Par un arrêt en date du 4 juin 2025, la cour administrative d’appel de Douai a été amenée à se prononcer sur la légalité du retrait d’une autorisation d’exploiter des terres agricoles au profit d’un candidat jugé prioritaire. En l’espèce, une agricultrice avait obtenu une autorisation d’exploiter une surface d’environ cinquante-six hectares en qualité d’associée d’une société civile d’exploitation agricole. Cette décision fut cependant annulée par la juridiction administrative pour un vice de procédure, puis une nouvelle autorisation lui fut délivrée par l’autorité préfectorale. Saisi d’un recours gracieux par un agriculteur concurrent, le préfet a finalement retiré cette seconde autorisation dans le délai de quatre mois et a opposé un refus à la demande de l’exploitante. Celle-ci a contesté ce refus devant le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande. Elle a donc interjeté appel de ce jugement.
Il était ainsi demandé à la cour administrative d’appel si l’autorité administrative pouvait légalement retirer une autorisation d’exploiter des terres agricoles au motif que la situation de la bénéficiaire avait évolué, la plaçant dans un rang de priorité inférieur à celui d’un candidat concurrent au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles. La cour a répondu par l’affirmative, estimant que le retrait était justifié par l’illégalité de la décision initiale et que l’appréciation des priorités respectives des candidats par le préfet était fondée.
La décision de la cour valide ainsi une application stricte des priorités établies par le droit rural, réaffirmant la légalité du retrait d’une décision administrative illégale au profit d’un projet d’installation jugé plus conforme aux objectifs réglementaires (I). Ce faisant, elle consacre une interprétation souple des critères d’éligibilité d’un projet concurrent, privilégiant sa substance économique sur son formalisme juridique (II).
I. La légalité réaffirmée du retrait au profit d’un candidat prioritaire
La cour administrative d’appel confirme la validité de la décision préfectorale en se fondant d’une part sur la régularité de la procédure de retrait de l’acte créateur de droits (A) et, d’autre part, sur une application rigoureuse de la hiérarchie des candidatures prévue par le schéma directeur régional (B).
A. La faculté de retrait d’une autorisation illégale
La décision commentée rappelle que l’administration dispose du pouvoir de retirer une décision individuelle créatrice de droits si celle-ci est illégale et si le retrait intervient dans un délai de quatre mois. En l’espèce, le préfet a exercé cette prérogative après avoir constaté que la situation de l’exploitante avait changé entre sa demande initiale et l’octroi de la seconde autorisation. L’arrêt relève que la requérante était devenue associée au sein de deux autres sociétés, exploitant une surface totale de près de trois cents hectares. Par conséquent, la cour a considéré que le préfet était fondé à retirer l’autorisation accordée, ainsi qu’elle le précise : « le changement de situation de Mme F… est intervenu avant le 20 mai 2021, l’arrêté en litige, pris dans le délai de quatre mois prévu par les dispositions précitées de l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration, doit être regardé comme procédant au retrait de l’arrêté du 20 mai 2021 ». Cette motivation justifie la légalité formelle de l’acte de retrait, indispensable pour permettre une nouvelle appréciation des demandes concurrentes.
B. La stricte application de la hiérarchie des priorités
Au-delà de la seule régularité du retrait, la cour valide le fondement de la décision préfectorale, qui repose sur la comparaison des rangs de priorité des deux candidats. L’évolution de la situation de la requérante a eu pour effet de modifier la nature de son projet. D’une installation ou d’un confortement, celui-ci a été requalifié en simple agrandissement. L’arrêt souligne que sa demande relevait désormais du « 7ème rang de priorité défini au SDREA » et qu’elle « n’était dès lors pas prioritaire par rapport à celle de l’EARL A… G… qui s’inscrit dans le cadre d’une installation relevant du 2ème rang de priorité ». Cette analyse confirme que l’autorité administrative doit, lorsqu’elle est saisie de demandes concurrentes, procéder à une application rigoureuse de l’ordre des priorités. Le juge administratif exerce ici un contrôle complet sur la qualification juridique des opérations et valide le choix de l’administration de privilégier l’installation d’un nouvel agriculteur sur l’agrandissement d’une exploitation déjà très importante.
La confirmation du bien-fondé du retrait et de la hiérarchisation des projets amène la cour à examiner plus en détail les arguments soulevés contre la candidature concurrente, adoptant une vision pragmatique de ses conditions de validité.
II. L’appréciation pragmatique des critères du projet d’installation concurrent
La cour administrative d’appel ne se contente pas de valider le classement des demandes ; elle renforce la position de l’administration en adoptant une lecture extensive et matérielle des conditions que doit remplir une candidature concurrente, tant au regard de la viabilité du projet (A) que de son existence juridique (B).
A. Une approche souple du seuil de viabilité économique
La requérante soutenait que le projet concurrent n’était pas sérieux, notamment car la surface visée était inférieure au seuil de viabilité de quatre-vingt-dix hectares fixé par le schéma directeur régional. La cour écarte cet argument en considérant que la pertinence d’un projet d’installation ne se mesure pas à l’aune d’une atteinte immédiate de ce seuil. Elle estime que le projet, bien que modeste, est cohérent avec l’objectif poursuivi. L’arrêt précise ainsi que si la superficie est inférieure au seuil, « elle lui permet cependant d’installer une exploitation en se rapprochant progressivement du seuil de viabilité, ce qui correspond à l’ordre de priorité n° 2 du SDREA ». Cette interprétation téléologique de la règle favorise les installations progressives et reconnaît qu’un projet peut être viable et prioritaire même s’il ne satisfait pas d’emblée à tous les indicateurs de dimensionnement économique.
B. La prévalence du projet sur le statut juridique de l’exploitant
L’un des arguments de l’appelante consistait à remettre en cause la validité de la candidature concurrente au motif que la société exploitante n’avait pas encore d’existence légale au moment de l’instruction. La cour rejette cette approche formaliste en affirmant que l’absence d’immatriculation de la société n’entache pas la réalité du projet. Pour le juge, « la circonstance que la société à créer, qui peut être unipersonnelle, ne dispose pas d’existence juridique à la date de l’arrêté en litige est sans incidence ». Cette solution est remarquable en ce qu’elle fait prévaloir la substance et le sérieux du projet d’installation, attesté par d’autres éléments comme les démarches entreprises pour bénéficier des aides à l’installation, sur la stricte constitution juridique de la structure. Le juge administratif privilégie ainsi une appréciation concrète de la volonté de s’installer, ce qui renforce la sécurité juridique des porteurs de projet face à des concurrents déjà établis.