Par un arrêt en date du 31 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Douai se prononce sur la situation d’un étranger, reconnu réfugié dans un autre État membre de l’Union européenne, qui s’est vu refuser le séjour en France et a fait l’objet de plusieurs mesures d’éloignement.
En l’espèce, un ressortissant afghan, entré en France en août 2023, a vu sa demande d’asile rejetée comme irrecevable par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, au motif qu’il bénéficiait déjà du statut de réfugié octroyé par les autorités grecques. En conséquence, le préfet de l’Eure a pris un arrêté en date du 26 juin 2024 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l’obligeant à quitter le territoire français sous trente jours, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour d’un an. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 12 novembre 2024, a annulé l’arrêté préfectoral uniquement en tant qu’il désignait l’Afghanistan comme pays de destination possible. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, en demandant l’annulation des autres dispositions de l’arrêté. Il soutenait notamment que l’illégalité de la décision fixant le pays de destination entraînait par voie de conséquence l’illégalité des autres mesures, et que son statut de réfugié lui ouvrait droit à un titre de séjour en France. Le problème de droit soulevé était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’annulation d’une des composantes d’un arrêté préfectoral complexe, en l’occurrence la décision fixant le pays de renvoi, affecte la légalité des autres mesures qu’il contient. D’autre part, la Cour devait préciser si le statut de réfugié accordé par un État membre confère à son titulaire un droit au séjour dans un autre État membre.
La Cour administrative d’appel de Douai rejette la requête. Elle juge que les différentes décisions contenues dans l’arrêté, notamment le refus de séjour, l’obligation de quitter le territoire et l’interdiction de retour, sont juridiquement divisibles de la décision fixant le pays de destination. Elle affirme par ailleurs qu’un étranger reconnu réfugié par un autre État partie à la Convention de Genève ne peut se prévaloir de ce statut pour obtenir de plein droit un titre de séjour en France.
La Cour confirme ainsi l’autonomie des différentes mesures composant un arrêté d’éloignement (I), tout en rappelant la portée territoriale limitée des droits attachés au statut de réfugié (II).
I. L’autonomie affirmée des décisions composant l’arrêté préfectoral
La Cour, en rejetant l’argument d’une annulation en cascade, applique avec rigueur le principe de divisibilité des actes administratifs complexes (A), ce qui la conduit à valider la motivation propre à chaque mesure contestée (B).
A. Le rejet de l’illégalité par voie de conséquence
Le requérant soutenait que l’annulation partielle du jugement de première instance, portant sur la désignation de son pays d’origine comme destination d’éloignement, devait nécessairement invalider l’ensemble de l’arrêté. Cette approche postule une indivisibilité entre les différentes mesures prises par le préfet. La Cour écarte fermement cette thèse en jugeant que « l’annulation de la décision fixant le pays de destination (…) n’implique pas l’annulation par voie de conséquence des décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an ».
Pour ce faire, le juge d’appel rappelle que ces différentes décisions « n’étant pas prises pour l’application de la décision fixant le pays de destination et ne trouvant pas leur base légale dans celle-ci », elles conservent une existence juridique propre. Cette solution, classique en contentieux des étrangers, confirme que l’arrêté préfectoral, bien que matériellement unique, est une construction juridique composée d’actes distincts. Le refus de titre de séjour, l’obligation de quitter le territoire et l’interdiction de retour sont fondés sur la situation administrative de l’étranger en France, tandis que la décision de renvoi se rattache aux garanties dont il bénéficie contre l’expulsion vers un pays où il encourt des risques. L’illégalité de l’une n’entache donc pas la légalité des autres.
B. La validation de la motivation propre à chaque mesure
Découlant de cette autonomie, l’examen de la légalité de chaque mesure s’opère de manière indépendante. La Cour vérifie ainsi que le préfet a suffisamment motivé en fait et en droit chacune de ses décisions. Elle relève que l’arrêté vise les dispositions législatives applicables et expose les faits pertinents, à savoir le rejet de la demande d’asile par l’OFPRA, ce qui justifie le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire.
De même, concernant l’interdiction de retour d’une durée d’un an, le juge constate que l’arrêté « rend compte de l’examen de la situation de [l’intéressé] effectué par le préfet au regard des critères de l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». En procédant à cette vérification distincte pour chaque volet de l’acte, la Cour atteste de leur divisibilité. Le moyen tiré de l’insuffisance de motivation est donc écarté, non pas globalement, mais après une analyse spécifique de chaque composante de l’arrêté, renforçant la cohérence de l’approche fondée sur l’autonomie des actes.
Au-delà de cette question de structure de l’acte administratif, l’arrêt se prononce sur le fond des droits que le requérant pouvait invoquer en France.
II. La portée strictement territoriale des droits attachés au statut de réfugié
La Cour rappelle que la protection offerte par la Convention de Genève ne constitue pas un droit universel au séjour (A), et procède ensuite à une appréciation concrète et proportionnée de la situation personnelle de l’étranger pour valider l’interdiction de retour (B).
A. L’absence d’un droit automatique au séjour en France
Le requérant arguait de son statut de réfugié, reconnu en Grèce, pour revendiquer la délivrance d’une carte de résident en France sur le fondement de l’article L. 424-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La Cour rejette ce moyen en s’appuyant sur une interprétation stricte des conventions internationales. Elle énonce que « si une personne reconnue comme réfugiée (…) par un autre État partie que la France ne peut (…) être reconduite depuis la France dans le pays dont elle a la nationalité, (…) cette personne ne saurait, en principe et sans avoir été préalablement admise au séjour, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France ».
Cette formule clarifie la distinction fondamentale entre la protection contre le refoulement, qui est absolue et s’impose à tout État signataire, et le droit au séjour, qui relève de la souveraineté de chaque État. Le statut de réfugié n’est pas un passeport européen ; il confère des droits principalement dans le pays qui l’a accordé. La Cour souligne que l’intéressé « ne tire pas des stipulations de l’article 7 de la convention de Genève (…) un droit à la délivrance de plein droit de la carte de résident ». Ainsi, la protection due au réfugié ne crée pas d’obligation pour les autres États de l’accueillir et de régulariser sa situation, celui-ci restant soumis aux procédures de droit commun applicables aux étrangers.
B. L’appréciation proportionnée de l’interdiction de retour
Enfin, la Cour examine la proportionnalité de l’interdiction de retour d’une durée d’un an au regard des critères de l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Elle procède à une balance des intérêts en présence. D’un côté, elle prend en compte la faible durée de présence de l’intéressé sur le territoire, son absence d’attaches familiales et d’insertion professionnelle.
De l’autre, elle note l’absence de trouble à l’ordre public et le fait qu’il ne s’agissait pas d’une première mesure d’éloignement. Au terme de cette analyse factuelle, elle conclut que « l’interdiction qui lui a été faite de retourner sur le territoire français pendant une durée limitée à seulement un an ne méconnaît les stipulations et dispositions citées (…) ni dans son principe, ni dans sa durée ». Cette décision d’espèce illustre la méthode du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, où le juge administratif s’assure que la décision de l’administration n’est pas manifestement déséquilibrée, sans pour autant substituer sa propre appréciation à celle du préfet.