Cour d’appel administrative de Lyon, le 1 juillet 2025, n°23LY01642

La présente décision, rendue par la cour administrative d’appel de Lyon, illustre le contrôle exercé par le juge administratif sur les mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. En l’espèce, un ressortissant pakistanais, entré sur le territoire français en 2012 sans y être autorisé, a fait l’objet de plusieurs décisions administratives défavorables, incluant le rejet d’une demande d’asile en 2015, le refus d’un titre de séjour en 2021, et une première obligation de quitter le territoire français. Ayant formé une nouvelle demande de régularisation en juin 2022, qui a fait l’objet d’un refus d’enregistrement, l’intéressé a été contrôlé en situation irrégulière le 3 avril 2023. Le même jour, la préfète de l’Ain a édicté à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, une interdiction de retour de dix-huit mois, et une mesure d’assignation à résidence.

Saisi par l’étranger, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé ces arrêtés par un jugement du 28 avril 2023, au motif que l’obligation de quitter le territoire était entachée d’un défaut d’examen sérieux et individualisé de sa situation. La préfète de l’Ain a alors interjeté appel de ce jugement et en a demandé le sursis à exécution. Devant la cour, la préfète soutenait que l’examen avait été suffisant et que la décision était justifiée, tandis que l’intimé concluait au rejet de la requête et soulevait, par l’effet dévolutif de l’appel, l’ensemble des moyens d’illégalité à l’encontre des décisions contestées. La question posée à la cour était donc de déterminer si l’arrêté préfectoral était légal, ce qui impliquait d’abord de se prononcer sur le motif d’annulation retenu en première instance, puis d’examiner l’ensemble des autres moyens soulevés.

Par son arrêt, la cour administrative d’appel de Lyon annule le jugement du tribunal administratif. Elle juge que l’autorité préfectorale a bien procédé à un examen particulier de la situation de l’intéressé avant d’édicter la mesure d’éloignement. Statuant par l’effet dévolutif, elle procède ensuite à une substitution de base légale pour fonder l’obligation de quitter le territoire, avant d’écarter l’ensemble des autres moyens tirés notamment de la violation du droit au respect de la vie privée et familiale. La cour valide par conséquent l’intégralité des mesures prises à l’encontre du requérant.

La solution retenue par la cour administrative d’appel témoigne d’une approche rigoureuse du contentieux de l’éloignement, en validant une mesure d’éloignement malgré des fragilités initiales (I), ce qui conduit à une stricte appréciation de la situation de l’étranger et au rejet de ses prétentions (II).

I. La consolidation par le juge d’une mesure d’éloignement initialement fragile

La cour administrative d’appel, infirmant le jugement de première instance, a d’abord restauré la validité de l’appréciation menée par l’administration (A) avant de la conforter par l’emploi d’une substitution de base légale (B).

A. L’appréciation souveraine du degré d’examen de la situation par l’administration

La cour administrative d’appel de Lyon a infirmé le jugement du tribunal administratif qui avait retenu un défaut d’examen sérieux de la situation de l’administré. Les premiers juges avaient considéré que l’arrêté préfectoral ne témoignait pas d’une prise en compte suffisante de tous les éléments du dossier. La cour, au contraire, a estimé que l’administration avait satisfait à son obligation, jugeant qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète de l’Ain, qui n’était pas tenue de se prononcer explicitement sur l’ensemble des éléments portés à sa connaissance, n’aurait pas procédé à un examen particulier et complet de la situation personnelle ».

Cette position rappelle que le contrôle du juge sur le défaut d’examen porte sur la réalité de celui-ci et non sur la manière dont il est retranscrit dans la motivation de l’acte. En relevant que l’arrêté litigieux rappelait l’historique administratif de l’intéressé, notamment sa demande d’asile rejetée, une précédente mesure d’éloignement non exécutée et un refus de titre de séjour antérieur, la cour considère que l’autorité préfectorale disposait bien des éléments pertinents pour prendre sa décision. L’annulation concomitante, par un autre arrêt, du refus d’enregistrement de la dernière demande de titre ne suffit pas à vicier l’examen d’ensemble. Le juge d’appel se montre ainsi pragmatique, n’exigeant pas une motivation exhaustive qui reprendrait chaque détail de la situation de l’étranger, dès lors que les éléments essentiels fondant la décision apparaissent.

