Cour d’appel administrative de Lyon, le 1 juillet 2025, n°24LY01907

Par un arrêt en date du 1er juillet 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à une ressortissante étrangère, épouse d’un citoyen français et mère de deux enfants mineurs scolarisés en France. En l’espèce, une ressortissante arménienne, entrée irrégulièrement sur le territoire français en 2015, avait vu ses demandes d’asile puis de titre de séjour pour raisons de santé successivement rejetées, donnant lieu à plusieurs mesures d’éloignement restées sans exécution. Après son mariage avec un ressortissant français en avril 2023, elle a sollicité la délivrance d’un titre de séjour en qualité de conjointe de Français.

Le 22 juin 2023, la préfète de l’Ain a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français sans délai et de la fixation du pays de destination. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 25 mars 2024, rejeté le recours tendant à l’annulation de cet arrêté. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision préfectorale était entachée d’un défaut d’examen de sa situation au regard des dispositions relatives aux parents d’enfants étrangers scolarisés, d’une méconnaissance de son droit au respect de la vie privée et familiale et d’une atteinte à l’intérêt supérieur de ses enfants.

La question de droit soulevée devant la cour était donc de savoir si le refus d’accorder un titre de séjour à une ressortissante étrangère, qui s’est maintenue durablement en situation irrégulière sur le territoire malgré plusieurs décisions d’éloignement, constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, alors même qu’elle est devenue épouse d’un ressortissant français et mère de deux enfants scolarisés en France.

La cour administrative d’appel de Lyon a répondu par la négative, rejetant la requête. Les juges ont estimé que la persistance de l’intéressée à se maintenir sur le territoire en méconnaissance de trois mesures d’éloignement antérieures, combinée au caractère récent de son mariage, primait sur les éléments de sa vie privée et familiale en France. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie la situation des étrangers dont le séjour a été marqué par un mépris répété des lois sur l’entrée et le séjour, même lorsque des liens familiaux significatifs ont été noués.

Il convient d’analyser la méthode par laquelle le juge confirme la légalité du refus de séjour en opérant un contrôle restreint du champ d’examen de l’administration, avant de valider une appréciation sévère de la situation personnelle de la requérante (I), ce qui conduit à une neutralisation des attaches familiales au profit de la cohérence du parcours administratif de l’étrangère (II).

***

I. La confirmation d’un refus de séjour fondée sur une application stricte du droit

La cour administrative d’appel valide la décision préfectorale en cantonnant d’abord l’examen de la demande au seul fondement juridique invoqué par la requérante (A), pour ensuite procéder à un contrôle classique de la proportionnalité de l’atteinte portée à sa vie privée et familiale (B).

A. La délimitation du périmètre de l’examen au regard du fondement invoqué

Le juge d’appel prend soin de vérifier que l’autorité préfectorale n’a pas commis d’erreur de droit en n’examinant pas d’office tous les fondements possibles de régularisation. Il relève que la demande de l’intéressée, formalisée par un formulaire spécifique, visait exclusivement l’obtention d’un titre en qualité de conjointe de Français. En conséquence, les moyens tirés de la méconnaissance d’autres dispositions, notamment celles relatives à l’admission exceptionnelle au séjour, sont jugés inopérants. L’arrêt souligne ainsi que « la demande de Mme C… tendant à la délivrance d’un titre de séjour a été formulée uniquement en sa qualité de conjointe de français. Dans ces conditions, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne constitue pas le fondement de la décision de refus de séjour ». Cette approche formaliste rappelle que la charge d’invoquer les fondements pertinents pèse sur le demandeur, l’administration n’étant pas tenue de rechercher d’office toutes les voies de régularisation possibles. La cour confirme ainsi que le défaut d’examen d’un fondement non sollicité ne vicie pas la décision préfectorale.

B. Le contrôle classique de proportionnalité au titre de la vie privée et familiale

Après avoir circonscrit le cadre légal de l’analyse, la cour procède à la balance des intérêts en présence, conformément aux exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle met en balance, d’une part, la réalité des liens familiaux de la requérante en France et, d’autre part, les impératifs de l’ordre public, et notamment le respect des lois sur le séjour des étrangers. Le juge reconnaît l’existence d’une vie privée et familiale en France, matérialisée par un mariage récent avec un ressortissant français et la présence de ses deux enfants. Cependant, il oppose à ces éléments une série de circonstances défavorables : « Mme C…, entrée irrégulièrement en France en août 2015, n’a été autorisée à se maintenir sur le territoire français que durant l’examen de sa demande d’asile (…) confirmée par la Cour nationale du droit d’asile (…). Mme C… a fait l’objet d’une première mesure d’éloignement (…), qu’elle n’a pas exécutée ». Le rappel exhaustif de l’historique administratif de l’intéressée, jalonné de rejets et de mesures d’éloignement non respectées, pèse de tout son poids dans l’appréciation des juges. La décision litigieuse est donc considérée comme ne portant pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.

II. La prééminence du parcours migratoire sur les attaches familiales et sociales

L’analyse de la cour administrative d’appel révèle que le comportement passé de l’étrangère constitue un obstacle majeur à sa régularisation, rendant son intégration et ses liens familiaux inopérants (A), et relativisant par la même occasion la prise en compte de l’intérêt supérieur de ses enfants (B).

A. La sanction du maintien irrégulier comme obstacle à l’intégration

L’arrêt démontre que le maintien sur le territoire français en dépit de plusieurs obligations de quitter le territoire constitue un élément déterminant dans l’appréciation de la situation personnelle. La cour minimise la portée des éléments d’intégration avancés par la requérante. Son engagement associatif depuis 2018 est jugé insuffisant, tout comme la réalité de son mariage, qualifié de « très récent à la date de la décision en litige ». La persistance à se soustraire à l’application de la loi est interprétée comme un défaut d’adhésion aux règles de la société d’accueil, ce qui affaiblit considérablement la valeur de son intégration sociale. Le juge estime que la requérante « s’est maintenue en France malgré trois mesures d’éloignement prononcées en 2016, 2018 et 2019 » et « ne justifie pas d’une intégration particulière en France ». Cette approche consacre une forme de sanction du parcours migratoire irrégulier, où le comportement passé de l’étranger fait échec à la reconnaissance de la stabilité de ses liens présents.

B. Une appréciation restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant

Confrontée à l’argument tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, la cour l’écarte de manière concise. Elle considère que la décision de refus de séjour n’a ni pour objet ni pour effet de séparer la mère de ses enfants. De plus, elle estime que la continuité de leur scolarité et de leur vie familiale n’est pas compromise, dès lors qu’elle pourrait se poursuivre hors de France. L’arrêt énonce que « la décision de refus de séjour opposée à Mme C… n’a ni pour objet ni pour effet de la séparer de ses enfants mineurs dont elle a la charge, et dont la scolarisation pourrait se poursuivre hors de France ». Cette motivation suggère que tant que l’unité de la cellule familiale est préservée, peu importe le lieu, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas nécessairement méconnu. Une telle interprétation tend à subordonner cet intérêt à la régularité du séjour du parent, considérant que les difficultés liées à un retour dans le pays d’origine ne suffisent pas à faire obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement.

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Hassan KOHEN
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