Cour d’appel administrative de Lyon, le 10 juillet 2025, n°25LY00089

Par une décision en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Lyon précise les modalités de mise en œuvre de son pouvoir d’astreinte face à une administration défaillante dans l’exécution d’un précédent arrêt.

En l’espèce, un étranger avait sollicité la délivrance d’un titre de séjour auprès des services préfectoraux. Suite à une décision implicite de rejet puis à un refus explicite assorti d’une obligation de quitter le territoire français, l’intéressé a saisi le tribunal administratif de Lyon, qui a rejeté sa demande. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt du 23 novembre 2023, a annulé ce jugement ainsi que les décisions préfectorales. Elle a jugé que le refus de titre de séjour était entaché d’une erreur de droit, l’administration n’ayant pas examiné la situation du requérant au regard de son état de santé. La cour a alors enjoint à l’autorité préfectorale de réexaminer sa situation dans un délai d’un mois et de le munir, dans l’attente, d’une autorisation provisoire de séjour. Constatant l’absence d’exécution de cet arrêt, le requérant a saisi à nouveau la cour afin que cette dernière assortisse son injonction d’une astreinte.

La question de droit posée à la cour était de déterminer dans quelles conditions le juge de l’exécution, constatant l’inexécution d’une injonction de réexamen précédemment prononcée, peut user de son pouvoir de contrainte en prononçant une astreinte.

La cour administrative d’appel de Lyon répond en affirmant qu’il y a lieu de faire droit à la demande du requérant. Elle constate que l’autorité préfectorale n’a pas justifié avoir pris les mesures nécessaires à l’exécution de l’arrêt du 23 novembre 2023. Par conséquent, la cour juge opportun de « compléter l’injonction de réexamen prononcée sur le fondement de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, en assortissant cette prescription d’une astreinte ». Cette décision vient ainsi consacrer le pouvoir du juge d’assortir, a posteriori, une injonction d’une mesure coercitive pour en garantir l’effectivité.

Il convient d’étudier la confirmation par le juge de l’exécution de son office de garant de l’effectivité de la chose jugée (I), avant d’analyser les modalités de mise en œuvre de l’astreinte, instrument pragmatique de contrainte face à l’inertie administrative (II).

I. La consécration du pouvoir du juge face à l’inertie de l’administration

La décision commentée réaffirme avec clarté le rôle du juge administratif en tant que garant de l’exécution de ses propres décisions (A), en mobilisant un mécanisme de contrainte financière destiné à vaincre la résistance de l’administration (B).

A. Le fondement du pouvoir d’astreinte du juge de l’exécution

La cour fonde sa décision sur les dispositions de l’article L. 911-4 du code de justice administrative, qui permettent à la partie intéressée de demander à la juridiction d’assurer l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt. Cet article offre au juge la possibilité de fixer un délai d’exécution et de prononcer une astreinte. La présente affaire illustre l’articulation entre l’injonction initiale, prononcée sur le fondement de l’article L. 911-2 du même code, et les mesures d’exécution forcée. L’arrêt du 23 novembre 2023 avait déjà prescrit une obligation de réexamen dans un délai déterminé. L’intervention du juge de l’exécution ne vise pas à modifier la substance de la chose jugée mais à en assurer la complète réalisation.

Le juge se place explicitement « à la date de sa décision » pour évaluer la situation. Il constate que l’obligation de réexamen n’a pas été satisfaite, l’autorité préfectorale n’ayant « pas pris toutes les mesures propres à l’exécution de cet arrêt ». Cette carence justifie le recours à un outil plus coercitif. La cour ne remet pas en cause l’injonction initiale ; elle la complète. Ce faisant, elle exerce la plénitude de son office, qui ne s’arrête pas au prononcé du droit mais s’étend à sa matérialisation effective dans les faits. La décision rappelle ainsi que l’autorité de la chose jugée s’impose à l’administration, qui ne peut se soustraire à ses obligations.

