Par un arrêt en date du 7 mai 2025, la cour administrative d’appel de Douai a été amenée à se prononcer sur les conditions de régularité de la notification d’un acte administratif et ses conséquences sur le déclenchement du délai de recours contentieux. En l’espèce, un ressortissant étranger avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour auprès des services préfectoraux. Par un arrêté, le préfet a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français. L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par un jugement, le tribunal administratif a rejeté sa demande comme tardive. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le délai de recours n’avait pu commencer à courir, faute de notification régulière de l’arrêté contesté, en raison d’une série d’erreurs imputables aux services postaux. Le préfet, pour sa part, concluait au rejet de la requête en maintenant que la demande de première instance était irrecevable. La question se posait donc de savoir si des erreurs d’acheminement et de distribution du pli recommandé contenant une décision administrative, bien qu’une date de vaine présentation ait été apposée sur l’avis de réception, suffisaient à vicier la notification et à faire obstacle au déclenchement du délai de recours. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, considérant que les circonstances particulières tirées des défaillances avérées du service postal empêchaient de considérer la notification comme ayant été régulièrement accomplie. Par conséquent, elle annule le jugement du tribunal administratif et lui renvoie l’affaire pour qu’il statue sur le fond de la demande.
Cette décision, en précisant les contours de l’exigence d’une notification effective, vient réaffirmer la prééminence de la réalité matérielle sur la simple apparence formelle (I). Elle en tire ensuite la conséquence logique et protectrice pour l’administré, garantissant son droit à un recours effectif par la neutralisation du délai de recours (II).
I. Une conception stricte de la régularité de la notification
L’appréciation par le juge de la régularité de la notification de l’acte administratif repose sur une jurisprudence bien établie, que la cour prend soin de rappeler avant de l’appliquer de manière circonstanciée aux faits de l’espèce.
A. Le rappel de l’exigence d’une preuve de notification certaine
La cour administrative d’appel énonce d’emblée la règle probatoire applicable en matière de notification. Il incombe à l’administration, lorsqu’elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours, de rapporter la preuve que le destinataire de l’acte en a bien reçu une notification régulière. La décision commente ensuite le régime de la preuve en cas de retour du pli recommandé à l’expéditeur. Dans cette hypothèse, la notification est réputée valablement accomplie si le pli porte des « mentions précises, claires et concordantes » attestant de la vaine présentation du courrier à l’adresse de l’intéressé. La cour précise que tel est le cas lorsque le volet de l’avis de réception mentionne une date de présentation et que le motif de non-remise est indiqué. Ce faisant, le juge administratif rappelle le standard exigeant qu’il a forgé, lequel cherche à concilier la sécurité juridique et les prérogatives de l’administration avec le droit à l’information de l’administré. La charge de la preuve pèse ainsi sans équivoque sur l’administration, qui ne peut se prévaloir d’une présomption irréfragable de notification du simple fait d’un retour de courrier.
B. La caractérisation d’une notification irrégulière en dépit des apparences
L’apport principal de l’arrêt réside dans l’application concrète de ces principes. Bien que l’avis de réception produit par la préfecture comportât une date de distribution, la cour ne s’est pas arrêtée à cette simple constatation formelle. Elle a procédé à une analyse approfondie des pièces du dossier qui révélaient une réalité différente. Se fondant sur un courriel des services postaux, elle a relevé que « cet envoi n’a pas été distribué à M. A… en raison, d’une part, d’une erreur lors des opérations initiales de tri automatique puis d’acheminement et, d’autre part, de l’impossibilité de le notifier après sa remise en distribution faute d’identification de son destinataire ». La cour prend également en compte le fait qu’un contrat de réexpédition temporaire du courrier n’avait pas été respecté. Ces « circonstances particulières » suffisent à écarter l’apparence de régularité que pouvait laisser croire l’avis de réception. La décision illustre ainsi parfaitement l’office du juge administratif, qui ne se contente pas d’un examen formel des documents mais procède à une appréciation souveraine des faits pour déterminer si la notification a réellement et effectivement atteint son but, qui est de porter la décision à la connaissance de son destinataire.
II. La sanction de l’irrégularité de la notification
La constatation du vice affectant la notification emporte des conséquences procédurales déterminantes pour les droits du justiciable, le juge d’appel assurant la préservation du droit au recours en annulant le jugement d’irrecevabilité.
A. L’inopposabilité du délai de recours
La conséquence directe et logique de l’irrégularité de la notification est que le délai de recours contentieux n’a pas pu commencer à courir. La cour l’affirme sans détour en jugeant que « l’arrêté en litige ne peut être regardé comme ayant été notifié à l’appelant et le délai de recours de trente jours prévu par les dispositions précitées de l’article R. 776-2 du code de justice administrative n’a ainsi pas commencé à courir ». Cette solution est orthodoxe et fondamentale, car le point de départ du délai est un élément essentiel de la garantie du droit à un recours effectif. En refusant de faire produire des effets à une notification défaillante, même si la défaillance n’est pas imputable à l’administration elle-même mais à son prestataire, la cour réaffirme que la garantie d’être informé prime sur toute autre considération. La tardiveté ne pouvait donc être opposée au requérant, sa demande de première instance étant par conséquent recevable.
B. Le renvoi de l’affaire devant les premiers juges
Ayant établi que le tribunal administratif avait rejeté la demande à tort pour un motif de procédure, la cour annule le jugement attaqué. Plutôt que d’évoquer l’affaire et de statuer elle-même sur les moyens de fond soulevés par le requérant, elle décide de la renvoyer devant le tribunal administratif d’Amiens. Cette décision de renvoi s’explique par le respect du principe du double degré de juridiction. Le tribunal n’ayant pas examiné la légalité interne et externe de l’arrêté préfectoral, il appartient aux premiers juges de le faire. En procédant de la sorte, la cour d’appel garantit à l’administré que son affaire sera pleinement jugée au fond, restaurant ainsi l’effectivité de son droit au juge qui avait été compromise par le jugement d’irrecevabilité. La portée de l’arrêt est donc de garantir que les défaillances dans le processus de notification, quelle qu’en soit l’origine, ne sauraient priver un justiciable de l’examen au fond de son litige.