Cour d’appel administrative de Douai, le 4 juin 2025, n°24DA01832

Par un arrêt en date du 4 juin 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité péruvienne, entré sur le territoire français moins de deux ans auparavant, faisait l’objet d’un arrêté préfectoral l’obligeant à quitter le territoire français, assorti d’une interdiction de retour et d’une assignation à résidence. L’intéressé, célibataire et sans enfant en France, avait engagé un parcours de transition de genre et arguait de liens personnels justifiant son maintien sur le territoire, ainsi que de risques encourus en cas de retour dans son pays d’origine.

Saisi d’une demande d’annulation de ces décisions, le tribunal administratif d’Amiens avait rejeté le recours par un jugement du 5 août 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’arrêté d’éloignement portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, et qu’il le soumettait à un risque de traitements inhumains et dégradants. Le problème de droit soulevé portait donc sur la question de savoir si des liens personnels récents, marqués par un parcours de transition de genre, et des craintes générales de persécution dans le pays d’origine suffisaient à faire obstacle à une mesure d’éloignement. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, estimant d’une part que les attaches de l’intéressé en France n’étaient pas d’une intensité telle que le refus de séjour constituait une atteinte excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale. D’autre part, elle a jugé que les risques de traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’étaient pas personnellement établis.

L’analyse de la décision révèle une application rigoureuse des critères d’appréciation du droit au séjour au titre de la vie privée (I), complétée par un contrôle strict de la personnalisation du risque en matière de protection absolue des droits fondamentaux (II).

I. L’appréciation orthodoxe du droit au séjour au regard de la vie privée

La cour d’appel, pour confirmer l’arrêté d’éloignement, a examiné la situation du requérant au prisme de son droit au respect de la vie privée et familiale. Elle a ainsi procédé à une évaluation classique des liens personnels et familiaux (A), tout en accordant un impact mesuré à la situation particulière de transition de genre (B).

A. La confirmation d’une interprétation restrictive des attaches en France

La juridiction administrative rappelle que l’existence de liens personnels et familiaux en France peut justifier la délivrance d’un titre de séjour. Toutefois, l’appréciation de ces liens est soumise à des critères stricts, que la cour applique avec rigueur. Elle relève ainsi qu’il « ressort des pièces du dossier que [l’intéressé], célibataire sans enfant, réside depuis moins de deux années sur le territoire national ». À travers cette formule, la décision met en exergue la brièveté du séjour et l’absence de attaches familiales constituées en France comme des éléments déterminants. La mention d’une « brève relation avec un ressortissant français » qui s’est achevée de manière conflictuelle ne fait que renforcer cette analyse, en soulignant la précarité des liens noués.

Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige des attaches stables, anciennes et intenses pour caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. En l’absence de ces éléments, la cour considère que l’intérêt public, qui commande le contrôle des flux migratoires, prévaut sur la situation personnelle d’un étranger en situation irrégulière. La décision est donc une application classique de la balance des intérêts, sans innovation particulière quant aux critères d’appréciation.

B. La portée limitée de la transition de genre dans l’examen du droit au séjour

Le requérant invoquait notamment son parcours de transition de genre, appuyé par un suivi médical, comme un élément central de sa vie privée en France. La cour prend acte de cette situation, mais refuse de lui conférer une portée décisive pour l’octroi d’un titre de séjour. Le juge administratif note que l’administration a bien procédé à un « examen suffisant de la situation personnelle [de l’intéressé], notamment au regard de sa transition de genre ». Il en voit pour preuve le fait que cette circonstance a conduit à substituer une assignation à résidence à une mesure initiale de placement en rétention administrative.

Cet élément est donc pris en compte, mais davantage sous l’angle des modalités d’exécution de l’éloignement que comme un obstacle à la mesure elle-même. La cour estime que, si louable soit-il, le suivi médical pour une transition de genre ne suffit pas, à lui seul, à constituer des liens personnels et familiaux d’une intensité telle qu’ils rendraient l’éloignement disproportionné. La solution montre que le juge, tout en étant attentif aux nouvelles réalités sociales, les intègre dans le cadre d’analyse existant sans créer de nouvelle catégorie de protection automatique.

Si l’examen de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée laissait une marge d’appréciation, l’argumentation fondée sur les risques de traitements inhumains soulevait une question de protection absolue, que la cour a examinée avec une exigence probatoire accrue.

II. Le contrôle rigoureux du caractère personnel et actuel du risque encouru

Le requérant soulevait également la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants. La cour a rejeté ce moyen en se fondant sur l’exigence d’une démonstration personnelle du risque (A) et en tirant des conclusions déterminantes du comportement même de l’intéressé (B).

A. L’exigence d’un risque personnellement démontré

Conformément à une jurisprudence bien établie, la protection offerte par l’article 3 de la Convention européenne n’est accordée que si l’étranger établit qu’il est personnellement et directement exposé à des risques de traitements prohibés en cas de retour. Une situation générale de violence ou de discrimination dans le pays de destination ne suffit pas. Dans cette affaire, le requérant produisait un rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides sur la situation des minorités de genre au Pérou, attestant que « les autorités de ce pays n’ont pas posé de cadre juridique concret pour la protection de ces personnes qui sont victimes de discrimination quotidiennes ».

Cependant, la cour estime que ces éléments généraux, bien que pertinents, ne permettent pas de démontrer que le requérant serait « personnellement exposé à des traitements inhumains ou dégradants ». Cette solution rappelle que le juge de l’éloignement n’est pas le juge de l’asile. Il n’évalue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, mais un risque réel et immédiat de subir des sévices précis. L’absence de demande d’asile par le requérant est d’ailleurs relevée, suggérant que sa démarche s’inscrit en dehors de ce cadre de protection spécifique.

B. Le comportement de l’individu comme indice de l’absence de crainte

L’élément le plus décisif du raisonnement de la cour réside dans une contradiction factuelle qu’elle met en lumière. Elle observe en effet que, nonobstant ses allégations de craintes, « l’appelant, qui au demeurant n’a pas sollicité le bénéfice de l’asile, avait l’intention de se rendre au Pérou au cours du mois de décembre 2024 et avait acheté à cette fin un billet d’avion ». Ce projet de retour volontaire, attesté par des pièces du dossier, est jugé incompatible avec la réalité de la crainte invoquée au titre de l’article 3.

En utilisant le propre comportement de l’individu comme preuve de l’absence de crédibilité de ses allégations, le juge administratif adopte une posture pragmatique et rigoureuse. Cet élément factuel emporte sa conviction et vide de sa substance l’argumentation fondée sur les risques encourus. La décision illustre ainsi parfaitement le caractère concret de l’appréciation du juge, qui ne se contente pas des affirmations des parties mais les confronte à l’ensemble des pièces du dossier. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est fortement déterminée par les faits, mais qui réaffirme avec force que la protection absolue de l’article 3 ne saurait être dévoyée pour faire échec à une mesure d’éloignement en l’absence de preuves tangibles d’un risque personnel, actuel et non contredit par les actions de l’intéressé lui-même.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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