Cour d’appel administrative de Douai, le 29 janvier 2025, n°23DA02378

La Cour administrative d’appel de Douai, par un arrêt rendu le 29 janvier 2025, se prononce sur le contentieux des sanctions administratives liées à l’emploi d’étrangers. Une société exploitant un restaurant a fait l’objet d’un contrôle de police révélant la présence d’un salarié dépourvu de titre de séjour et de travail. L’administration a infligé à l’employeur une contribution spéciale et une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, après rejet d’un recours gracieux préalable. La société a contesté ces décisions devant le tribunal administratif de Lille, lequel a rejeté ses demandes par un jugement du 29 novembre 2023. Devant la juridiction d’appel, la requérante invoque sa bonne foi lors de l’embauche initiale ainsi que ses difficultés financières pour contester le montant des amendes. Le litige soulève la question de la persistance de l’obligation de vigilance de l’employeur et de l’application immédiate d’une loi supprimant une sanction pécuniaire. L’examen de cette décision permet de souligner la rigueur de l’obligation de vigilance pesant sur l’employeur avant d’analyser l’application impérative du principe de la loi nouvelle.

I. La rigueur de l’obligation de vigilance pesant sur l’employeur d’un ressortissant étranger

A. L’inopposabilité de la bonne foi face au manquement à l’obligation de vérification

L’article L. 8251-1 du code du travail dispose que « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer » un étranger irrégulier. La Cour administrative d’appel de Douai rappelle que l’employeur doit s’assurer que le salarié justifie d’un titre l’autorisant « toujours à exercer une activité salariée ». En l’espèce, l’employeur a admis n’avoir entrepris aucune démarche de vérification postérieurement à la validité de l’autorisation provisoire de séjour dont disposait initialement l’intéressé. La requérante soutient en vain avoir agi avec sincérité dès lors que le manquement présente un caractère purement objectif et tout à fait indépendant de l’intention. Les juges considèrent que la société « ne saurait utilement invoquer ni l’absence d’élément intentionnel du manquement qui lui est reproché, ni sa bonne foi ». La validité de la sanction administrative dépend dès lors de la proportionnalité du montant retenu au regard de la gravité des agissements constatés lors du contrôle.

B. La proportionnalité de la contribution spéciale justifiée par la réitération des faits

Le montant de la contribution spéciale est fixé à « 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti » mais peut être modulé selon les antécédents. La Cour souligne que la société avait déjà fait l’objet d’une « précédente contribution spéciale » en 2018 pour l’emploi de deux autres ressortissants étrangers. L’Office français de l’immigration et de l’intégration a ainsi retenu un montant de 54 750 euros en raison du caractère répété de ces manquements graves. Bien que la requérante invoque des difficultés financières, elle ne produit aucun élément au dossier permettant d’apprécier la réalité ou l’ampleur de sa situation. La sanction n’apparaît pas disproportionnée au regard de « l’exigence de répression effective des infractions » commises par l’entreprise dans le cadre de son activité. Si la matérialité de l’emploi irrégulier justifie le maintien de la contribution spéciale, l’évolution législative récente impose une solution différente concernant les frais de réacheminement.

II. L’application impérative du principe de la loi pénale plus douce en matière de frais de réacheminement

A. L’abrogation législative de la contribution forfaitaire au cours de la procédure contentieuse

La contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement était initialement prévue par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers. Cependant, ces dispositions ont été abrogées par le « VII de l’article 34 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 » pour contrôler l’immigration. La Cour relève d’office ce moyen d’ordre public car l’abrogation a supprimé le fondement textuel de la sanction pécunaire imposée à la société requérante. Cette modification législative intervient alors que l’infraction reprochée n’avait « pas donné lieu à une décision devenue irrévocable » à la date de l’audience. La suppression de la section relative à ces frais « doit s’appliquer à la situation » de l’employeur même si le contrôle est antérieur à la loi. L’effacement rétroactif de la contribution forfaitaire par le législateur contraint ainsi le juge du plein contentieux à substituer la norme nouvelle à la décision initiale.

B. La substitution de plein droit de la norme nouvelle par le juge du plein contentieux

Le juge de l’excès de pouvoir apprécie normalement la légalité d’un acte à la signature mais le plein contentieux obéit à des règles plus souples. En matière de sanctions administratives, il appartient au juge de fond « de faire application d’une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur » durant l’instance. Ce principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce s’étend aux amendes administratives en vertu des principes fondamentaux de notre ordre juridique interne. La juridiction d’appel doit donc prendre une décision qui « se substitue à celle de l’administration » en tenant compte de l’état actuel du droit positif. L’arrêt annule ainsi la part de la sanction correspondant aux frais de réacheminement car la loi nouvelle est devenue plus favorable à l’administré sanctionné. Cette substitution garantit que nul ne soit puni en vertu d’une disposition que le législateur considère désormais comme non nécessaire ou manifestement inopportune.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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