Cour d’appel administrative de Douai, le 31 juillet 2025, n°24DA01176

Par un arrêt en date du 31 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de regroupement familial opposé à un résident de longue durée. En l’espèce, un ressortissant étranger, titulaire d’une carte de résident et établi en France depuis 1979, avait sollicité en 2021 le droit de faire venir son épouse, avec laquelle il s’était marié dans leur pays d’origine en 2015. Le couple avait deux enfants, dont un mineur au moment de la demande, tous deux résidant à l’étranger.

Par une décision du 10 mars 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande, se fondant sur deux motifs distincts : d’une part, le caractère partiel de la demande qui n’incluait pas l’enfant mineur du couple, et d’autre part, l’insuffisance des ressources du demandeur pour subvenir aux besoins de sa famille. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 12 janvier 2024, a écarté le premier motif comme étant entaché d’illégalité mais a néanmoins rejeté la requête. Les premiers juges ont estimé que le second motif, tiré de l’insuffisance des ressources, était fondé et justifiait à lui seul la décision de refus. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le tribunal ne pouvait neutraliser le motif illégal et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La question posée à la cour était donc de déterminer si l’insuffisance des ressources financières pouvait légalement justifier un refus de regroupement familial, nonobstant l’illégalité d’un autre motif invoqué par l’administration, et si un tel refus respectait les exigences conventionnelles relatives au droit à la vie familiale.

À cette double interrogation, la cour administrative d’appel répond par l’affirmative en rejetant la requête. Elle confirme que si le motif tiré du caractère partiel de la demande était bien illégal, le préfet aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif, non contesté en appel, de l’insuffisance des ressources du foyer. La cour juge en outre que, compte tenu de l’absence de vie commune antérieure sur le territoire national et de la possibilité pour le demandeur de rejoindre sa famille dans son pays d’origine, le refus ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale.

La décision de la cour administrative d’appel illustre la rigueur avec laquelle les conditions du regroupement familial sont appliquées, le critère des ressources constituant un fondement suffisant du refus (I), ce contrôle de légalité s’accompagnant d’une appréciation stricte de l’atteinte portée à la vie familiale (II).

I. L’aval du juge administratif à un refus fondé sur une exigence financière impérative

La cour, tout en censurant une partie de l’argumentation préfectorale (A), valide la décision contestée en confirmant le caractère opérant et suffisant du motif tiré de l’insuffisance des ressources (B).

A. La sanction d’une application erronée de la règle du regroupement familial global

Le préfet avait initialement fondé son refus sur le fait que la demande n’incluait pas l’enfant mineur du couple, en application du principe selon lequel le regroupement est sollicité pour l’ensemble de la famille. Toutefois, le juge d’appel, confirmant l’analyse du tribunal administratif, relève que cette interprétation méconnaît les dispositions de l’article L. 434-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte prévoit en effet qu’« un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l’intérêt des enfants ». En l’occurrence, les juges constatent que le caractère partiel de la demande était justifié par des considérations factuelles précises tenant à la situation de l’enfant.

La cour relève ainsi qu’« à la date de la décision en litige, la seule enfant mineure du couple avait été confiée dès son plus jeune âge à sa tante, qu’elle résidait encore avec elle en République du Congo où elle a effectué toute sa scolarité et qu’elle ne souhaitait expressément pas rejoindre son père en France ». Le juge administratif exerce ici un contrôle entier sur l’appréciation des faits par l’administration et sur l’application de l’exception légale. Il réaffirme que l’intérêt de l’enfant constitue un motif légitime pour déroger à la règle du regroupement de l’ensemble de la cellule familiale, privant de base légale le premier motif de refus retenu par le préfet.

