Par un arrêt en date du 9 juillet 2025, une cour administrative d’appel a précisé les contours de l’obligation de motivation pesant sur l’avis rendu par un conseil de discipline dans la fonction publique hospitalière. En l’espèce, une agente des services hospitaliers qualifiés, titularisée en 2017, a fait l’objet d’une suspension de fonctions en juin 2020, suivie d’une sanction de révocation en avril 2021. L’agente a saisi le tribunal administratif de Lille d’une demande d’annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 28 mars 2024, les premiers juges ont annulé la décision de révocation au motif que l’avis du conseil de discipline était insuffisamment motivé et ont enjoint à l’établissement hospitalier de réintégrer l’intéressée. L’établissement public a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline comportait des mentions suffisantes pour satisfaire à l’exigence de motivation. Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si le procès-verbal d’une séance du conseil de discipline, qui retrace les débats et le résultat du vote mais n’identifie pas précisément les faits que l’instance a considérés comme établis pour fonder sa proposition de sanction, constitue un avis suffisamment motivé au sens de la loi. La cour a répondu par la négative, jugeant qu’une telle motivation était insuffisante, ce qui avait pour effet de priver l’agente d’une garantie et d’être susceptible d’influencer la décision de l’autorité disciplinaire.
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I. L’exigence réaffirmée d’une motivation substantielle de l’avis du conseil de discipline
La décision commentée confirme avec rigueur le niveau d’exigence requis pour la motivation de l’avis du conseil de discipline, en précisant que celle-ci doit être matérielle et non simplement formelle (A), afin de garantir le respect des droits de l’agent et d’éclairer l’autorité investie du pouvoir disciplinaire (B).
A. Le rejet d’une motivation procédurale apparente
Le juge d’appel écarte l’argumentation du centre hospitalier selon laquelle la production du procès-verbal de la séance du conseil de discipline suffisait à établir la motivation de l’avis. Si le procès-verbal relatait bien les discussions, les opérations de vote et le sens de la proposition finale, la cour a estimé que ces éléments étaient insuffisants. Elle souligne en effet que, dans une situation où l’instance disciplinaire s’écarte de la sanction initialement proposée par l’administration et où plusieurs griefs sont examinés, la simple transcription des débats ne suffit pas. Le juge administratif exige une motivation plus approfondie, qui permette de comprendre le raisonnement du conseil.
L’arrêt précise ainsi que « les seules mentions du procès-verbal ne permettent pas de déterminer les faits que la commission administrative paritaire a regardé comme établis et constitutifs de fautes disciplinaires qui l’ont amenée à arrêter la sanction proposée et son quantum ». En d’autres termes, le conseil de discipline doit non seulement rendre une proposition, mais aussi exposer les motifs de fait et de droit qui la sous-tendent. Cette exigence vise à s’assurer que l’avis n’est pas le fruit d’un compromis opaque, mais bien le résultat d’une analyse juridique circonstanciée des faits reprochés à l’agent. La solution retenue s’inscrit dans une jurisprudence constante qui considère la motivation des avis des organismes consultatifs comme une garantie essentielle.
B. Une clarification au service d’une double garantie
En jugeant l’avis insuffisamment motivé, la cour rappelle la finalité de cette obligation, qui est double. D’une part, elle constitue une garantie fondamentale pour le fonctionnaire poursuivi, qui doit pouvoir comprendre sur quelle base factuelle et juridique le conseil de discipline a fondé sa proposition. L’absence de cette précision le prive de la possibilité de contester utilement le raisonnement suivi par l’instance paritaire devant l’autorité disciplinaire, puis, le cas échéant, devant le juge. D’autre part, la motivation de l’avis a pour fonction d’éclairer pleinement l’autorité investie du pouvoir de sanction.
L’arrêt relève que l’insuffisance de motivation « a non seulement privé [l’agente] d’une garantie mais a également été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise par l’autorité disciplinaire, laquelle n’a pas été régulièrement éclairée sur les raisons de la proposition faite par la commission ». Cette double portée justifie la censure prononcée par le juge. En ne disposant pas des clés de lecture de l’avis, l’autorité disciplinaire ne peut apprécier en pleine connaissance de cause la pertinence de la proposition et la justesse de la sanction à prononcer, notamment lorsqu’elle décide, comme en l’espèce, de prononcer une sanction plus lourde que celle préconisée.
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II. La portée de la solution sur le rôle du conseil de discipline et la pratique administrative
Au-delà de son apport sur le sens de l’obligation de motivation, la décision renforce le rôle du conseil de discipline dans la procédure (A) et adresse un message pragmatique aux administrations pour la conduite des procédures disciplinaires (B).
A. Le renforcement de la fonction consultative du conseil de discipline
Cette décision confère une portée accrue au rôle de l’instance paritaire. En exigeant du conseil de discipline qu’il articule précisément son raisonnement, le juge administratif ne le cantonne plus à un simple organe d’enregistrement ou de vote, mais le positionne comme un véritable filtre analytique au sein de la procédure disciplinaire. Cette obligation de motivation substantielle contraint ses membres à un examen approfondi du dossier et à une délibération structurée, ce qui rehausse la qualité et la légitimité de son avis.
En conséquence, l’autorité disciplinaire est davantage tenue de prendre en considération un avis solidement argumenté. Si elle conserve la liberté de s’en écarter, elle devra le faire en connaissance de cause et motiver d’autant plus sa propre décision, notamment si elle choisit d’ignorer une proposition circonstanciée. La solution favorise ainsi un dialogue plus transparent entre l’organisme consultatif et l’autorité de décision, consolidant le caractère paritaire de la justice administrative interne et l’équilibre des pouvoirs au sein de la procédure disciplinaire. La jurisprudence s’assure ainsi que la consultation préalable à la sanction ne soit pas une simple formalité vidée de sa substance.
B. Un guide pratique pour la sécurisation des procédures disciplinaires
Sur le plan pratique, l’arrêt constitue un guide clair pour les administrations et les secrétariats des conseils de discipline. Il indique sans ambiguïté que le procès-verbal, pour valoir avis motivé, doit contenir une section dédiée explicitant les faits retenus comme fautifs et le raisonnement ayant conduit au choix de la sanction proposée. Cette feuille de route est particulièrement utile dans les dossiers complexes, marqués par une pluralité de griefs ou une divergence entre la proposition du conseil et la saisine initiale de l’administration.
En imposant cette rigueur rédactionnelle, le juge administratif poursuit un objectif de prévention des contentieux. Une procédure disciplinaire dont chaque étape est clairement et substantiellement motivée est moins susceptible d’être annulée pour un vice de forme. La décision incite donc les acteurs de la fonction publique à une meilleure pratique administrative, qui, bien que plus exigeante en amont, permet de sécuriser juridiquement les sanctions prononcées. Cette approche pragmatique illustre la fonction régulatrice du juge administratif, qui, par l’interprétation des règles de procédure, façonne le comportement des administrations dans un sens qui protège les droits des administrés tout en assurant l’efficacité de l’action publique.