Cour d’appel administrative de Douai, le 5 mars 2025, n°23DA02365

Par un arrêt en date du 5 mars 2025, la cour administrative d’appel de Douai a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une autorisation de licenciement accordée par l’administration du travail pour un salarié titulaire de mandats représentatifs.

En l’espèce, un salarié d’une société spécialisée dans la production d’articles cosmétiques, exerçant des fonctions d’opérateur de production et détenant un mandat de délégué du personnel, a fait l’objet d’une dénonciation pour des faits d’agression et de harcèlement sexuels. À la suite de ces accusations, l’employeur a diligenté une enquête interne, mis à pied le salarié à titre conservatoire et engagé une procédure de licenciement. Le comité social et économique a émis un avis favorable à la mesure d’éviction. Saisie par l’employeur, l’inspectrice du travail a autorisé le licenciement pour motif disciplinaire par une décision du 12 avril 2021. Le salarié a alors saisi le tribunal administratif d’Amiens d’une demande d’annulation de cette autorisation, mais sa requête a été rejetée par un jugement du 26 octobre 2023. Le salarié a interjeté appel de ce jugement, contestant la régularité de la procédure et la matérialité des faits qui lui étaient reprochés. Il soutenait notamment que la procédure administrative avait méconnu le principe du contradictoire, que l’enquête interne menée par l’employeur était déloyale, et que les faits invoqués n’étaient pas établis ou étaient prescrits, arguant en outre d’un lien entre la demande d’autorisation et ses activités syndicales.

Il convenait dès lors de déterminer si une autorisation de licenciement peut être légalement fondée lorsque la procédure contradictoire a été aménagée pour protéger des témoins et si une seule faute, dont la matérialité est établie, peut à elle seule justifier la mesure, nonobstant la contestation des autres griefs.

La cour administrative d’appel rejette la requête du salarié. Elle juge d’une part que le principe du contradictoire n’a pas été méconnu dès lors que le salarié a été informé de la teneur des témoignages recueillis à son encontre, la non-communication du rapport d’enquête se justifiant par la nécessité de protéger les témoins d’un préjudice grave. D’autre part, elle considère que les faits d’agression sexuelle survenus dans la nuit du 9 au 10 février 2021 sont matériellement établis et d’une gravité suffisante pour justifier, à eux seuls, le licenciement. Par conséquent, les moyens contestant les autres griefs sont jugés inopérants.

Cette décision conduit à examiner la manière dont le juge administratif concilie les exigences de la procédure applicable au licenciement des salariés protégés (I) avant de confirmer que la caractérisation d’une faute d’une gravité exceptionnelle suffit à justifier la rupture du contrat de travail (II).

I. La validation d’une procédure administrative adaptée aux circonstances de l’espèce

La cour administrative d’appel confirme la validité de la procédure suivie par l’inspectrice du travail en admettant d’une part un aménagement du principe du contradictoire (A) et en retenant d’autre part une conception stricte de l’obligation d’information de l’employeur quant aux mandats détenus par le salarié (B).

A. Le respect aménagé du principe du contradictoire

Le droit du salarié protégé à une enquête contradictoire, tel que prévu par l’article R. 2421-11 du code du travail, constitue une garantie fondamentale. Il implique que l’intéressé soit informé des agissements qui lui sont reprochés et qu’il ait accès à l’ensemble des pièces produites par l’employeur. Toutefois, la Cour rappelle la limite à ce principe en des termes clairs : « C’est seulement lorsque l’accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l’inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur. »

En l’espèce, l’administration n’a pas communiqué au salarié le rapport d’enquête interne et les comptes-rendus d’audition des salariés. La cour estime que cette restriction était justifiée par le risque de préjudice grave pour les témoins, qui avaient attesté de comportements inappropriés de la part du requérant. Elle relève que l’appréciation portée sur ce point par l’inspectrice du travail n’est pas utilement contredite. En outre, le juge s’assure que le salarié a pu présenter une défense utile, car il a eu connaissance de la substance des témoignages par d’autres biais, notamment une note d’information et un courrier de l’inspectrice du travail. Cette solution pragmatique établit un équilibre entre le respect des droits de la défense et la protection nécessaire des personnes qui témoignent dans des affaires sensibles de harcèlement ou d’agression, évitant ainsi que la crainte de représailles ne dissuade les victimes et les témoins de s’exprimer.

