Par un arrêt en date du 29 août 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur la légalité de plusieurs décisions prises par un préfet à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un jeune homme, entré en France alors qu’il était mineur, avait été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Devenu majeur, il a sollicité un titre de séjour qui lui a été refusé par le préfet, cette décision étant assortie d’une obligation de quitter le territoire français, d’une interdiction de retour de trois mois et de la fixation du pays de destination. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Rouen avait, par deux jugements successifs, annulé l’ensemble de ces mesures, retenant principalement une erreur manifeste d’appréciation de l’administration quant aux conséquences de ses décisions sur la situation personnelle du requérant, et avait enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour. Le préfet a alors interjeté appel de ces deux jugements. Il appartenait donc à la cour de déterminer si une autorité préfectorale commet une erreur manifeste d’appréciation en refusant le séjour à un jeune adulte, ancien mineur non accompagné, qui justifie d’éléments d’intégration professionnelle récents mais fragiles, tout en conservant des attaches familiales dans son pays d’origine. À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que, dans de telles circonstances, les décisions du préfet ne sont pas entachées d’une appréciation manifestement erronée. Elle annule par conséquent les jugements de première instance et rejette les demandes de l’étranger.
Cette décision illustre le contrôle restreint exercé par le juge sur les décisions de l’administration en matière de police des étrangers, particulièrement quant à l’équilibre entre l’intégration de la personne et les motifs justifiant un éloignement. La cour, en infirmant la position des premiers juges, réaffirme une appréciation rigoureuse des conditions de l’intégration (I), ce qui la conduit à valider l’ensemble des actes administratifs contestés (II).
I. Une appréciation restrictive de l’intégration personnelle et professionnelle
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse détaillée de la situation de l’intéressé, aboutissant à une vision moins favorable que celle du tribunal administratif. Elle opère une pesée des intérêts en présence où l’insertion professionnelle est jugée trop précaire (A) et où les attaches en France sont considérées comme trop faibles (B).
A. La précarité de l’insertion professionnelle retenue par le juge
Le juge d’appel se livre à un examen des pièces du dossier pour évaluer le parcours d’intégration du requérant. Il constate que si ce dernier a bien entamé une formation professionnelle, ses résultats scolaires ont été « très faibles », une situation aggravée par « ses nombreuses absences » et des difficultés linguistiques. La cour relève également qu’un premier contrat d’apprentissage a été rompu après quelques mois seulement.
Face à ces éléments, la signature d’un contrat à durée indéterminée, intervenue seulement trois jours avant les décisions préfectorales, n’est pas jugée suffisante pour renverser l’appréciation de l’administration. La cour estime que « cette seule circonstance ne saurait le faire regarder comme justifiant à cette date d’une insertion ancienne et stable sur le territoire français ». Par cette formule, elle signifie que la stabilité de l’intégration ne peut se déduire d’un unique élément positif et très récent, mais doit résulter d’un parcours cohérent et durable, ce qui faisait défaut en l’espèce.
B. La faiblesse des attaches privées et familiales en France
En complément de l’analyse professionnelle, la cour évalue l’intensité des liens personnels de l’intéressé avec la France. Elle souligne qu’il est « célibataire sans enfant » et qu’il « n’est pas dépourvu d’attaches familiales dans son pays d’origine où il a vécu la majeure partie de son existence ». La mention de contacts périodiques avec ses parents résidant à l’étranger vient renforcer cette idée d’un ancrage familial maintenu hors de France.
Cette constatation est déterminante pour l’application de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En concluant que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, la cour estime que les liens de l’intéressé en France ne sont pas d’une intensité telle qu’ils devraient primer sur les objectifs de la politique migratoire. La décision repose ainsi sur un bilan global où la fragilité des attaches en France l’emporte sur les quelques éléments d’intégration.
L’absence d’erreur manifeste d’appréciation une fois établie, la cour en tire logiquement les conséquences sur la légalité des autres mesures prises par le préfet.
II. La validation en cascade des décisions administratives contestées
Le raisonnement de la cour administrative d’appel entraîne la validation de l’ensemble du dispositif préfectoral. L’annulation de l’obligation de quitter le territoire étant écartée, les décisions qui en dépendent sont également jugées légales (A), de même que sont rejetés les moyens de procédure soulevés par le requérant (B).
A. Le rejet des illégalités soulevées par voie de conséquence et d’exception
Le requérant soutenait que l’obligation de quitter le territoire français était illégale du fait de l’illégalité du refus de séjour. Ce mécanisme, connu comme l’exception d’illégalité, est balayé par la cour. Ayant jugé que le refus de séjour n’était pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, elle en déduit que l’obligation de quitter le territoire, qui en est la suite logique, ne peut être annulée pour ce motif.
De la même manière, la décision fixant le pays de destination et celle interdisant le retour sur le territoire français sont confirmées. La première est jugée conforme dès lors que l’étranger n’établit pas être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans son pays d’origine. Quant à l’interdiction de retour, la cour estime que le préfet, en fixant sa durée à trois mois, a correctement tenu compte des critères légaux, notamment la durée de présence en France et la nature des liens avec le pays.
B. La confirmation de la régularité de la procédure administrative
La cour écarte également l’ensemble des moyens de légalité externe soulevés par le requérant. Elle juge les décisions suffisamment motivées, car elles comportent les « considérations de droit et de fait » nécessaires, et estime que le préfet a bien procédé à un « examen sérieux de la situation » de l’intéressé. Le moyen tiré de l’incompétence du signataire est également rejeté après une simple vérification de la publication de la délégation de signature.
Enfin, et de manière classique, la cour rejette le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu. Elle rappelle que la procédure de demande de titre de séjour offre par elle-même à l’étranger la possibilité de présenter toutes ses observations et de fournir les pièces qu’il juge utiles. En l’absence de preuve qu’il en aurait été empêché, le principe du contradictoire est considéré comme respecté. Cette position confirme une nouvelle fois la latitude dont dispose l’administration dans la gestion de ces procédures.