Par un arrêt en date du 10 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’application du maintien des avantages collectivement acquis au sein de la fonction publique territoriale. En l’espèce, une agente non titulaire, exerçant les fonctions d’assistante familiale pour un département depuis 2013, a sollicité le versement d’une prime annuelle pour les années 2018 à 2021. Face au silence de l’administration, valant décision implicite de rejet, l’intéressée a saisi le tribunal administratif de Grenoble, qui a rejeté sa demande par un jugement du 6 février 2024. L’agente a interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de lui verser cette prime, instituée par une délibération de 1985, était incompatible avec le droit en vigueur et méconnaissait le principe d’égalité de traitement par rapport aux autres agents de la collectivité qui en bénéficiaient. Se posait alors la question de savoir si un agent public pouvait revendiquer le bénéfice d’un avantage indemnitaire dont l’existence juridique, antérieure à la loi du 26 janvier 1984, n’était pas formellement établie. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle a jugé que la prime litigieuse ne pouvait être considérée comme un avantage collectivement acquis, faute pour la requérante d’apporter la preuve de son institution avant la date butoir du 28 janvier 1984. La cour a également écarté le moyen tiré de la rupture d’égalité, rappelant qu’un tel principe ne saurait justifier l’octroi d’un avantage non fondé en droit.
La solution rendue par la cour s’articule autour d’une application rigoureuse de la législation sur les régimes indemnitaires territoriaux, rappelant d’une part l’interprétation stricte des conditions de maintien des avantages collectivement acquis (I), et d’autre part, la portée limitée du principe d’égalité en la matière (II).
I. La réaffirmation d’une interprétation stricte des conditions de maintien des avantages collectivement acquis
La cour fonde sa décision sur une analyse précise des dispositions régissant les compléments de rémunération dans la fonction publique territoriale. Elle exige une preuve certaine de l’antériorité de l’avantage (A) et refuse par conséquent de reconnaître une quelconque portée créatrice aux délibérations postérieures à la loi fondatrice de 1984 (B).
A. L’exigence d’une preuve certaine de l’antériorité de l’avantage
L’arrêt rappelle que le maintien des avantages indemnitaires antérieurs à la loi du 26 janvier 1984, prévu par l’article 111 de cette loi, constitue une dérogation au principe de parité avec la fonction publique d’État. Pour qu’une prime soit considérée comme un droit acquis, son existence doit être prouvée à la date du 28 janvier 1984. En l’espèce, la requérante se prévalait d’une délibération de 1985 qui mentionnait des « rémunérations servies antérieurement par l’intermédiaire d’une association ». La cour considère cette mention insuffisante pour établir le droit réclamé. Elle souligne « l’impossibilité de déterminer la date à laquelle cet avantage collectif a été ouvert pour les agents du département, s’il était acquis à la date d’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 précitée et s’il était d’ailleurs pris en compte dans le budget de la collectivité ». Cette motivation met en lumière le fait que la charge de la preuve incombe à l’agent qui se prévaut de l’avantage. Le silence des archives ou l’incapacité de l’administration à retracer l’historique d’une prime ne suffit pas à renverser cette charge.
B. Le rejet de la portée créatrice des délibérations postérieures
La cour écarte logiquement la pertinence des délibérations postérieures au 28 janvier 1984 pour fonder le droit à la prime. Même si la délibération de 1985 et une autre de 2004 visaient à pérenniser ou à revaloriser un avantage, elles ne peuvent légalement le faire que si celui-ci répondait initialement à la condition d’antériorité. La décision est sans équivoque lorsqu’elle affirme que « la prime en cause, à supposer même que la simple référence à une ‘rémunération servie antérieurement’ dans la délibération du 28 janvier 1985 précitée y corresponde, ne constitue pas un avantage collectivement acquis au sens de l’article 111 de la loi du 26 janvier 1984, faute de répondre à la condition d’antériorité précitée ». Cette solution préserve la portée de la réforme de 1984, qui visait à rationaliser et à encadrer les régimes indemnitaires locaux. Elle empêche les collectivités de contourner le principe de parité en « validant » a posteriori des avantages dont la base légale originelle est incertaine.
Après avoir solidement écarté le fondement juridique principal de la demande, la cour examine le moyen subsidiaire invoqué par la requérante, ce qui la conduit à rappeler les limites du principe d’égalité.
II. L’application rigoureuse du principe d’égalité face aux régimes indemnitaires
La requérante invoquait une rupture d’égalité au motif que les assistants familiaux étaient les seuls agents départementaux exclus du bénéfice de la prime. La cour rejette cet argument en se fondant sur une jurisprudence constante, après avoir implicitement relevé la spécificité du statut de ces agents (A), ce qui la conduit à juger le principe d’égalité inopérant pour justifier un avantage indu (B).
A. Le statut spécifique des assistants familiaux, obstacle à une comparaison automatique
Bien que la cour ne développe pas longuement ce point, elle prend soin de viser les dispositions du code de l’action sociale et des familles applicables aux assistants familiaux. Ce faisant, elle souligne que ces agents, bien qu’employés par la collectivité, sont soumis à un régime spécifique « compte tenu du caractère particulier de leur activité », distinct de celui des autres agents territoriaux. Le principe d’égalité de traitement impose de traiter de manière identique des agents se trouvant dans une situation identique. Or, la particularité du statut et des missions des assistants familiaux pouvait en soi justifier une différence de traitement en matière indemnitaire, sans que cela constitue nécessairement une rupture d’égalité. La comparaison globale avec « tous les agents du conseil général » s’avère ainsi juridiquement fragile.
B. Le principe d’égalité, un instrument inopérant pour l’octroi d’un avantage indu
Le cœur du raisonnement de la cour sur ce point réside dans une formule lapidaire mais classique. Elle juge que le moyen tiré de la rupture du principe d’égalité « doit être écarté dès lors qu’un tel principe ne peut justifier l’octroi d’un avantage indu ». Cette solution est orthodoxe et fondamentale pour la sauvegarde de la légalité et des deniers publics. Admettre le contraire reviendrait à permettre à un agent de se prévaloir d’une illégalité commise au profit d’un autre pour en bénéficier à son tour, ce qui aurait pour effet de propager l’illégalité au lieu de la sanctionner. En confirmant que le principe d’égalité ne peut être invoqué « à la hausse » lorsque le traitement de référence est lui-même dépourvu de base légale, la cour fait prévaloir le principe de légalité. La solution est une manifestation de pragmatisme et de rigueur juridique, essentielle à la bonne gestion administrative.