Par une décision du 30 avril 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un jeune majeur anciennement confié à l’aide sociale à l’enfance, refus fondé sur des doutes quant à l’authenticité de ses documents d’état civil. En l’espèce, un ressortissant malien, pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance avant ses seize ans, a sollicité la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » dans l’année suivant son dix-huitième anniversaire. Le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande par un arrêté du 22 mai 2023, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, au motif principal que les documents d’état civil produits pour établir son identité et son âge n’étaient pas probants. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Rouen a confirmé la position préfectorale par un jugement du 25 janvier 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’administration avait commis une erreur dans l’appréciation de la force probante de ses documents, tandis que le préfet persistait à conclure au rejet de la requête.
La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si des irrégularités matérielles relevées sur des actes d’état civil étrangers suffisaient, à elles seules, à remettre en cause leur valeur probante, alors même que le demandeur produisait par ailleurs un ensemble de pièces et documents concordants établissant son identité. La cour administrative d’appel répond par la négative, annulant le jugement du tribunal administratif et l’arrêté préfectoral. Elle estime que le préfet ne pouvait légalement se fonder sur l’absence de justification de l’état civil pour refuser le titre de séjour, dès lors que l’appréciation des documents devait se faire au regard de l’ensemble des éléments versés au dossier. Si cette décision s’inscrit dans une application classique du contrôle juridictionnel sur l’appréciation des preuves par l’administration (I), elle en précise les contours en matière de contentieux de l’état civil des étrangers, renforçant ainsi la sécurité juridique des administrés (II).
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I. L’exercice du contrôle de l’appréciation des preuves par le juge administratif
La cour administrative d’appel, en annulant la décision du préfet, rappelle que l’appréciation de la valeur probante des documents d’état civil étrangers relève d’un examen concret et global (A), qui ne saurait se limiter à la simple constatation d’irrégularités formelles lorsque d’autres éléments corroborent les informations contestées (B).
A. Le principe de la conviction du juge formée au vu de l’ensemble des pièces du dossier
L’arrêt commenté s’appuie sur les dispositions de l’article 47 du code civil, qui pose le principe selon lequel un acte d’état civil étranger fait foi en France. Ce principe n’est toutefois pas absolu, sa force probante pouvant être combattue si « d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». La cour rappelle ainsi la règle fondamentale selon laquelle il appartient au juge administratif, en cas de contestation, « de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties ». Cette formule consacre le pouvoir souverain du juge dans l’appréciation des faits et des preuves qui lui sont soumis.
En l’espèce, l’administration préfectorale s’était fondée sur des avis de la police aux frontières relevant plusieurs non-conformités sur les documents maliens du requérant. Toutefois, la cour ne se considère pas liée par ces analyses techniques. Elle retient une approche holistique, signifiant que la validité d’un état civil ne se juge pas sur un seul document, mais à travers un faisceau d’indices. En procédant de la sorte, le juge administratif ne se contente pas de vérifier l’existence de doutes, mais pèse activement les éléments à charge et à décharge pour déterminer si, au final, la preuve de l’état civil est suffisamment rapportée.
B. La mise en balance des irrégularités matérielles et des éléments concordants
La cour procède à une application méticuleuse de ce principe en examinant concrètement les pièces versées au débat. D’un côté, elle prend acte des défauts relevés par les services spécialisés : « défauts d’alignement et de centrage », « non-conformités » dans le mode d’impression, absence d’un numéro spécifique, abréviations proscrites ou encore une faute d’orthographe. D’un autre côté, elle oppose à ces éléments une série de documents produits par le requérant qui présentent des informations cohérentes et non contestées, notamment un acte de naissance, un jugement supplétif, une carte consulaire et, en appel, une seconde copie d’acte de naissance ainsi qu’un justificatif de demande de passeport.
Le raisonnement de la cour culmine dans l’affirmation que les défauts constatés « ne sont pas de nature à établir, à eux-seuls, le caractère frauduleux ou falsifié des documents produits ». Par cette formule, le juge administratif établit une hiérarchie dans la preuve. Les simples irrégularités formelles, surtout lorsqu’elles concernent des documents provenant de pays où les standards administratifs peuvent différer, ne sauraient l’emporter sur la cohérence d’un ensemble de pièces qui, prises globalement, attestent de l’identité d’une personne. La cour sanctionne ainsi une approche administrative qui aurait isolé des anomalies matérielles sans les confronter à la masse des autres éléments probants fournis par l’administré.
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II. La portée de la solution : un rappel à l’ordre méthodologique pour l’administration
Au-delà de la solution d’espèce, cette décision constitue un rappel important sur la charge de la preuve et la rigueur attendue de l’administration dans l’instruction des demandes de titre de séjour (A), garantissant une protection effective contre l’arbitraire (B).
A. La censure d’une suspicion fondée sur une appréciation parcellaire
En jugeant que le préfet a entaché sa décision d’illégalité, la cour ne se contente pas d’une simple correction d’une erreur d’appréciation. Elle sanctionne une méthode d’instruction jugée défaillante. La décision implique que l’administration, pour écarter un acte d’état civil étranger, ne peut se satisfaire d’une accumulation de soupçons fondés sur des détails techniques. Elle doit, pour renverser la présomption de l’article 47 du code civil, apporter des éléments suffisamment graves, précis et concordants pour établir positivement une fraude, une falsification ou une irrégularité substantielle.
L’arrêt a ainsi une valeur pédagogique pour les services préfectoraux. Il les incite à ne pas s’arrêter à un avis technique, aussi pertinent soit-il, mais à le contextualiser et à le mettre en balance avec l’ensemble de la situation personnelle de l’étranger. En l’occurrence, la cohérence entre les différents documents d’identité et le parcours de l’intéressé, notamment sa prise en charge ancienne par l’aide sociale à l’enfance, constituait un élément de crédibilité que l’administration ne pouvait ignorer. La censure opérée par la cour réaffirme donc l’exigence d’un examen complet, loyal et individualisé de chaque situation.
B. Le renforcement de la sécurité juridique pour les jeunes majeurs anciennement pris en charge
La portée de cette décision est d’autant plus significative qu’elle concerne un public particulièrement vulnérable : les jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance. Pour ces derniers, l’accès à un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile constitue souvent la clé de voûte de leur parcours d’insertion. Remettre en cause leur état civil sur la base de doutes formels revient à fragiliser gravement leur situation administrative et sociale au moment précis où ils accèdent à l’autonomie.
Bien que n’étant pas un arrêt de principe, cette décision vient consolider une jurisprudence protectrice qui exige de l’administration une rigueur accrue dans l’examen des dossiers de ces jeunes. En refusant de valider un refus de séjour fondé sur une appréciation parcellaire des preuves, la cour administrative d’appel garantit que le droit au séjour de plein droit ouvert par la loi ne soit pas vidé de sa substance par une application excessivement suspicieuse des règles relatives à la preuve de l’état civil. Elle rappelle que la finalité de la loi, à savoir favoriser l’insertion des jeunes les plus méritants, doit guider l’interprétation des conditions de sa mise en œuvre.