elle prononce une astreinte dont les conditions de mise en œuvre sont clairement définies (A) et dont la finalité est de contraindre l’administration à respecter ses obligations, réaffirmant ainsi la portée du contrôle juridictionnel (B).

A. Les conditions de mise en œuvre de la mesure coercitive

La décision commentée est une application directe des dispositions de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, qui autorise la juridiction à prononcer une astreinte en cas d’inexécution d’un de ses jugements. La cour fixe un cadre précis pour cette mesure : elle accorde à l’administration un ultime délai de « deux mois à compter de la notification du présent arrêt » pour justifier de l’exécution de l’injonction. Ce n’est qu’à l’expiration de ce nouveau délai que l’astreinte commencera à courir. Son taux, fixé à « 50 euros par jour de retard », se veut à la fois dissuasif et proportionné. Il ne s’agit pas de sanctionner financièrement l’État pour le préjudice subi par la requérante, mais bien de créer une incitation suffisamment forte pour que le préfet procède enfin au réexamen ordonné près de deux ans auparavant.

B. La portée de l’astreinte comme outil d’effectivité du droit

Au-delà de son aspect purement technique, cette décision revêt une portée de principe quant au rôle du juge administratif. En prononçant une astreinte, la cour ne fait pas que trancher un litige ; elle s’assure que ses décisions ne restent pas lettre morte et produit des effets concrets pour le justiciable. Cet arrêt rappelle que le droit au recours effectif implique non seulement la possibilité de faire annuler une décision illégale, mais aussi d’obtenir l’exécution des décisions de justice qui en découlent. L’astreinte est ici l’instrument privilégié qui permet de vaincre l’inertie de l’administration et de garantir la primauté du droit. Si la solution est propre aux faits de l’espèce, elle illustre de manière exemplaire la détermination du juge administratif à user de ses prérogatives pour assurer le respect de l’autorité de la chose jugée, fondement de l’État de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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