La cour administrative d’appel de Douai a rendu, le 5 mars 2025, une décision relative au refus de délivrance d’un titre de séjour. Le litige opposait un ressortissant étranger à l’administration préfectorale après le rejet d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour par le travail. Un ressortissant tunisien, présent sur le sol national depuis 2008, sollicitait la régularisation de sa situation au regard de son activité de boulanger. Le tribunal administratif de Rouen avait annulé la décision préfectorale en soulignant une erreur manifeste dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité. Le préfet a interjeté appel contre ce jugement en soutenant que l’intéressé ne justifiait d’aucun motif exceptionnel pour obtenir son titre. La question posée à la juridiction d’appel porte sur l’étendue du contrôle juridique face au pouvoir de régularisation dont dispose l’administration. La cour confirme l’annulation du refus de séjour en raison de l’intégration économique exemplaire du demandeur malgré le caractère irrégulier de son maintien.
I. L’encadrement du pouvoir discrétionnaire face aux accords bilatéraux
A. Le principe de spécialité de l’accord franco-tunisien
La juridiction administrative rappelle que les relations entre la France et la Tunisie sont régies par un accord international spécifique dérogeant au droit commun. Les stipulations de cet accord traitent de manière complète les conditions de délivrance des titres de séjour pour exercer une activité salariée permanente. La cour précise qu’ « un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d’une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 435 1 ». Cette exclusion s’explique par le fait que l’admission au séjour pour travail constitue un point déjà traité par l’accord bilatéral. L’administration doit donc se fonder prioritairement sur les textes conventionnels pour instruire les demandes émanant de ces ressortissants spécifiques. Cette règle de priorité assure une cohérence dans l’application des traités diplomatiques tout en limitant l’invocation directe du code de l’entrée et du séjour.
B. La subsistance d’une faculté de régularisation dérogatoire
L’absence de dispositions relatives à l’admission exceptionnelle dans l’accord n’ôte pas pour autant à l’administration sa liberté de décision en faveur des administrés. Les juges soulignent que les stipulations conventionnelles « n’interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien » hors des conditions habituelles. Cette faculté relève d’un pouvoir discrétionnaire permettant de répondre à des situations personnelles singulières n’entrant pas dans les catégories juridiques strictes. Il appartient à l’autorité préfectorale d’apprécier l’opportunité d’une mesure de faveur en tenant compte de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance. Le préfet conserve ainsi une marge de manœuvre indispensable pour traiter les dossiers présentant des qualités d’intégration ou des parcours de vie notables. Ce pouvoir de régularisation demeure toutefois soumis au contrôle du juge de l’excès de pouvoir afin d’éviter tout arbitraire administratif flagrant.
II. La sanction de l’erreur manifeste d’appréciation de la situation personnelle
A. La consécration d’une insertion professionnelle réussie et pérenne
La cour administrative d’appel analyse minutieusement le parcours professionnel du demandeur pour valider le raisonnement tenu par les premiers juges du fond. L’intéressé justifie de plus de cinq années d’activité continue en qualité de boulanger polyvalent sous couvert d’un contrat de travail à durée indéterminée. Les magistrats retiennent son « insertion professionnelle réussie dans un secteur d’activité confronté à des difficultés de recrutement en Normandie » pour justifier la régularisation. La stabilité de l’emploi occupé et l’implication financière du travailleur dans son entreprise témoignent d’un ancrage économique réel sur le territoire français. Ces circonstances particulières démontrent que l’activité salariée exercée répond à un besoin concret du marché du travail local et mérite une attention bienveillante. La durée du séjour, supérieure à quinze ans, vient renforcer ce constat d’une intégration sociale et matérielle parfaitement aboutie dans la société.
B. L’effacement relatif des griefs liés aux modalités de séjour
L’autorité préfectorale invoquait le maintien irrégulier du requérant sur le territoire ainsi que des mentions de nationalité erronées dans certains contrats de travail. La cour écarte ces arguments en estimant qu’ils ne sauraient occulter l’excellence du parcours professionnel et la durée exceptionnelle de la présence. Le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire malgré les preuves d’une intégration sans faille. L’arrêt confirme que l’administration est « de plein droit » tenue de respecter le principe de proportionnalité entre les fautes passées et les mérites actuels. Cette décision protège les travailleurs étrangers dont l’utilité économique est avérée contre des refus fondés sur une vision strictement comptable des règles de séjour. Le rejet de la requête préfectorale consacre ainsi la primauté de la réalité sociale et professionnelle sur la rigueur formelle des procédures de contrôle.