Par un arrêt en date du 6 février 2025, la cour administrative d’appel de Douai a annulé un jugement du tribunal administratif de Rouen qui avait fait droit à la demande d’un ressortissant étranger. Ce dernier, se disant pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant sa majorité, contestait le refus du préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour. Initialement, le requérant avait obtenu gain de cause devant les premiers juges, qui avaient enjoint à l’administration de lui délivrer un titre de séjour portant la mention « salarié ». Le préfet a interjeté appel de cette décision, soutenant que l’identité et l’âge de l’intéressé n’étaient pas établis avec certitude, ce qui faisait obstacle à l’application du régime dérogatoire sollicité. La question de droit soulevée par cette affaire portait sur les modalités d’appréciation par le juge administratif de la force probante des actes d’état civil étrangers lorsque l’administration en conteste l’authenticité. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les doutes émis par l’administration, fondés sur une expertise technique et des incohérences documentaires, suffisaient à écarter des pièces d’état civil, alors même que la minorité de l’intéressé avait été implicitement reconnue lors de son placement judiciaire. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance en considérant que les documents produits étaient dépourvus de valeur probante. Elle a estimé que l’accumulation d’irrégularités formelles, l’absence de légalisation conforme et les contradictions entre les pièces suffisaient à justifier le refus du préfet, sans que les décisions antérieures de placement par l’autorité judiciaire ne puissent lier l’appréciation de l’administration.
L’arrêt illustre ainsi le pouvoir souverain du juge administratif dans l’évaluation des preuves relatives à l’état civil, en affirmant que la présomption de validité d’un acte étranger peut être renversée par un faisceau d’indices concordants (I). En conséquence, la cour adopte une lecture stricte des conditions d’éligibilité au séjour pour les jeunes majeurs anciennement confiés à l’aide sociale à l’enfance, en refusant de lier la décision administrative à des appréciations judiciaires antérieures prises dans un autre cadre (II).
I. La remise en cause de la force probante des actes d’état civil par le juge
La décision de la cour administrative d’appel met en lumière l’articulation entre la présomption de validité des actes étrangers et les pouvoirs de vérification de l’administration, dont le juge est le garant. Si le principe veut que de tels actes fassent foi (A), cette présomption est simple et peut être combattue par la preuve de leur caractère irrégulier ou inexact (B).
A. Le principe de la force probante conditionnelle de l’acte d’état civil étranger
L’article 47 du code civil établit une présomption de validité pour tout acte de l’état civil établi à l’étranger selon les formes locales. Cette disposition constitue le point de départ de l’analyse et vise à faciliter la reconnaissance en France des situations juridiques constituées hors du territoire national. La cour rappelle ce principe en précisant que la force probante d’un tel acte « peut être combattue par tout moyen susceptible d’établir que l’acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact ». Le juge administratif se voit donc confier la tâche de former sa conviction en pesant les arguments et les pièces versées au dossier par chacune des parties.
Dans le cas d’espèce, le requérant avait produit un jugement supplétif et un extrait d’acte de naissance pour attester de son identité et de sa date de naissance. Ces documents, s’ils avaient été considérés comme suffisamment probants par le tribunal administratif en première instance, ont fait l’objet d’un examen approfondi en appel. La cour ne se contente pas d’une simple apparence de validité et procède à une analyse critique, démontrant que la présomption de l’article 47 du code civil n’est pas irréfragable et cède devant des éléments concrets qui en sapent la crédibilité.
B. Le renversement de la présomption par un faisceau d’indices concordants
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une accumulation d’éléments qui, pris ensemble, la conduisent à écarter la valeur probante des documents litigieux. Elle s’appuie largement sur un rapport d’expertise documentaire qui a relevé de multiples anomalies techniques. L’arrêt mentionne ainsi « des mentions pré-imprimées non alignées, un timbre sec présent mais illisible, un timbre humide de l’officier de l’état civil de piètre qualité ». Ces détails matériels, bien que techniques, sont considérés comme des indices sérieux d’une confection frauduleuse ou, à tout le moins, non conforme.
À ces irrégularités s’ajoute un vice de procédure décisif : le défaut de légalisation appropriée. La cour relève que la légalisation a été effectuée par une autorité guinéenne non compétente au regard des conventions applicables, ce qui vicie la forme de l’acte et le rend inopposable en France. Enfin, l’incohérence des informations est un facteur aggravant, la juridiction notant que « la carte d’identité consulaire délivrée (…) comporte une date de naissance différente de celle mentionnée sur les documents d’état civil ». Face à ce faisceau d’indices, la cour conclut que les actes sont « dépourvus de valeur probante », justifiant ainsi la position de l’administration.
II. L’application rigoureuse des conditions d’admission au séjour
La disqualification des pièces d’état civil entraîne des conséquences directes sur l’éligibilité du requérant au dispositif spécifique qu’il invoquait. La cour souligne l’autonomie de l’appréciation de l’administration en matière de droit au séjour par rapport aux décisions judiciaires antérieures (A), ce qui la conduit à une application inflexible de la condition d’âge prévue par la loi (B).
A. L’autorité relative des décisions judiciaires de placement
Le requérant soutenait que sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, ordonnée par une autorité judiciaire, valait reconnaissance de sa minorité et, par extension, de son état civil. La cour écarte cet argument de manière catégorique en affirmant que « la circonstance que les décisions judiciaires confiant [l’intéressé] à l’aide sociale à l’enfance, qui ne constituent pas des jugements en matière d’état civil, n’aient pas remis en cause sa minorité, ne permet pas à l’intéressé de justifier de son état civil ».
Cette distinction est fondamentale : la décision d’un juge des enfants ou d’un juge des tutelles est une mesure de protection prise dans l’urgence et sur la base d’une vraisemblance, elle n’a pas pour objet de statuer avec l’autorité de la chose jugée sur l’état des personnes. L’appréciation de la minorité dans ce cadre est fonctionnelle et vise à protéger une personne présumée vulnérable. En revanche, la délivrance d’un titre de séjour relève d’une procédure distincte où l’administration et, en cas de contentieux, le juge administratif, doivent vérifier de manière stricte que le demandeur remplit toutes les conditions légales, au premier rang desquelles figure un état civil certain.
B. Une condition d’âge impérative et non négociable
Le régime de l’article L. 435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est spécifiquement conçu pour favoriser l’insertion des jeunes majeurs ayant été confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance. Son bénéfice est cependant conditionné à ce que la prise en charge ait débuté « entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans ». La preuve de l’âge au moment du placement est donc un prérequis essentiel.
Dès lors que la cour a jugé que le requérant ne parvenait pas à établir sa date de naissance de manière probante, la condition d’âge ne pouvait être considérée comme remplie. La conclusion s’impose alors d’elle-même : le préfet n’a pas commis d’erreur en refusant le titre de séjour. La cour précise d’ailleurs qu’il n’est même « pas besoin d’examiner par ailleurs si [l’intéressé] justifiait du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation » ou des autres critères d’insertion. Cette approche démontre que la défaillance d’une seule condition suffit à faire échec à toute la demande, sans que le juge n’ait à procéder à un examen global de la situation de l’étranger, ce qui confirme la nature non discrétionnaire de ce prérequis.