B. Une conception stricte de l’obligation d’information sur les mandats détenus

Le requérant soutenait également que l’inspectrice du travail avait omis de prendre en compte deux mandats extérieurs à l’entreprise, ce qui aurait vicié son analyse. La cour écarte ce moyen en rappelant la règle selon laquelle il appartient au salarié de porter à la connaissance de son employeur de tels mandats, au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement. Cette charge de la preuve incombe au salarié, sauf s’il est établi que l’employeur en a eu connaissance par un autre moyen.

Dans cette affaire, le juge constate que le salarié n’apporte pas la preuve d’avoir informé son employeur de sa désignation en tant que membre du comité de groupe. Concernant le mandat de membre suppléant du comité d’entreprise européen, l’employeur produit un courrier démontrant que le syndicat à l’origine de la désignation l’avait ultérieurement rapportée. La décision de l’inspectrice du travail, fondée sur les seuls mandats dont l’employeur était informé, n’était donc entachée d’aucune illégalité. Cette approche rigoureuse préserve la sécurité juridique pour l’employeur, qui ne saurait se voir reprocher une méconnaissance d’informations qui ne lui ont pas été formellement transmises.

Après avoir ainsi validé la régularité de la procédure administrative, la cour se livre à un contrôle de la matérialité et de la gravité des faits reprochés, consacrant l’autonomie d’un grief unique pour justifier le licenciement.

II. La consécration de la faute d’une gravité suffisante comme motif autonome de licenciement

La cour administrative d’appel confirme la légalité de l’autorisation de licenciement en s’appuyant sur la valeur probante des éléments issus de l’enquête interne (A) et en appliquant la théorie du motif suffisant, qui rend inopérante la discussion des autres griefs (B).

A. L’appréciation de la force probante de l’enquête interne

Le salarié remettait en cause la loyauté de l’enquête interne, au motif qu’elle avait été conduite par le cabinet d’avocats de l’employeur. Le juge balaie cet argument en précisant qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne s’oppose à une telle externalisation, dès lors que l’impartialité et la loyauté de l’enquête ne sont pas remises en cause. Il constate en l’occurrence que les salariés entendus ont été correctement informés du cadre de l’enquête et qu’il n’est pas établi que les enquêteurs auraient manqué à leurs obligations.

Cette position renforce la légitimité des enquêtes internes comme outil de vérification des faits allégués, y compris les plus graves. Le juge reconnaît une large liberté à l’employeur dans l’organisation de ces investigations, sous réserve d’un contrôle de la loyauté de la démarche. La valeur probante du rapport d’enquête est ainsi affirmée, celui-ci ayant permis d’établir le caractère « circonstancié, précis et constant des déclarations de la personne s’en disant la victime » et leur cohérence avec les éléments matériels vérifiés. Le juge opère ici un contrôle concret et approfondi de la matérialité des faits d’agression sexuelle, qui sont au cœur du litige.

B. L’efficience de la neutralisation des moyens surabondants

L’apport principal de l’arrêt réside dans l’application claire d’un raisonnement fondé sur la gravité intrinsèque d’une seule des fautes reprochées. Après avoir estimé établie la matérialité des faits d’agression sexuelle survenus dans la nuit du 9 au 10 février 2021, la cour juge que « ces faits, qui constituent le premier des deux griefs retenus par l’inspectrice du travail, sont fautifs et suffisent, à eux seuls, à justifier le licenciement ».

Cette affirmation a pour conséquence directe de neutraliser l’ensemble des autres moyens soulevés par le requérant. Les arguments relatifs à la prescription de faits plus anciens, à leur défaut de matérialité ou aux irrégularités procédurales qui les entacheraient deviennent sans objet. La cour indique expressément que l’inspectrice du travail « aurait pris la même décision si elle ne s’était fondée que sur le premier grief ». Ce faisant, elle confirme qu’un acte unique, lorsqu’il revêt un caractère de gravité exceptionnel et porte atteinte à la sécurité et à la dignité d’une autre personne sur le lieu de travail, rompt de manière irrémédiable le lien contractuel et justifie le licenciement, y compris celui d’un salarié protégé. La protection dont ce dernier bénéficie ne saurait en effet faire obstacle à une sanction proportionnée face à un comportement d’une telle nature.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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