Par un arrêt en date du 9 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Douai a précisé les contours de l’appréciation par l’autorité préfectorale du caractère réel et sérieux des études poursuivies par un étranger sollicitant le renouvellement de son titre de séjour. En l’espèce, un ressortissant marocain, entré en France en 2016 sous couvert d’un visa étudiant, s’était vu renouveler son titre de séjour jusqu’en janvier 2022. Au cours de son parcours universitaire, il avait obtenu successivement une licence professionnelle, une licence générale après une réorientation, puis un master 1 au terme de plusieurs inscriptions dans la même formation. Au moment de sa demande de renouvellement en janvier 2022, il était inscrit en deuxième année de master. Le 9 septembre 2022, le préfet du Nord a refusé de renouveler son titre, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. Saisi par l’étudiant, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 28 mars 2024. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, contestant le raisonnement des premiers juges et l’appréciation portée par l’administration sur sa situation. Il se posait donc à la cour la question de savoir si un parcours universitaire marqué par des réorientations et des redoublements, mais aboutissant à une progression cohérente et à l’obtention de diplômes successifs, peut être regardé comme dépourvu de caractère réel et sérieux au sens des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, annulant le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral. Elle a jugé que le préfet avait commis une erreur d’appréciation en ne reconnaissant pas la réalité et le sérieux des études, dès lors que le cursus de l’étudiant, bien que non linéaire, démontrait une progression régulière et une cohérence d’ensemble.
Cette décision rappelle que l’appréciation du parcours d’un étudiant étranger doit se fonder sur une analyse globale et substantielle, privilégiant la progression effective sur la linéarité du cursus (I). En conséquence, le juge administratif exerce un contrôle approfondi sur la qualification des faits opérée par l’administration, limitant ainsi la marge discrétionnaire de cette dernière en matière de police du séjour (II).
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**I. La consécration d’une appréciation globale du parcours universitaire**
La cour administrative d’appel s’attache à une vision d’ensemble de la scolarité de l’étudiant pour qualifier le sérieux des études. Elle met en balance la progression tangible et la cohérence du projet de formation (A) au détriment d’une approche purement formelle qui se focaliserait sur les interruptions ou les échecs ponctuels (B).
**A. La prévalence de la cohérence et de la progression du cursus**
Le juge administratif fonde son analyse sur le résultat global du parcours de l’étudiant plutôt que sur les étapes intermédiaires. La décision souligne en effet que « le cursus suivi (…) depuis son entrée en France est cohérent et qu’il progresse régulièrement dans ses études en ayant validé aux termes de six années universitaire une licence professionnelle, une licence et un master 1 ». Cette formulation montre que le juge ne s’est pas arrêté au fait que l’étudiant ait redoublé ou se soit réorienté. Il a plutôt considéré l’aboutissement de ces années d’études, matérialisé par l’obtention de trois diplômes de l’enseignement supérieur et une inscription au niveau master 2. L’appréciation de la cohérence s’appuie sur la spécialité suivie, en l’occurrence la « Mécanique », qui constitue un fil conducteur logique entre les différentes formations. Ainsi, la réalité des études ne se mesure pas à l’aune d’un parcours idéal et sans faille, mais à celle d’un engagement continu dans un projet d’études structuré, même si celui-ci a nécessité des ajustements.
**B. La relativisation des aléas du parcours académique**
En se concentrant sur les succès obtenus, la cour minimise la portée des difficultés rencontrées par l’étudiant. Le fait d’avoir été ajourné en première année de master en 2019-2020, puis d’avoir validé cette même année après une réinscription, n’est pas interprété comme un manque de sérieux. Au contraire, la persévérance et la réussite finale sont valorisées. De plus, la cour prend en compte des éléments concrets attestant de l’implication de l’intéressé, tels que les « deux attestations de ses enseignants qui font part de son assiduité et de son sérieux ». Ces témoignages viennent corroborer l’idée d’un étudiant investi, dont le parcours, bien que plus long que la norme, n’en est pas moins authentique. La décision opère ainsi une distinction claire entre un étudiant qui ne progresse pas et un étudiant qui progresse à son propre rythme, protégeant ce dernier contre une décision de refus qui serait fondée sur une lecture trop rigide des exigences de l’article L. 422-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’approche substantielle retenue par le juge a pour corollaire un renforcement de son contrôle sur l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration.
**II. Un contrôle juridictionnel renforcé sur le pouvoir d’appréciation de l’administration**
En censurant la décision préfectorale, la cour administrative d’appel réaffirme l’intensité du contrôle qu’elle exerce sur la qualification juridique des faits (A). Cette solution a pour effet de consolider la sécurité juridique des étudiants étrangers dont le parcours n’est pas linéaire, tout en définissant plus strictement les limites du pouvoir discrétionnaire du préfet (B).
**A. La sanction de l’erreur d’appréciation comme garantie contre l’arbitraire**
La cour juge que le préfet « a commis une erreur d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 422-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». En retenant ce moyen, elle ne se contente pas de vérifier l’absence d’erreur manifeste, mais procède à un examen approfondi de l’adéquation entre les faits du dossier et la décision prise. Elle estime que la conclusion tirée par l’administration est erronée au vu des éléments produits, notamment les diplômes obtenus et la progression générale. Ce contrôle de l’erreur d’appréciation constitue une garantie fondamentale pour l’administré. Il assure que la décision de refus de séjour, qui porte une atteinte grave à la situation personnelle de l’étranger, ne puisse reposer sur une lecture partielle ou inexacte de son parcours. Le pouvoir d’appréciation du préfet sur le caractère réel et sérieux des études n’est donc pas absolu ; il doit s’exercer sur la base d’une analyse objective et complète de la situation individuelle.
**B. La portée de la décision : une sécurité juridique accrue pour les étudiants**
Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt précise la méthode que l’administration doit suivre. Il envoie un signal clair : la réalité d’un parcours d’études s’évalue à l’aune de sa finalité et de sa progression globale, non de sa durée ou de sa fluidité. Cette jurisprudence est de nature à sécuriser la situation d’étudiants qui, pour diverses raisons, peuvent connaître des parcours plus longs ou sinueux. La portée de la solution est renforcée par l’injonction prononcée par la cour. En ordonnant directement au préfet « de délivrer à M. B… une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » », elle ne laisse aucune marge de manœuvre à l’administration, considérant que la situation de l’étudiant ne justifie qu’une seule issue légale. Sans constituer un revirement de jurisprudence, cette décision s’inscrit fermement dans un courant jurisprudentiel protecteur des droits des étudiants étrangers, rappelant que l’objectif de la politique d’immigration estudiantine est de permettre l’accomplissement d’un projet de formation, même lorsque celui-ci ne suit pas un cheminement idéal.