Par un arrêt en date du 28 mai 2025, la cour administrative d’appel de Douai se prononce sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité guinéenne, présent sur le territoire français depuis environ quatre ans et demi, faisait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 8 février 2024. Cette décision l’obligeait à quitter le territoire français sans délai, fixait son pays de destination et lui interdisait le retour sur le territoire pour une durée de trois ans. L’intéressé avait déjà fait l’objet d’une précédente obligation de quitter le territoire en 2021, à laquelle il ne s’était pas conformé.
Saisi par le ressortissant étranger, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lille avait, par un jugement du 19 avril 2024, annulé l’interdiction de retour sur le territoire français, mais avait rejeté le surplus des conclusions, validant ainsi l’obligation de quitter le territoire et le refus de délai de départ volontaire. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, demandant l’annulation des mesures d’éloignement maintenues par le premier juge. Il soutenait notamment que ces décisions étaient insuffisamment motivées, entachées d’irrégularités procédurales, et portaient une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La question soumise à la cour était donc de déterminer si une obligation de quitter le territoire français, assortie d’un refus de délai de départ volontaire, constituait une mesure proportionnée au regard de la situation personnelle et administrative d’un étranger, notamment lorsque la durée de sa présence en France résultait du non-respect d’une précédente mesure d’éloignement.
À cette question, la cour administrative d’appel de Douai répond par l’affirmative. Elle estime que l’arrêté préfectoral n’est entaché d’aucune illégalité et ne porte pas une atteinte excessive aux droits fondamentaux du requérant, compte tenu des circonstances de l’espèce. La cour confirme ainsi la pleine légalité de l’action administrative qui, face à une situation irrégulière consolidée, privilégie les impératifs d’ordre public. La décision de la cour administrative d’appel confirme avec rigueur la marge d’appréciation de l’administration dans l’exercice de son pouvoir d’éloignement (I), tout en rappelant le caractère limité de la protection accordée à un étranger dont la situation administrative est précaire (II).
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I. La confirmation rigoureuse de la marge d’appréciation préfectorale
La cour administrative d’appel valide l’ensemble du raisonnement du préfet en écartant méthodiquement les critiques d’ordre procédural et formel. Elle réaffirme ainsi une application stricte des garanties offertes au ressortissant étranger (A) avant de confirmer la justification légale du refus de lui accorder un délai pour quitter volontairement le territoire (B).
A. Une application stricte des garanties procédurales
Le requérant invoquait plusieurs manquements procéduraux, dont une violation de son droit d’être entendu et une irrégularité de la procédure de contrôle ayant mené à son interpellation. La cour écarte ces moyens en s’en tenant à une interprétation stricte des compétences respectives des autorités administrative et judiciaire. Concernant la régularité des opérations de contrôle, la cour rappelle qu’il « n’appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la régularité des conditions du contrôle et de la retenue qui ont, le cas échéant, précédé l’intervention de mesures d’éloignement ». Cette position classique réaffirme l’étanchéité entre le contentieux de la liberté individuelle, relevant du juge judiciaire, et le contentieux de la police des étrangers.
Quant au droit d’être entendu, principe général du droit de l’Union, la cour estime qu’il a été respecté. Elle constate en effet que l’intéressé a pu faire valoir son point de vue lors de son audition par les services de police, et qu’il n’a pas démontré avoir été empêché de soulever des éléments pertinents pour sa situation. En se satisfaisant de cette audition administrative, la cour considère que l’exigence de permettre à l’administré de présenter ses observations avant l’édiction d’une mesure défavorable a été remplie, sans imposer de formalisme plus contraignant à l’administration.
B. La justification légale du refus de délai de départ volontaire
La décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire est également validée sans réserve par le juge d’appel. Cette mesure, qui déroge au principe du départ volontaire, doit être justifiée par l’existence d’un risque que l’étranger se soustraie à l’obligation de quitter le territoire. La cour constate que le préfet pouvait légalement retenir l’existence d’un tel risque en se fondant sur plusieurs critères prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
En l’espèce, le juge relève que le requérant est entré irrégulièrement en France, n’a pas sollicité de titre de séjour après le rejet de sa demande d’asile, ne dispose pas de documents d’identité valides et, surtout, « s’est soustrait à l’exécution de l’obligation de quitter le territoire français dont il avait fait l’objet le 23 juin 2021 ». L’accumulation de ces éléments, et en particulier le non-respect d’une précédente mesure d’éloignement, suffit à caractériser le risque de fuite et à fonder légalement le refus d’un délai de départ. Le contrôle du juge se limite ici à vérifier que la décision de l’administration repose sur des motifs matériellement exacts et prévus par la loi.
Au-delà de la régularité formelle et procédurale de la décision, c’est sur le terrain de l’appréciation des droits fondamentaux de l’intéressé que la solution de la cour révèle sa portée et invite à une analyse plus substantielle.
II. Une protection conditionnée par la régularité du séjour
L’arrêt illustre la manière dont le juge administratif pondère les droits de l’étranger au regard de sa situation administrative. En l’espèce, la protection conférée par le droit au respect de la vie privée et familiale est interprétée de manière restrictive en raison du caractère précaire et irrégulier du séjour (A), ce qui confère à cette décision la nature d’une solution d’espèce, rigoureuse dans son application des principes existants (B).
A. La prévalence de l’ordre public sur la vie privée en cas de situation irrégulière consolidée
Le moyen principal du requérant reposait sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il soutenait que la mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, compte tenu de ses efforts d’intégration et de la durée de sa présence en France. La cour procède à une mise en balance des intérêts en présence, mais l’analyse penche nettement en faveur de la décision préfectorale.
La cour reconnaît les efforts d’intégration professionnelle de l’intéressé mais les juge insuffisants. Elle oppose à cela une série d’éléments factuels : l’intéressé est célibataire, sans charge de famille en France, et conserve des attaches familiales dans son pays d’origine. Surtout, le juge souligne que sa durée de séjour « a par ailleurs été acquise par la méconnaissance d’une décision l’obligeant à quitter le territoire français ». Cet élément devient central dans l’appréciation de la proportionnalité. En conséquence, la cour conclut que, « quand bien même l’intéressé fait valoir ses efforts d’intégration professionnelle, la décision attaquée d’obligation de quitter le territoire français ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de M. A… au respect de sa vie privée et familiale ». Le fait de s’être maintenu sur le territoire en violation d’une décision de justice antérieure prive de leur poids les liens tissés durant cette période.
B. Une solution d’espèce, illustration de la rigueur du contrôle de proportionnalité
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais plutôt une application classique et rigoureuse des principes directeurs du contentieux de l’éloignement. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est intimement liée aux faits. Sa valeur réside dans sa clarté pédagogique : elle démontre que la protection issue de l’article 8 de la Convention européenne n’est pas inconditionnelle. La durée du séjour, lorsqu’elle est le fruit d’une situation irrégulière et du non-respect d’une mesure d’éloignement, ne peut être opposée efficacement à l’autorité administrative.
La portée de cette décision est donc de confirmer une ligne jurisprudentielle constante qui refuse de faire bénéficier un étranger de sa propre turpitude. En jugeant que le maintien illégal sur le territoire affaiblit considérablement l’invocation du droit au respect de la vie privée et familiale, la cour administrative d’appel envoie un signal clair. Les efforts d’intégration, bien que pris en compte dans le bilan global, ne sauraient à eux seuls suffire à régulariser une situation lorsque celle-ci est marquée par un mépris délibéré d’une précédente décision administrative et juridictionnelle. La solution est juridiquement orthodoxe mais sévère dans son appréciation de la situation individuelle.