Par un arrêt en date du 5 mars 2025, la cour administrative d’appel de Douai se prononce sur la légalité d’une autorisation de licenciement d’une salariée protégée. En l’espèce, une salariée, exerçant les fonctions d’aide médico-psychologique et détenant plusieurs mandats représentatifs, avait fait l’objet d’une procédure de licenciement initiée par son employeur, une association œuvrant auprès de personnes inadaptées. Il lui était reproché d’avoir, avec un de ses collègues, attaché une stagiaire à une chaise au moyen d’un antivol de vélo sur le lieu de travail. Saisi par l’employeur, l’inspecteur du travail avait accordé l’autorisation de licenciement par une décision du 29 juin 2021. La salariée avait alors formé un recours hiérarchique auprès du ministre du travail, lequel fut implicitement rejeté. Saisi par la salariée, le tribunal administratif d’Amiens, par un jugement du 14 décembre 2023, avait annulé la décision de l’inspecteur du travail ainsi que la décision implicite de rejet du ministre, estimant que les faits n’étaient pas d’une gravité suffisante. L’association a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la faute était établie et suffisamment grave pour justifier le licenciement, notamment au regard d’une condamnation pénale pour harcèlement moral à l’encontre de la même stagiaire.
La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était de savoir si le fait, pour une salariée protégée exerçant une mission éducative, d’attacher une stagiaire à son siège constituait une faute d’une gravité suffisante justifiant l’autorisation administrative de son licenciement. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative. Elle annule le jugement du tribunal administratif et rejette les demandes de la salariée, considérant que les faits reprochés sont établis et que leur gravité, appréciée au regard du contexte et des missions de la salariée, justifiait la rupture du contrat de travail. Il convient donc d’analyser le raisonnement de la cour qui établit la matérialité et la gravité de la faute (I), avant de s’interroger sur la portée d’une telle solution qui vient rappeler les limites de la protection accordée au salarié protégé (II).
I. La consécration d’une faute d’une gravité suffisante
La cour administrative d’appel, pour infirmer le jugement de première instance, procède à une analyse rigoureuse des éléments du dossier. Elle établit d’abord la matérialité des faits reprochés à la salariée (A) avant de les qualifier de faute d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement (B).
A. La réappréciation souveraine des faits par le juge administratif
Le juge administratif, exerçant son contrôle sur la décision de l’inspecteur du travail, se livre à une appréciation complète des faits. En l’occurrence, la cour ne se contente pas de prendre acte des différentes versions, mais pèse la force probante des témoignages et des pièces versées au dossier. Elle relève que plusieurs attestations concordantes confirment la version de la stagiaire. Une monitrice-éducatrice atteste avoir trouvé la stagiaire « entravée sur son siège » et l’avoir aidée, tandis qu’une autre agente corrobore ces dires. Face à ces éléments, les arguments de la salariée sont méthodiquement écartés. La cour note que les témoignages produits par cette dernière pour sa défense sont soit le fait de personnes absentes au moment des faits, soit indirects et manquant de précision.
De surcroît, la cour prend en considération un élément extérieur à la procédure administrative, mais directement lié à la relation entre les protagonistes : la condamnation de la salariée par le tribunal judiciaire d’Amiens pour des faits de harcèlement moral commis sur la même stagiaire sur une période incluant la date des faits litigieux. Cet élément, bien que distinct, vient renforcer la crédibilité des accusations et éclairer le contexte dans lequel l’acte a été commis. Ainsi, la cour conclut que les témoignages retenus par l’inspecteur du travail « établissent de façon suffisante que [la salariée] a, le 16 mars 2021, attaché une apprentie à une chaise au moyen d’un antivol de vélo ». Cette démarche illustre le pouvoir du juge de l’excès de pouvoir, qui, sans se substituer à l’administration, contrôle minutieusement que sa décision repose sur des faits matériellement exacts.
