Cour d’appel administrative de Lyon, le 10 juillet 2025, n°25LY00508

En l’espèce, un ressortissant étranger, présent sur le territoire national depuis près de dix ans et y ayant exercé plusieurs activités professionnelles, s’est vu opposer un refus de délivrance de titre de séjour par l’autorité préfectorale, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui, par un jugement du 7 novembre 2024, a rejeté sa demande d’annulation de ces décisions. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était entachée d’une erreur de fait sur son identité, d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des motifs exceptionnels prévus par l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et d’une méconnaissance des articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Se posait ainsi à la juridiction d’appel la question de savoir si une intégration professionnelle durable et continue suffisait à caractériser un motif exceptionnel justifiant une admission au séjour. Par un arrêt en date du 10 juillet 2025, la cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que l’exercice de plusieurs emplois sur une longue période ne constituait pas en soi un tel motif. Elle a en conséquence rejeté la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance et validant l’appréciation portée par l’administration.

La solution retenue par la cour illustre la portée limitée de la notion de « motifs exceptionnels » dans le cadre d’une demande de régularisation (I), tout en confirmant la rigueur du contrôle exercé par le juge sur les moyens accessoires soulevés à l’appui d’un tel recours (II).

I. Une conception restrictive des motifs exceptionnels d’admission au séjour

La décision commentée réaffirme une approche stricte de l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en refusant de considérer l’intégration professionnelle comme un critère suffisant à lui seul (A) et en consacrant par là même la large marge d’appréciation de l’autorité préfectorale en la matière (B).

A. Le rejet de l’intégration professionnelle comme critère déterminant

Le requérant mettait en avant sa présence de près de dix ans en France et l’occupation successive d’emplois variés pour justifier sa demande de titre de séjour sur le fondement de motifs exceptionnels. La cour, tout en reconnaissant la matérialité de ces faits, juge que la circonstance que l’intéressé « a occupé plusieurs emplois depuis son arrivée en France (…) ne caractérise pas un motif exceptionnel justifiant son admission au séjour par le travail ». Cette formule, dénuée d’ambiguïté, établit une distinction claire entre une intégration sociale et économique de fait, et la qualification juridique de situation exceptionnelle. En agissant ainsi, le juge administratif rappelle que l’admission au séjour au titre de l’article L. 435-1 demeure une simple faculté pour l’administration et non un droit pour l’étranger, même lorsque celui-ci présente des éléments d’intégration significatifs. La longévité de la présence et la continuité du travail ne suffisent donc pas à transformer une situation irrégulière en un droit acquis à la régularisation.

B. La confirmation du pouvoir discrétionnaire de l’administration

En conséquence directe de cette interprétation, la cour juge que « le préfet n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que sa situation ne répondait pas à des motifs exceptionnels ». Le choix de se placer sur le terrain du contrôle restreint de l’erreur manifeste est ici déterminant. Il signifie que le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration, mais se limite à vérifier que la décision de cette dernière n’est pas entachée d’une erreur grossière, évidente et immédiatement décelable. En validant la décision préfectorale, l’arrêt conforte l’ampleur du pouvoir d’appréciation dont dispose le préfet pour déterminer, au cas par cas, ce qui constitue ou non un « motif exceptionnel ». Cette position jurisprudentielle maintient un équilibre en faveur de la prérogative administrative, limitant l’intervention du juge aux seules hypothèses où la décision attaquée apparaîtrait comme manifestement disproportionnée ou incohérente au regard des faits du dossier.

II. Une application rigoureuse du contrôle des moyens soulevés

Au-delà de la question centrale de l’admission exceptionnelle au séjour, l’arrêt témoigne de la rigueur avec laquelle le juge administratif examine les autres moyens invoqués. Il écarte ainsi tant les vices de forme jugés non substantiels (A) que les allégations de violation de droits fondamentaux non étayées (B).

A. La neutralisation des erreurs matérielles non substantielles

Le requérant invoquait une erreur de plume dans l’arrêté préfectoral, qui mentionnait une année de naissance erronée. La cour écarte ce moyen en jugeant que cette circonstance « n’affecte pas la légalité des décisions contestées ». Cette solution est une application classique de la jurisprudence relative aux vices de procédure. Le juge considère qu’une erreur purement matérielle, qui n’a eu aucune incidence sur le sens de la décision prise et n’a pas vicié le consentement de son auteur, ne peut conduire à l’annulation de l’acte. En l’espèce, l’identité de la personne visée par le refus de séjour ne faisait aucun doute. Le pragmatisme du juge l’emporte donc sur un formalisme excessif, dès lors que l’erreur commise n’a porté atteinte à aucune garantie fondamentale du requérant.

B. L’exigence de preuve dans l’invocation des droits fondamentaux

L’arrêt se montre tout aussi exigeant quant à la démonstration des violations alléguées des articles 8 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Concernant l’article 8, relatif au droit à la vie privée et familiale, la cour s’en remet aux premiers juges en écartant le moyen « par adoption des motifs retenus par le tribunal ». Si cette technique est usuelle, elle souligne que les éléments présentés n’ont pas paru suffisamment probants pour justifier une nouvelle analyse au fond en appel. S’agissant de l’article 3, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, la cour relève que le requérant « se borne à affirmer qu’il est menacé dans son pays d’origine par un membre de sa famille sans pouvoir l’établir ». Le juge rappelle ici un principe fondamental du contentieux : la charge de la preuve incombe au demandeur. En l’absence d’éléments concrets et vérifiables, et en s’appuyant sur le rejet antérieur de la demande d’asile, la cour ne peut que rejeter une allégation qui demeure à l’état de simple affirmation.

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Hassan KOHEN
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