Cour d’appel administrative de Douai, le 9 avril 2025, n°24DA01404

En l’espèce, un couple de ressortissants algériens, entré en France en 2015, s’y est maintenu de manière irrégulière après l’expiration de leurs visas de court séjour. Leurs demandes d’asile ayant été définitivement rejetées en 2016, ils ont fait l’objet de quatre arrêtés successifs portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français, auxquels ils n’ont pas obtempéré. En 2023, ils ont sollicité leur admission exceptionnelle au séjour au titre de leurs liens privés et familiaux, étant parents de cinq enfants mineurs scolarisés en France. Le préfet de la Seine-Maritime a rejeté leurs demandes par des arrêtés du 7 février 2024, leur a enjoint de quitter le territoire français et a fixé leur pays de destination. Saisi par les intéressés, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leurs recours par un jugement du 14 juin 2024. Le couple a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant de nombreux moyens de légalité externe et interne, notamment la violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale. Le problème de droit soumis à la cour administrative d’appel consistait donc à déterminer si le refus d’accorder un titre de séjour, opposé à des étrangers présents durablement mais irrégulièrement sur le territoire et y ayant noué des liens familiaux, constituait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale. Par un arrêt du 9 avril 2025, la cour a rejeté les requêtes. Elle a estimé que, malgré la durée de présence des requérants et la présence de leurs enfants, leur situation administrative constamment irrégulière, leur insertion professionnelle précaire et l’absence d’isolement dans leur pays d’origine justifiaient la décision du préfet.

Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif examine les conditions d’une régularisation au titre de la vie privée et familiale, en validant une appréciation stricte du pouvoir discrétionnaire de l’administration (I), tout en réaffirmant le cadre classique du contrôle de proportionnalité exercé en la matière (II).

I. La validation d’une appréciation stricte du pouvoir discrétionnaire de l’administration

La cour administrative d’appel conforte la position de l’administration en écartant d’abord les moyens de procédure soulevés par les requérants (A), avant de confirmer que la seule durée de présence ne suffit pas à établir une insertion justifiant une régularisation (B).

A. Le rejet des moyens de légalité externe

Les requérants contestaient la compétence du signataire des actes, la motivation des décisions et l’absence de saisine de la commission du titre de séjour. La cour écarte ces arguments de manière méthodique, rappelant les règles applicables en la matière. Concernant la compétence, elle constate l’existence d’une délégation de signature régulière, précisant que le préfet avait bien donné au directeur des migrations et de l’intégration « délégation à l’effet de signer notamment :  » les décisions relatives à la délivrance et au refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour  » ainsi que les  » mesures d’éloignement des étrangers  » ». De même, le moyen tiré du défaut de motivation est rejeté, le juge estimant que les arrêtés comportaient les éléments de droit et de fait suffisants pour permettre aux intéressés de comprendre les motifs de leur refus de séjour. Enfin, sur la saisine de la commission du titre de séjour, la cour rappelle qu’elle n’est obligatoire que lorsque l’étranger remplit les conditions d’obtention du titre sollicité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, les requérants ne pouvant prétendre à une délivrance de plein droit.

B. L’insuffisance de l’insertion comme critère déterminant du refus

La cour examine ensuite les éléments de la vie privée et familiale des requérants pour valider l’appréciation du préfet. Si elle reconnaît « près de neuf années de présence en France à la date des décisions attaquées », elle oppose immédiatement le fait qu’ils « s’y sont maintenus en toute irrégularité, malgré les quatre précédentes décisions d’éloignement prises à leur encontre ». L’élément central du raisonnement de la cour réside dans l’analyse de leur insertion socio-professionnelle, jugée insuffisante. Elle relève que, malgré cette longue présence, les requérants ne justifient pas d’une « insertion professionnelle stable et offrant les garanties d’une insertion pérenne au sein de la société française ». La situation du mari, dont le contrat de travail émanait d’une société en liquidation judiciaire, et l’absence de projet professionnel de l’épouse sont des facteurs décisifs. Par cette analyse, la cour signifie que la longévité de la présence sur le territoire ne saurait, à elle seule, pallier la précarité de l’intégration et la persistance d’une situation administrative illégale.

La confirmation du refus de régularisation s’appuie ainsi sur une application rigoureuse des critères d’appréciation, mais elle est également l’occasion pour la cour de rappeler les principes qui gouvernent le contrôle de proportionnalité.

II. La réaffirmation du contrôle de proportionnalité en matière de droit au séjour

L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence établie en matière de droit des étrangers, en procédant à une mise en balance classique des intérêts en présence au regard du droit à une vie privée et familiale normale (A) et en apportant une réponse mesurée quant à la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).

A. La mise en balance des intérêts au regard de la vie privée et familiale

Le cœur de l’argumentation des requérants reposait sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sur l’article 6, paragraphe 5, de l’accord franco-algérien. La cour effectue un contrôle de proportionnalité en pesant, d’un côté, la durée du séjour et la vie familiale des intéressés en France, et de l’autre, les impératifs de l’ordre public et le droit de l’État de maîtriser les flux migratoires. Elle conclut que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants. Pour ce faire, elle souligne qu’ils « n’établissent pas être dépourvus d’attaches familiales dans leur pays d’origine, où ils ont vécu la majeure partie de leur vie ». Cet élément, combiné à leur situation irrégulière persistante et à leur faible insertion, fait pencher la balance en faveur de la décision préfectorale. L’arrêt réaffirme ainsi qu’en dépit des liens créés en France, le bilan global de la situation des étrangers peut légalement justifier un refus de régularisation sans méconnaître les garanties conventionnelles.

B. La portée de l’intérêt supérieur de l’enfant

Les requérants invoquaient également l’article 3, paragraphe 1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La cour répond que l’intérêt supérieur de l’enfant est une « considération primordiale », mais non absolue, qui ne confère pas un droit automatique au séjour pour les parents. Elle constate que les décisions contestées « n’ont par elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de séparer M. et Mme A… de leurs cinq enfants mineurs », puisque ces derniers ont la même nationalité et peuvent donc suivre leurs parents. La cour examine également la situation particulière de l’un des enfants, qui souffre de troubles du comportement, mais écarte l’argument en relevant que les parents « n’établissent pas que leur fils ne pourrait pas être pris en charge dans leur pays d’origine, tant du point de vue de sa santé et que du point de vue de sa scolarité ». Cette approche pragmatique confirme que le juge administratif vérifie concrètement si le retour au pays d’origine compromet l’intérêt de l’enfant, mais n’en déduit pas une impossibilité de principe à l’éloignement de la famille.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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