B. La validation de la décision par la prépondérance de la condition de ressources

Malgré la reconnaissance de cette première illégalité, la cour administrative d’appel confirme le jugement de première instance en ce qu’il a maintenu le refus de regroupement familial. Pour ce faire, elle applique la théorie de la neutralisation des motifs, selon laquelle une décision administrative reste légale si un de ses motifs, suffisant à lui seul, est fondé et que l’administration aurait pris la même décision en se basant uniquement sur celui-ci. Le juge constate qu’il « n’est pas contesté à hauteur d’appel que M. A… et son épouse ne remplissent pas les conditions de ressources définies et précisées aux articles L. 434-8 et R. 434-4 précités ».

Or, la condition de ressources stables et suffisantes, appréciées sur les douze derniers mois, constitue une exigence centrale de la procédure de regroupement familial. En jugeant qu’« il résulte de l’instruction que le préfet aurait pris la même décision, s’il n’avait retenu que le seul motif tiré de l’insuffisance des ressources », la cour entérine le caractère déterminant de ce critère financier. Cette approche pragmatique évite l’annulation d’une décision qui serait inéluctablement reprise à l’identique, mais elle confirme surtout que l’incapacité à subvenir aux besoins de la famille constitue un obstacle rédhibitoire au projet d’installation en France, primant sur les éventuelles autres erreurs de l’administration.

Si l’application de la condition de ressources apparaît ainsi comme un élément objectif et décisif, elle doit néanmoins être confrontée au droit au respect de la vie privée et familiale, dont la cour propose une lecture restrictive.

II. Une appréciation rigoureuse du droit au respect de la vie privée et familiale

Le requérant invoquait une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais la cour écarte le moyen en relativisant son degré d’intégration en France (A) et en soulignant l’absence d’obstacle à la constitution de la vie familiale à l’étranger (B).

A. La portée limitée de l’ancrage ancien du demandeur en France

Pour contester l’atteinte à sa vie familiale, le requérant mettait en avant des éléments personnels forts, notamment sa très longue résidence en France, où il est arrivé en 1979 et a accompli toute sa carrière professionnelle avant de prendre sa retraite. Il faisait également état de problèmes de santé et d’une situation financière précaire. La cour prend acte de ces éléments, rappelant que « M. A… réside en France depuis 1979 où il a travaillé, avant d’être admis à la retraite en août 2021 ».

Néanmoins, ces circonstances, qui témoignent d’un ancrage social et personnel indéniable sur le territoire national, ne suffisent pas à emporter la conviction des juges. L’arrêt démontre que, dans le cadre d’une demande de regroupement familial concernant un conjoint n’ayant jamais vécu en France, la solidité de l’intégration du demandeur ne prime pas sur l’appréciation globale de la situation familiale. Le centre des liens familiaux, constitué à l’étranger et n’ayant jamais été transposé en France, demeure un facteur prépondérant dans la balance des intérêts effectuée par le juge.

B. Le poids déterminant de l’absence de vie commune sur le territoire national

L’argumentation de la cour pour écarter la violation de l’article 8 repose de manière décisive sur l’analyse de la vie familiale effective du couple. Le juge souligne qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que le couple ait vécu en France, ni qu’il y ait tissé des liens d’une particulière intensité ». Cette constatation est centrale : le droit à la vie familiale n’emporte pas un droit absolu de choisir le lieu de résidence de la famille, surtout lorsque la vie commune ne préexistait pas dans le pays d’accueil.

De plus, la cour opère un contrôle de la proportionnalité de l’ingérence en examinant l’alternative qui s’offre au demandeur. Elle relève qu’il « n’établit pas, ni même n’allègue, que ces circonstances font obstacle à ce qu’il rejoigne son épouse dans son pays d’origine, dont les membres de la cellule familiale ont d’ailleurs la nationalité ». En l’absence d’un obstacle insurmontable à la reconstitution de la vie familiale dans le pays d’origine commun, le refus de l’administration est considéré comme une mesure proportionnée et nécessaire au contrôle de l’immigration et à la protection du bien-être économique du pays. Cet arrêt confirme ainsi une jurisprudence constante qui conditionne étroitement le droit au regroupement familial à la capacité du demandeur à satisfaire des exigences objectives et à l’absence d’alternative viable pour la vie familiale hors de France.

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Hassan KOHEN
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