B. Le recours à la substitution de base légale comme instrument de validation

L’un des apports essentiels de la décision réside dans la mise en œuvre de la substitution de base légale. La cour constate que la préfète avait fondé l’obligation de quitter le territoire sur les 2° et 3° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, alors que la situation de l’intéressé, entré irrégulièrement et sans avoir fait l’objet d’un refus de titre de séjour concomitant, ne correspondait pas à ces cas. Face à cette erreur de droit, plutôt que d’annuler la décision, la cour décide d’y substituer le fondement juridique adéquat, à savoir le 1° du même article, visant l’étranger qui « ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s’y est maintenu sans être titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ».

Pour ce faire, le juge vérifie que les deux conditions jurisprudentielles sont réunies. D’une part, la substitution ne doit pas priver le requérant d’une garantie procédurale. D’autre part, le pouvoir d’appréciation de l’administration doit être de même nature pour l’application des deux fondements. En l’espèce, ces conditions sont satisfaites, car la décision repose dans les deux cas sur l’irrégularité du séjour. Cet usage de la substitution de base légale démontre la volonté du juge administratif de ne pas censurer une décision pour un motif de pure forme lorsque son bien-fondé matériel n’est pas remis en cause, assurant ainsi la portée effective de l’action administrative.

Une fois la légalité externe et le fondement juridique de l’obligation de quitter le territoire ainsi assurés, la cour a pu examiner les moyens de fond, ce qui l’a conduite à confirmer le bien-fondé de la mesure et de ses corollaires.

II. La confirmation rigoureuse des mesures attentatoires au séjour

L’arrêt procède à une appréciation stricte de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’étranger (A), ce qui entraîne logiquement la validation des décisions accessoires à l’obligation de quitter le territoire (B).

A. Une application restrictive du droit au respect de la vie privée et familiale

L’intéressé invoquait une méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, arguant de la durée de sa présence en France depuis 2012 et de son insertion professionnelle. La cour écarte ce moyen en procédant à une balance des intérêts défavorable au requérant. Elle oppose à l’ancienneté du séjour une série d’éléments négatifs : le maintien sur le territoire en dépit de multiples décisions défavorables, y compris deux mesures d’éloignement antérieures non exécutées, et l’absence d’attaches familiales établies en France, l’intéressé étant célibataire et ayant ses parents et sa sœur dans son pays d’origine.

De surcroît, la cour accorde une importance décisive à la circonstance que l’insertion professionnelle invoquée reposait sur l’usage d’un faux document administratif, fait ayant donné lieu à une condamnation pénale. Elle en déduit que l’étranger « ne peut ainsi, compte tenu de l’obtention frauduleuse de son contrat de travail, se prévaloir de sa bonne insertion professionnelle ». Cette analyse démontre que la précarité du séjour, entretenue par le comportement de l’administré lui-même, et la commission d’une infraction limitent considérablement la protection tirée de l’article 8. La cour estime en conséquence que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale n’est pas disproportionnée au regard des objectifs de défense de l’ordre public et de maîtrise des flux migratoires.

B. La validation en cascade des décisions accompagnant l’éloignement

La légalité de l’obligation de quitter le territoire français étant établie, la cour examine les autres décisions contestées, qui en sont le corollaire. Le rejet du moyen tiré de l’illégalité de l’OQTF par voie d’exception entraîne mécaniquement le rejet des contestations similaires visant le refus de délai de départ volontaire, la fixation du pays de destination et l’interdiction de retour sur le territoire français.

Pour chacune de ces mesures, la cour vérifie néanmoins l’absence d’illégalité propre. Elle juge ainsi que le refus de délai de départ volontaire est justifié par le risque de soustraction, matérialisé par la non-exécution de précédentes mesures d’éloignement. Concernant l’interdiction de retour d’une durée de dix-huit mois, elle estime qu’au regard des critères de l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et notamment de la menace pour l’ordre public que constitue l’usage de faux documents, la durée n’est pas entachée d’erreur d’appréciation. Enfin, la mesure d’assignation à résidence est également validée, la cour considérant que les contraintes qu’elle impose ne sont pas disproportionnées. Cette démarche illustre l’effet domino de la validation de la mesure principale d’éloignement.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture