Cour d’appel administrative de Douai, le 6 mars 2025, n°23DA01567

Par un arrêt en date du 6 mars 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les modalités d’appréciation du seuil de la soulte conditionnant l’éligibilité au régime de report d’imposition des plus-values d’apport de titres.

En l’espèce, un contribuable a réalisé, à la même date, l’apport des parts de six sociétés distinctes au capital d’une société holding qu’il contrôlait. En contrepartie, il a reçu des titres de la société bénéficiaire ainsi que des soultes pour trois de ces six apports. Le montant total des soultes perçues était inférieur à 10 % de la valeur nominale totale des titres reçus en rémunération de l’ensemble des apports. Le contribuable a ainsi placé les plus-values constatées sous le régime du report d’imposition prévu à l’article 150-0 B ter du code général des impôts. Toutefois, l’administration fiscale a remis en cause le bénéfice de ce régime pour deux des apports, au motif que la soulte versée pour chacun d’eux excédait 10 % de la valeur nominale des titres reçus en contrepartie de ces apports spécifiques. Saisi par le contribuable, le tribunal administratif d’Amiens a validé la position de l’administration par un jugement du 15 juin 2023. Le contribuable a interjeté appel de cette décision, soutenant que les apports constituaient une opération unique et que le respect du seuil de 10 % devait par conséquent s’apprécier de manière globale.

La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si, en cas d’apports multiples et simultanés de titres à une société, le seuil de 10 % prévu par l’article 150-0 B ter du code général des impôts pour le versement d’une soulte doit être apprécié globalement pour l’ensemble de l’opération ou distributivement, pour chaque apport.

La cour administrative d’appel rejette la requête du contribuable. Elle juge que l’administration a correctement apprécié le seuil de 10 % « non pas globalement mais pour chaque apport réalisé avec soulte ». Pour parvenir à cette solution, les juges du fond se fondent sur la volonté des parties matérialisée dans l’acte d’apport ainsi que sur l’hétérogénéité des titres apportés, qui justifiait une valorisation distincte pour chaque ligne d’apport.

Cette décision conduit à confirmer une approche analytique de la condition relative à la soulte (I), consacrant ainsi une interprétation stricte d’un régime fiscal dérogatoire (II).

I. La confirmation d’une approche analytique de la condition de soulte

La cour fonde sa décision sur le rejet de la thèse de l’opération globale (A) pour affirmer une méthode d’appréciation distributive, dictée par les termes mêmes de l’opération (B).

A. Le rejet de l’unicité de l’opération d’apport

Le requérant soutenait que la pluralité d’apports réalisés le même jour au profit d’une même entité devait être considérée comme une opération unique et indivisible. De cette qualification découlerait logiquement une globalisation du calcul du seuil de la soulte. La cour écarte ce raisonnement en s’attachant à la réalité juridique et économique des transactions. Elle relève que le contribuable ne peut se prévaloir d’une fongibilité des apports alors même que ceux-ci concernent des participations dans des sociétés aux formes et aux activités distinctes. En effet, la décision précise que les apports « concernaient des structures juridiques différentes, puisqu’étaient en cause trois SCI, deux SARL et une SAS, ainsi que des secteurs d’activité très diversifiés ». Cette hétérogénéité intrinsèque faisait obstacle à une approche unitaire. Chaque apport de titres constituait une opération juridique distincte, avec sa propre valorisation et ses propres conditions, et ne pouvait être amalgamé dans un ensemble artificiel aux seule fins de satisfaire les conditions d’un régime de faveur.

B. L’affirmation d’une appréciation distributive fondée sur l’acte

Pour justifier l’appréciation séparée de la condition de seuil, la cour s’appuie de manière décisive sur la formalisation de l’opération par le contribuable lui-même. Elle constate qu’il « résulte de l’acte d’apports du 29 juillet 2014 que les apports de titres […] n’ont été assortis d’aucune soulte », tandis que d’autres l’étaient. De surcroît, cet acte détaillait pour chaque apport avec soulte le montant précis de celle-ci et la quantité d’actions remises en échange. La cour souligne que « le contribuable a donc lui-même fait apparaître dans l’acte d’apports une individualisation de la valorisation des différents apports ». En procédant de la sorte, le requérant a lui-même consacré le caractère distinct de chaque opération. La ventilation des soultes n’était pas une simple commodité déclarative, mais bien la traduction d’une réalité économique où chaque soulte venait ajuster « l’inégale valeur des biens apportés et reçus » pour une transaction donnée. L’administration n’a fait que tirer les conséquences fiscales de la structuration juridique et financière choisie et actée par le contribuable.

Cette solution, dictée par une analyse factuelle rigoureuse, s’inscrit dans le cadre plus général d’une application stricte des mécanismes dérogatoires du droit fiscal.

II. La validation d’une interprétation stricte du régime de report

La décision de la cour administrative d’appel rappelle que les régimes de faveur sont d’interprétation stricte (A) et consacre la primauté de l’acte juridique comme fondement de l’imposition (B).

A. Une solution conforme à la nature du régime de faveur

L’article 150-0 B ter du code général des impôts institue un régime de report d’imposition, qui constitue une dérogation au principe de l’imposition immédiate des plus-values de cession à titre onéreux. En tant que tel, ses conditions d’application doivent être interprétées strictement. Admettre une globalisation du calcul du seuil de la soulte reviendrait à permettre à un contribuable de noyer un apport non éligible, car assorti d’une soulte excessive, au milieu d’autres apports sans soulte. Une telle solution serait contraire à l’esprit du texte, qui vise à faciliter les restructurations d’entreprise sans pour autant autoriser des retraits significatifs de liquidités en franchise d’impôt immédiat. En jugeant que le seuil « doit être apprécié distinctement pour chaque opération d’apport », la cour assure le respect de la finalité du dispositif et prévient les montages dont l’objectif serait de contourner cette limitation. Cette orthodoxie juridique garantit la cohérence du système fiscal et le principe d’égalité, en refusant qu’un traitement fiscal avantageux soit obtenu par le biais d’une agrégation artificielle d’opérations distinctes.

B. Une portée rappelant la force engageante des choix du contribuable

Au-delà de la seule question technique du calcul de la soulte, cet arrêt illustre un principe fondamental du droit fiscal : le contribuable est lié par les actes juridiques qu’il a passés. Le choix de procéder à des apports distincts et de les valoriser individuellement dans un acte formel, certifié par un commissaire aux comptes, emporte des conséquences fiscales que le contribuable ne peut ensuite écarter en invoquant une « intention » globale. La structuration juridique d’une opération n’est jamais neutre et détermine son traitement fiscal. Le requérant ne pouvait valablement soutenir que la ventilation des soultes n’avait été opérée que « pour les besoins de la déclaration au fisc », alors que cette ventilation était la conséquence directe de la valorisation hétérogène de ses différents actifs. La décision constitue ainsi une décision d’espèce, dont la solution est largement dictée par les faits, mais sa portée est plus générale. Elle rappelle aux praticiens que la forme juridique est la matière première de la fiscalité et que la cohérence entre les actes passés et les conséquences fiscales revendiquées est une exigence cardinale.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture