Par un arrêt en date du 4 juin 2025, la cour administrative d’appel se prononce sur le pourvoi formé par une commune contre un jugement ayant annulé la révocation d’une de ses agentes. Cette décision est l’occasion pour le juge de rappeler les conditions de la protection fonctionnelle d’un agent public qui dénonce des faits de harcèlement moral, ainsi que l’étendue de son contrôle sur la proportionnalité d’une sanction disciplinaire. L’affaire trouve son origine dans la révocation d’une adjointe technique, sanction fondée par l’autorité territoriale sur deux séries de griefs : d’une part, la dénonciation jugée calomnieuse de faits de harcèlement moral dans une plainte pénale ; d’autre part, des propos injurieux et menaçants tenus à l’encontre du maire.
Saisi par l’agente, le tribunal administratif d’Amiens avait, par un jugement du 27 décembre 2023, annulé la sanction, estimant la dénonciation des faits de harcèlement non fautive et la sanction de révocation disproportionnée au regard des seuls faits d’injures. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la mauvaise foi de l’agente dans sa dénonciation était caractérisée et que la sanction était justifiée par la gravité de l’ensemble des manquements. La question de droit qui se posait à la cour était donc de déterminer si une sanction de révocation, fondée à la fois sur une dénonciation de harcèlement moral et sur des injures, pouvait être maintenue lorsque la mauvaise foi de l’agent dans sa dénonciation n’était pas établie, et si, dans cette hypothèse, la sanction demeurait proportionnée au seul manquement constitué par les injures.
La cour administrative d’appel rejette la requête de la commune. Elle juge que l’administration n’établissant pas la mauvaise foi de l’agente, le dépôt de plainte pour harcèlement moral ne pouvait légalement constituer une faute. Dès lors, examinant la sanction au regard du seul grief restant, les propos tenus envers le maire, elle l’estime disproportionnée. La solution retenue conforte la protection de l’agent qui dénonce un harcèlement (I), tout en réaffirmant la rigueur du contrôle de proportionnalité exercé par le juge sur les sanctions disciplinaires (II).
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I. La protection consolidée de l’agent dénonçant des faits de harcèlement moral
La cour administrative d’appel, pour confirmer l’annulation de la sanction, s’attache d’abord à vérifier si la dénonciation de faits de harcèlement par l’agente pouvait constituer un manquement à ses obligations. Elle conclut par la négative, en retenant une conception stricte de la mauvaise foi (A) et en la distinguant d’un manquement à l’obligation de réserve (B).
A. Une appréciation rigoureuse de la mauvaise foi de l’agent
En vertu d’une jurisprudence constante, la protection légale dont bénéficie un fonctionnaire qui dénonce des faits de harcèlement moral ne cède que s’il est établi qu’il a agi de mauvaise foi. Dans cette affaire, la cour procède à une analyse concrète et détaillée des éléments du dossier pour déterminer si l’administration rapportait cette preuve. Elle constate que, malgré les affirmations de la commune, il « ne ressort pas des pièces du dossier que l’ensemble des faits allégués dans la plainte qu’elle a effectivement déposée seraient matériellement inexacts ou infondés ». Le juge s’appuie sur des éléments concordants, tels que des plaintes similaires déposées par d’autres collègues et plusieurs témoignages faisant état de méthodes de gestion contestables.
Ainsi, le simple classement sans suite de la plainte pénale pour « infraction insuffisamment caractérisée » ne suffit pas à démontrer la mauvaise foi de l’agente. Le juge administratif opère ici une distinction essentielle entre la qualification pénale, qui requiert la réunion de tous les éléments constitutifs d’une infraction, et la mauvaise foi au sens du droit de la fonction publique, qui suppose une intention de nuire et une connaissance de la fausseté des allégations. En l’absence de preuve d’une telle intention, la dénonciation, même si elle n’aboutit pas à une condamnation, reste protégée.
B. Une distinction nécessaire avec le manquement au devoir de réserve
La commune requérante tentait d’assimiler le dépôt de plainte à un manquement au devoir de réserve, en raison de la publicité qui aurait été donnée à l’affaire. La cour écarte ce moyen en examinant les conditions dans lesquelles la dénonciation a été faite. Elle relève qu’il « ne ressort pas plus des pièces du dossier que Mme A… serait en partie à l’origine des articles de presse locale ». Le juge se refuse à imputer à l’agente la responsabilité d’une médiatisation qu’elle n’a pas directement provoquée, dissociant ainsi l’acte de saisine de la justice, qui est un droit, de la publicité qui peut en être faite par des tiers.
Cette analyse réaffirme que le respect de l’obligation de réserve ne saurait interdire à un agent de recourir aux voies de droit pour défendre ses droits et dénoncer des agissements qu’il estime illégaux. Tant que l’agent s’en tient aux procédures prévues, sans organiser lui-même une campagne de dénigrement public, son expression ne peut être qualifiée de fautive. Le premier fondement de la sanction étant écarté, la cour devait alors examiner si le second pouvait, à lui seul, justifier la révocation.
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II. Le contrôle renforcé de la proportionnalité de la sanction disciplinaire
Une fois invalidé le principal grief retenu par le maire, le juge se livre à un contrôle de proportionnalité de la sanction au regard de la seule faute restante. Cette démarche conduit la cour à isoler le manquement avéré (A) pour mieux en conclure au caractère manifestement excessif de la sanction de révocation (B).
A. L’isolement de la faute disciplinaire résiduelle
La méthode du juge consiste à examiner la légalité de la décision en ne tenant plus compte du motif censuré. En l’espèce, seule subsiste la faute tirée des « propos violents, insultants et menaçants à l’égard du maire le 8 juin 2021 ». La cour ne minimise pas cette faute, qu’elle qualifie de nature à justifier une « sanction sévère ». Elle admet donc le principe d’une réponse disciplinaire face à un manquement incontestable aux obligations de courtoisie et de respect de la hiérarchie.
Cependant, l’appréciation de la gravité de cette faute est immédiatement nuancée par la prise en compte du contexte. Le juge relève que les propos ont été tenus dans des circonstances particulières : lors de la notification d’une suspension par voie d’huissier, après une longue absence pour maladie et en l’absence d’usagers. Ces éléments, sans excuser la faute, en minorent la portée et l’impact sur le fonctionnement du service et l’image de la collectivité, préparant ainsi la phase finale du contrôle de proportionnalité.
B. La censure d’une sanction disproportionnée au regard du contexte
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans l’appréciation finale de l’adéquation entre la faute et la sanction. Pour juger la révocation excessive, le juge s’appuie sur un faisceau d’indices. Il prend en considération l’absence de toute sanction disciplinaire antérieure dans la carrière de l’agente au sein de la commune, écartant comme non pertinents des éléments anciens relatifs à un employeur précédent. Il souligne également les évaluations professionnelles globalement positives dont elle a bénéficié.
L’argument décisif réside sans doute dans la comparaison avec l’avis du conseil de discipline. Celui-ci avait proposé à l’unanimité une sanction du premier groupe, à savoir une exclusion temporaire de trois jours. En choisissant d’infliger la sanction la plus lourde de l’échelle des peines, la révocation, le maire s’est non seulement écarté de cet avis mais a pris une mesure en rupture manifeste avec la gravité relative des faits. La cour en conclut que l’autorité territoriale a fait une « inexacte application des dispositions précitées », caractérisant ainsi une erreur de droit dans le choix de la sanction. Cet arrêt illustre la plénitude du contrôle du juge administratif, qui, au-delà de la matérialité des faits, s’assure que la sanction retenue par l’administration demeure une réponse juste et mesurée.