B. La finalité coercitive de l’astreinte pour garantir l’effectivité de la décision

En prononçant une astreinte, la cour ne sanctionne pas seulement un retard passé ; elle exerce une pression sur l’administration pour l’avenir. L’astreinte de cent euros par jour de retard est un mécanisme comminatoire destiné à contraindre l’autorité préfectorale à agir enfin. Sa finalité est d’inciter l’administration à se conformer à la chose jugée en rendant le coût de l’inaction supérieur à celui de l’obéissance. La décision souligne ainsi le caractère pragmatique des pouvoirs du juge de l’exécution, dont les outils visent une efficacité concrète pour le justiciable.

Le prononcé de cette mesure manifeste une volonté de ne pas laisser la victoire juridique obtenue par le requérant demeurer purement théorique. L’effectivité du droit, et notamment du droit des étrangers, dépend largement de la diligence de l’administration à exécuter les décisions de justice qui lui sont défavorables. En assortissant son injonction d’une menace financière tangible, le juge administratif rappelle qu’il dispose des moyens de faire prévaloir le droit face à une éventuelle inertie administrative, renforçant par là même la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.

II. La mise en œuvre contrôlée de l’astreinte, un instrument de contrainte pragmatique

Le prononcé de l’astreinte n’est pas automatique et répond à une appréciation souveraine du juge au regard des faits de l’espèce (A). Cette décision, bien que spécifique à l’affaire, revêt une portée significative pour le respect de l’État de droit (B).

A. Une appréciation souveraine des circonstances de l’espèce

La cour prend soin de motiver sa décision en se fondant sur les « circonstances de l’espèce ». Elle relève non seulement l’absence totale d’exécution de son arrêt précédent, mais également le temps écoulé depuis le prononcé de celui-ci. Le juge de l’exécution procède à un examen concret de la situation, tenant compte « des diligences déjà accomplies par les parties tenues de procéder à l’exécution ». En l’occurrence, l’absence de toute diligence de la part de l’autorité préfectorale est déterminante. Cette appréciation factuelle est essentielle car elle conditionne l’opportunité de compléter l’injonction initiale par une astreinte.

Le choix du montant de l’astreinte, fixé à cent euros par jour, ainsi que le délai d’un mois accordé à l’administration pour justifier de l’exécution, relèvent également de ce pouvoir d’appréciation. Le juge cherche un équilibre entre une pression suffisante pour être efficace et une sanction qui ne serait pas disproportionnée. La décision démontre que l’usage de l’astreinte est un outil modulable, adapté par le juge aux spécificités de chaque situation de blocage, ce qui garantit une utilisation mesurée et justifiée de ce puissant instrument de contrainte.

B. La portée de la décision pour le respect de l’État de droit

Au-delà du cas particulier, cette décision rappelle avec force que les décisions de justice administrative ne sont pas de simples avis, mais des actes exécutoires qui s’imposent à l’administration. Elle constitue un signal clair que l’inertie ou la résistance face à une injonction judiciaire expose l’administration à des conséquences financières directes. Si la solution s’inscrit dans une jurisprudence établie sur les pouvoirs du juge de l’exécution, sa publication et sa motivation détaillée lui confèrent une portée pédagogique. Elle réaffirme le principe selon lequel le procès administratif ne prend pas fin avec la décision sur le fond, mais seulement avec sa pleine et entière exécution.

En assurant l’effectivité de ses propres arrêts, la juridiction administrative renforce sa crédibilité et l’autorité de l’ensemble de ses décisions. Pour le justiciable, cette jurisprudence constitue une garantie essentielle, lui assurant que les droits qui lui sont reconnus par le juge ne resteront pas lettre morte du fait de la seule volonté de l’administration. La décision commentée, bien que rendue dans une affaire d’espèce, participe ainsi à la consolidation des mécanismes garantissant la soumission de l’administration au droit.

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Hassan KOHEN
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