B. La caractérisation de la faute au regard des obligations contractuelles
Une fois la matérialité des faits établie, il appartient au juge de contrôler si l’administration a correctement apprécié leur gravité. La cour estime que, malgré les bons états de service de la salariée et l’absence de sanction antérieure, la nature des faits justifiait la mesure de licenciement. Elle qualifie l’acte d’atteinte « à la sécurité physique et psychologique de l’intéressée ».
L’appréciation de la gravité est mise en perspective avec les responsabilités spécifiques de la salariée. La cour souligne que les faits ont été commis sur une « jeune personne placée sous son autorité hiérarchique » et qu’ils sont « en contradiction avec sa mission éducative et protectrice ». C’est cette contradiction fondamentale entre l’acte commis et la nature même des fonctions exercées qui confère aux faits « un caractère de particulière gravité justifiant une sanction de licenciement ». Le raisonnement de la cour dépasse la simple analyse d’un manquement disciplinaire pour l’inscrire dans le cadre des obligations essentielles découlant du contrat de travail et du rôle social de l’employeur. En agissant de la sorte, la salariée n’a pas seulement commis une faute, elle a rompu le lien de confiance et trahi la mission qui lui était confiée.
II. La portée limitée de la protection du salarié protégé
Cet arrêt rappelle que la protection exorbitante du droit commun dont bénéficient les représentants du personnel n’est pas absolue. Elle cède face à une faute d’une gravité suffisante, dont l’appréciation peut être influencée par une décision de la juridiction pénale (A), réaffirmant ainsi la finalité même du statut protecteur (B).
A. L’influence de la condamnation pénale dans l’appréciation de la faute
La décision commentée met en lumière l’articulation entre la procédure administrative et la procédure pénale. Bien que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le disciplinaire ne soit pas absolue en droit du travail, et qu’elle ne lie pas davantage l’inspecteur du travail ou le juge administratif, la condamnation pour harcèlement moral est ici un élément déterminant. La cour s’y réfère explicitement pour écarter les arguments de la salariée relatifs à de bonnes relations avec la stagiaire et à une bonne ambiance de travail. La décision pénale vient objectiver une situation de tension et de souffrance, rendant peu crédible la thèse d’une simple « plaisanterie » avancée par la salariée.
L’arrêt montre que le juge administratif peut s’appuyer sur les constatations du juge pénal pour former sa conviction sur le contexte des faits et sur leur gravité. Sans lier sa décision à celle du juge répressif, il l’intègre comme une pièce maîtresse du dossier qui éclaire l’ensemble des autres éléments. Cette prise en compte est essentielle car elle permet d’appréhender le comportement du salarié dans sa globalité, au-delà du seul fait matériel isolé. La faute disciplinaire n’est plus un simple incident, mais s’inscrit dans un continuum de comportements répréhensibles, ce qui en augmente nécessairement la gravité.
B. La finalité de la protection exorbitante du salarié
En validant l’autorisation de licenciement, la cour rappelle que la protection des salariés investis de fonctions représentatives est fonctionnelle et non personnelle. Elle vise à garantir leur indépendance dans l’exercice de leur mandat et à prévenir toute mesure de rétorsion de la part de l’employeur. Cette protection ne constitue en aucun cas une immunité disciplinaire. Lorsque le salarié commet une faute qui se détache de l’exercice de son mandat et qui est d’une gravité suffisante, son licenciement peut être autorisé.
L’arrêt est une illustration topique de cette limite. Les faits reprochés sont entièrement étrangers à l’activité représentative de la salariée ; ils relèvent d’un comportement personnel sur le lieu de travail. La gravité de ces faits, tenant à une atteinte à la personne d’une stagiaire vulnérable et à une violation des obligations professionnelles les plus fondamentales, rendait la poursuite du contrat de travail impossible. La décision de la cour confirme que le statut protecteur ne saurait faire obstacle à la sanction d’un agissement qui est non seulement une faute contractuelle, mais également un acte qui heurte les principes éthiques et la mission de protection au cœur de l’activité de l’association. La solution réaffirme ainsi un équilibre nécessaire entre la protection des représentants du personnel et le droit de l’employeur de sanctionner les manquements les plus graves.