Cour d’appel administrative de Lyon, le 10 avril 2025, n°24LY02611

Un recours contentieux a été initié par une ressortissante étrangère à la suite d’une décision préfectorale lui refusant l’octroi d’un titre de séjour, lui imposant de quitter le territoire français sous trente jours et désignant le pays de destination en cas d’exécution forcée. La juridiction de première instance, le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 5 août 2024, n’a que partiellement fait droit à la demande en annulant uniquement la fixation du pays de renvoi, mais en validant le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire. La requérante a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Lyon, sollicitant l’annulation des dispositions du jugement qui lui étaient défavorables ainsi que de l’intégralité de l’arrêté préfectoral du 4 avril 2024. Elle soutenait notamment une motivation insuffisante du jugement de première instance, un défaut d’examen de sa situation personnelle, ainsi qu’une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. Le problème juridique central soumis à la cour portait sur la question de savoir si le refus d’autoriser le séjour, fondé sur une appréciation de la vie privée et familiale de l’intéressée, caractérisait une ingérence excessive au regard des exigences de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par un arrêt du 10 avril 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête, estimant que la décision préfectorale n’était entachée ni d’un défaut d’examen sérieux ni d’une erreur d’appréciation quant à la proportionnalité de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’appelante.

La décision commentée offre une illustration de la méthode suivie par le juge administratif pour contrôler les décisions de refus de séjour, en confirmant une approche pragmatique de l’examen de la situation individuelle (I), avant de procéder à une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité (II).

I. La confirmation d’un contrôle pragmatique de l’examen de la situation individuelle

Le juge d’appel valide la démarche de l’administration en écartant le grief tiré d’un examen insuffisant, que ce soit au regard des erreurs matérielles contenues dans l’acte (A) ou de la régularité du jugement de première instance qui l’avait déjà constaté (B).

A. La distinction entre l’erreur matérielle et le défaut d’examen

L’appelante soutenait que la décision préfectorale révélait un défaut d’examen complet de sa situation, arguant de la présence d’erreurs factuelles dans ses motifs, notamment sur le lieu de délivrance de son précédent titre ou sur la description de son parcours sur le territoire national. La cour écarte ce moyen en opérant une distinction claire entre des inexactitudes non substantielles et un vice de procédure. Elle juge que « ces erreurs et imprécisions, qui n’ont pu influer sur l’appréciation par l’autorité préfectorale de son droit au séjour en métropole au titre de sa vie privée et familiale, ne sont pas de nature à révéler un défaut d’examen sérieux de sa situation ». Cette position réaffirme que seules les erreurs ayant eu une incidence déterminante sur le sens de la décision sont susceptibles d’entacher sa légalité. Le contrôle du juge se concentre ainsi sur l’effectivité de l’examen au fond plutôt que sur une perfection formelle de la motivation, ce qui témoigne d’une approche réaliste de l’action administrative.

B. La validation de la motivation du jugement de première instance

La requérante contestait également la régularité du jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble, estimant qu’il était insuffisamment motivé sur un de ses moyens. La cour administrative d’appel écarte cette critique en relevant qu’il « ressort des motifs du jugement attaqué en son point 3 que les premiers juges ont suffisamment motivé la réponse qu’ils ont apportée ». Elle prend soin de préciser que la contestation du bien-fondé de cette réponse par l’appelante est sans incidence sur sa régularité formelle. Ce faisant, le juge d’appel rappelle une règle fondamentale de la procédure contentieuse : l’obligation de motivation n’impose pas au juge de convaincre la partie qui succombe, mais de fournir les raisons de droit et de fait qui fondent son dispositif. La critique du raisonnement relève du débat sur le fond et non de la régularité externe du jugement.

II. L’application rigoureuse du contrôle de proportionnalité

Au cœur de l’arrêt, le juge d’appel se livre à une analyse concrète de la situation personnelle de la requérante pour vérifier si le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale (A), ce qui conditionne par voie de conséquence la légalité de la mesure d’éloignement (B).

A. L’appréciation de l’atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale

Invoquant l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’appelante mettait en avant son parcours résidentiel en France depuis son jeune âge et la présence de sa famille sur le territoire. La cour procède à une balance des intérêts en présence. D’un côté, elle reconnaît la présence de l’intéressée à Mayotte de 2010 à 2019 et l’existence de liens familiaux en métropole. De l’autre, elle retient que son installation en France métropolitaine est récente, datant de moins de quatre ans avant la décision attaquée. La cour conclut que l’appelante ne justifie pas y avoir « fixé durablement le centre de sa vie et y disposer de liens personnels et familiaux durables et stables ». Elle ajoute que la poursuite de sa formation professionnelle pourrait être envisagée à Mayotte. Cette analyse factuelle dense démontre que la seule présence sur le territoire, même prolongée au sein de la République, ne suffit pas à caractériser une atteinte disproportionnée si le centre des intérêts privés et familiaux n’est pas établi de manière probante dans la partie du territoire où le séjour est sollicité.

B. La légalité conséquente de l’obligation de quitter le territoire français

La légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français était contestée par l’appelante par voie d’exception d’illégalité du refus de séjour. Le rejet des moyens dirigés contre le refus de séjour entraîne logiquement le rejet de cette exception. La cour précise que « l’illégalité de la décision portant refus de séjour n’est pas démontrée. Par voie de conséquence, la requérante n’est pas fondée à exciper de l’illégalité de la décision portant refus de séjour ». En outre, le juge étend son contrôle de proportionnalité à la mesure d’éloignement elle-même, et pour les mêmes motifs que ceux exposés concernant le refus de titre, il juge qu’elle ne méconnaît pas l’article 8 de la convention précitée et n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation. Cet arrêt illustre bien le lien juridique étroit entre le refus de séjour et l’OQTF qui l’accompagne. Il s’agit d’une décision d’espèce qui, sans innover en droit, applique avec rigueur les critères d’appréciation de la vie privée et familiale à une situation particulière impliquant une distinction entre le séjour en métropole et celui dans un département d’outre-mer.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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