Par un arrêt en date du 5 juin 2025, la cour administrative d’appel de Douai a été amenée à se prononcer sur la nature juridique des sommes versées par un établissement public hospitalier à ses agents placés en congé de maladie, au regard de leur assujettissement à la taxe sur les salaires. En l’espèce, un groupe hospitalier s’était acquitté de cette taxe au titre de l’année 2017, en incluant dans son assiette les traitements maintenus à ses agents absents pour raison de santé. L’établissement a par la suite réclamé la restitution de la part de la taxe correspondant à ces sommes, arguant qu’elles ne constituaient pas une rémunération en contrepartie d’un travail effectif. Cette réclamation ayant été rejetée par l’administration fiscale, le groupe hospitalier a saisi le tribunal administratif de Lille, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 16 mai 2024. L’établissement a donc interjeté appel de ce jugement, soutenant que les sommes litigieuses devaient être qualifiées de revenus de remplacement, et non de rémunérations imposables au sens de l’article 231 du code général des impôts. Il faisait également valoir que la doctrine administrative ainsi que le principe d’égalité devant l’impôt commandaient une exonération, au même titre que les indemnités journalières versées dans le secteur privé. Le problème de droit soumis à la cour consistait donc à déterminer si le maintien de traitement versé à un fonctionnaire hospitalier en congé de maladie constitue une rémunération soumise à la taxe sur les salaires ou un revenu de remplacement exonéré. La cour administrative d’appel rejette la requête de l’établissement, considérant que ces sommes constituent bien une rémunération imposable et que les autres moyens soulevés sont inopérants.
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I. La confirmation d’une conception extensive de la rémunération assujettie à la taxe sur les salaires
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une interprétation stricte des textes régissant tant le statut de la fonction publique hospitalière que l’assiette de la taxe sur les salaires, qualifiant le maintien de traitement d’avantage statutaire imposable (A) et écartant par là même son assimilation à un revenu de remplacement (B).
A. Le caractère statutaire du maintien de traitement en congé de maladie
La décision commentée s’attache à définir la nature juridique des sommes versées en s’appuyant sur l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986. Ce texte confère au fonctionnaire en activité placé en congé de maladie le droit au maintien de son traitement, intégralement puis partiellement. La cour en déduit que cette prérogative est directement attachée au statut de l’agent public, qui demeure en position d’activité nonobstant la suspension de l’exercice de ses fonctions. Le versement ne découle donc pas d’un mécanisme assurantiel extérieur à la relation d’emploi, mais bien d’une obligation légale incombant à l’employeur public.
C’est ce lien indissociable avec le statut qui conduit le juge à qualifier ce maintien de salaire d’élément de rémunération. La cour énonce ainsi que « le maintien du plein traitement ou d’un demi-traitement dont bénéficie, en vertu de l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986, le fonctionnaire en activité de la fonction hospitalière placé en congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée constitue un avantage statutaire ayant le caractère d’une rémunération ». Cette analyse ancre fermement la nature des sommes dans le cadre de la relation d’emploi statutaire, indépendamment de la fourniture d’une prestation de travail effective durant la période considérée.
B. L’inclusion conséquente dans l’assiette de la taxe sur les salaires
Une fois la qualification de rémunération établie, l’assujettissement à la taxe sur les salaires en découle logiquement au regard de l’article 231 du code général des impôts. Ce dernier dispose que la taxe s’applique aux « sommes payées à titre de rémunérations aux salariés ». La cour met en œuvre un raisonnement syllogistique simple : dès lors que le maintien de traitement est une rémunération, il entre nécessairement dans l’assiette de l’impôt, sauf exception prévue par la loi. Or, le texte n’exclut de l’assiette que les prestations de sécurité sociale versées par l’entremise de l’employeur, catégorie à laquelle n’appartient pas le maintien statutaire du traitement.
En conséquence, la juridiction conclut que « les sommes versées, à ce titre, à un tel agent et dont la charge incombe à son employeur constituent une rémunération entrant dans l’assiette de la taxe sur les salaires ». La solution est dénuée d’équivoque et réaffirme une approche extensive de la notion de rémunération pour l’application de cet impôt, laquelle englobe tous les avantages pécuniaires que l’employeur verse à son personnel en raison du lien d’emploi, qu’ils soient ou non la contrepartie directe d’un travail. Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante qui privilégie l’origine de la somme versée plutôt que sa finalité.
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II. Le rejet des moyens fondés sur l’égalité devant l’impôt et l’interprétation administrative
Face à cette application rigoureuse de la loi fiscale, l’établissement requérant tentait de faire valoir une rupture d’égalité avec le secteur privé (A) ainsi que l’application d’une doctrine administrative qui lui serait favorable (B). La cour écarte cependant ces deux arguments en raison de leur portée limitée dans le cas d’espèce.
A. L’absence de rupture du principe d’égalité devant l’impôt
Le groupe hospitalier soutenait qu’une différence de traitement existait avec les employeurs du secteur privé, lesquels bénéficient d’une exonération de taxe sur les salaires pour les indemnités journalières de sécurité sociale qu’ils versent. La cour réfute cet argument en considérant que la situation des agents publics n’est pas comparable à celle des salariés du privé. Les premiers perçoivent un traitement maintenu en vertu de leur statut, tandis que les seconds reçoivent des prestations d’assurance maladie relevant du régime général de la sécurité sociale.
Le juge estime ainsi que la différence de nature des sommes versées justifie une différence de traitement fiscal. En effet, les impositions ayant été établies conformément à la loi, une éventuelle atteinte au principe d’égalité ne saurait être caractérisée. La cour rappelle implicitement que ce principe ne s’oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de manière différente. La distinction entre un avantage statutaire financé par l’employeur public et une prestation de sécurité sociale financée par des cotisations spécifiques suffit à écarter toute discrimination fiscale.
B. L’inapplicabilité de la doctrine administrative invoquée
L’argument le plus subsidiaire du requérant reposait sur des documents de la doctrine administrative et une réponse ministérielle qui semblaient exclure les revenus de remplacement de l’assiette de la taxe. La cour oppose une fin de non-recevoir procédurale à cette argumentation, sans même examiner le fond de l’interprétation administrative. Elle constate en effet que le contribuable ne peut utilement se prévaloir des garanties prévues par l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
La cour relève que ces garanties ne s’appliquent qu’en cas de rehaussement d’imposition par l’administration, ce qui n’était pas le cas puisque la taxe avait été acquittée sur la base des propres déclarations de l’établissement. Par ailleurs, elle souligne que le contribuable ne peut invoquer le bénéfice d’une doctrine qu’il n’a pas lui-même appliquée lors de sa déclaration initiale. Cette motivation, très classique en contentieux fiscal, rappelle les conditions strictes de mise en œuvre de la garantie contre les changements de doctrine et prive l’argumentation du requérant de toute portée pratique, scellant ainsi le rejet de sa demande.