Par un arrêt en date du 5 mars 2025, une cour administrative d’appel a annulé un jugement d’un tribunal administratif ainsi qu’une décision préfectorale refusant la délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité guinéenne, présent sur le territoire national depuis septembre 2011, s’était vu rejeter sa demande d’asile. Après avoir fait l’objet de deux obligations de quitter le territoire français non exécutées, il a sollicité en 2023 son admission exceptionnelle au séjour.
Le préfet compétent a rejeté sa demande par un arrêté lui refusant le séjour, l’obligeant à quitter le territoire et fixant le pays de destination. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif, qui a rejeté sa requête. Saisie en appel, la cour devait déterminer si l’absence de consultation de la commission du titre de séjour, prévue par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, entachait la décision préfectorale d’illégalité. Le requérant soutenait que sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans rendait cette saisine obligatoire, tandis que le préfet concluait au rejet de la requête. La cour administrative d’appel a considéré que l’administration était tenue de saisir pour avis la commission du titre de séjour avant de refuser une admission exceptionnelle au séjour à un étranger justifiant d’une résidence habituelle de plus de dix ans. Elle a jugé que les pièces produites par le requérant, y compris pour la première fois en appel, suffisaient à établir cette durée de résidence à la date de la décision attaquée. Par conséquent, l’absence de saisine constituait un vice de procédure ayant privé l’intéressé d’une garantie.
L’arrêt sanctionne ainsi un manquement procédural substantiel, rappelant fermement les obligations de l’administration (I), tout en affirmant l’étendue du contrôle du juge dans l’appréciation des faits pertinents (II).
I. La sanction d’un vice de procédure substantiel
La décision commentée réaffirme avec force le caractère obligatoire de la consultation de la commission du titre de séjour (A) et qualifie son omission de vice de procédure privant l’intéressé d’une garantie essentielle (B).
A. Le caractère impératif de la saisine de la commission du titre de séjour
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise une procédure spécifique pour l’examen des demandes d’admission exceptionnelle au séjour fondées sur une résidence habituelle en France supérieure à dix ans. L’article L. 435-1 de ce code impose à l’autorité administrative, lorsqu’elle « envisage de refuser la demande », de soumettre celle-ci pour avis à la commission du titre de séjour. Cette obligation n’est donc pas une simple faculté laissée à la discrétion du préfet, mais bien une formalité substantielle dont le respect conditionne la régularité de la procédure administrative.
La cour prend soin de souligner que cette obligation s’applique même lorsque le fondement de la résidence de dix ans n’est invoqué qu’à titre subsidiaire par le demandeur. Le juge administratif confirme ainsi que l’administration est tenue d’examiner une demande au regard de l’ensemble des dispositions applicables, et de mettre en œuvre les garanties procédurales qui y sont attachées dès lors que les conditions de fait sont susceptibles d’être réunies. L’avis de la commission, bien que non liant pour le préfet, constitue un élément d’éclairage essentiel dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Il permet un examen collégial et approfondi de la situation personnelle de l’étranger, notamment de son degré d’intégration dans la société française.
B. La caractérisation d’une irrégularité substantielle
Pour qu’un vice de procédure entraîne l’annulation d’une décision administrative, il doit avoir privé l’intéressé d’une garantie ou avoir été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision. En l’espèce, la cour applique rigoureusement cette jurisprudence constante. Elle ne se contente pas de constater l’omission de la formalité, mais en évalue les conséquences concrètes pour le requérant. Elle juge que le défaut de saisine de la commission a effectivement « privé l’intéressé d’une garantie ».
Cette garantie n’est pas formelle ; elle est l’assurance que la situation d’un individu ayant tissé des liens durables avec le territoire pendant une décennie sera examinée avec une attention particulière par un organe distinct des services préfectoraux. La cour estime en outre que ce vice « est susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise ». Un avis favorable de la commission, ou même un avis partagé, aurait pu conduire le préfet à porter une appréciation différente sur l’opportunité d’une régularisation. L’annulation se justifie donc pleinement, car la procédure suivie n’a pas permis un examen complet et équilibré de la situation du demandeur, en violation de l’intention du législateur.
Le raisonnement du juge ne se limite pas à la constatation de cette carence procédurale ; il repose également sur une conception extensive de son office quant à l’appréciation des preuves de la résidence.
II. L’office étendu du juge dans l’appréciation de la condition de résidence
La portée de cet arrêt réside particulièrement dans la manière dont le juge apprécie les éléments de preuve pour contrôler le respect de l’obligation de saisine (A), ce qui détermine ensuite la nature précise de l’injonction adressée à l’administration (B).
A. La prise en compte des pièces nouvelles produites en appel
L’un des apports majeurs de la décision est la confirmation explicite que le juge de l’excès de pouvoir doit se placer à la date de la décision attaquée pour apprécier les faits, mais qu’il peut le faire à l’aide de tous les éléments versés au dossier jusqu’à la clôture de l’instruction. La cour affirme qu’il y a lieu de prendre en compte les nombreuses pièces produites par le requérant en appel, « bien qu’elles n’aient pas été jointes à sa demande de régularisation devant le préfet, dès lors qu’elles révèlent une situation de fait prévalant à la date de l’arrêté attaqué ». Cette précision est fondamentale.
Elle signifie que la négligence ou l’incapacité d’un demandeur à fournir un dossier parfaitement complet à l’administration ne le prive pas du droit de voir sa situation de fait réelle prise en compte par le juge. Le juge administratif ne se contente pas de vérifier ce que le préfet savait, mais ce qu’il aurait dû savoir si l’instruction avait été menée à son terme. En l’espèce, les courriers, documents médicaux et témoignages, bien que produits tardivement, ont permis de reconstituer une continuité de présence et d’établir la résidence habituelle sur plus de dix ans, rendant la saisine de la commission incontournable.
B. Une injonction de réexamen encadrée
L’annulation de la décision préfectorale conduit la cour à statuer sur les conclusions à fin d’injonction du requérant. Conformément au motif d’annulation retenu, qui est un vice de procédure, le juge n’ordonne pas la délivrance d’un titre de séjour. Une telle injonction aurait constitué une substitution à l’appréciation de l’administration, ce qui n’est possible qu’en cas de compétence liée. Or, l’admission exceptionnelle au séjour demeure une prérogative du préfet, qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation en la matière.
La cour enjoint donc logiquement au préfet de « procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. A…, après saisine de la commission du titre de séjour ». Cette injonction a pour seul effet de replacer l’administration dans l’obligation de respecter la procédure légale. Le préfet devra, à l’issue de l’avis de la commission, prendre une nouvelle décision qui pourra toujours être un refus, à condition que celui-ci soit légalement fondé et ne procède pas d’une erreur manifeste d’appréciation. L’arrêt illustre ainsi parfaitement le rôle du juge administratif : censeur de la légalité procédurale, il assure le respect des garanties sans pour autant se substituer à l’administrateur actif.