Cour d’appel administrative de Lyon, le 10 septembre 2025, n°24LY02566

Par un arrêt en date du 10 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’application d’une mesure de suspension de fonctions pour non-respect de l’obligation vaccinale à un agent public placé en congé de maladie. En l’espèce, une masseuse-kinésithérapeute employée par un centre hospitalier avait fait l’objet d’une décision de suspension prise par son directeur le 4 octobre 2021, au motif qu’elle ne justifiait pas de sa vaccination contre la covid-19. Cette mesure, qui s’accompagnait d’une interruption de traitement, devait initialement prendre effet au 15 octobre 2021. Saisi par l’agente, le tribunal administratif de Grenoble avait rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision de suspension ne pouvait légalement entrer en vigueur à une date où elle se trouvait en congé de maladie. Le problème de droit posé à la cour était donc de savoir si une mesure de suspension de fonctions, prise à l’encontre d’un agent public ne satisfaisant pas à l’obligation vaccinale, pouvait légalement prendre effet et entraîner l’interruption de sa rémunération alors même que cet agent se trouvait placé en congé de maladie. La cour a répondu par la négative, considérant que si une telle mesure de suspension peut être légalement édictée pendant un congé de maladie, ses effets ne peuvent commencer à courir qu’à l’expiration de ce congé. Elle juge en effet que « si le directeur d’un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l’égard d’un agent qui ne satisfait pas à l’obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu’à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l’agent ». La solution retenue consacre ainsi la primauté du statut protecteur conféré par le congé de maladie sur la mesure de police administrative (I), tout en délimitant précisément les pouvoirs de l’employeur face à la prolongation des arrêts de travail (II).

I. La primauté du statut du congé de maladie sur la mesure de suspension

La Cour administrative d’appel opère une distinction claire entre la légalité de l’édiction de la mesure de suspension et celle de son entrée en vigueur, affirmant ainsi la prévalence du régime du congé de maladie (A) et imposant par conséquent le report des effets de la suspension (B).

A. La reconnaissance du droit au maintien du congé de maladie

La décision commentée ne remet pas en cause la faculté pour l’administration de prendre une décision de suspension à l’encontre d’un agent ne respectant pas l’obligation vaccinale prévue par la loi du 5 août 2021. Toutefois, elle rappelle que l’agent placé en congé de maladie se trouve dans une situation juridique régie par des dispositions statutaires spécifiques, à savoir l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986. Ce texte lui ouvre un droit au congé et au maintien d’une rémunération lorsque son état de santé, dûment constaté, le met « dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions ».

Le raisonnement de la cour repose sur l’idée que la mesure de suspension prévue par la loi sur la gestion de la crise sanitaire vise à écarter du service un agent qui, sans cela, serait en capacité d’exercer son activité. Or, un agent en congé de maladie n’est, par définition, pas en situation d’exercer ses fonctions. La suspension et l’interruption de traitement qui en découle ne peuvent donc s’appliquer à une situation où l’agent est déjà légalement empêché de travailler et bénéficie, à ce titre, d’un régime de protection sociale spécifique. La cour fait ainsi prévaloir le statut préexistant de l’agent en congé maladie sur les conséquences que l’administration entend tirer de la situation vaccinale de ce dernier.

B. Le report imposé de l’entrée en vigueur de la suspension

La cour articule les deux régimes juridiques en dissociant l’acte de sa prise d’effet. Elle admet que l’employeur pouvait légalement prendre une décision de suspension le 4 octobre 2021, en anticipant la fin alors prévue de l’arrêt de travail de l’agente au 15 octobre. Cette démarche relève d’une gestion prévisionnelle normale. Cependant, l’effectivité de cette mesure était conditionnée à la fin du congé de l’agente.

Dès lors que celle-ci a justifié de la prolongation de son congé maladie au-delà du 15 octobre 2021, l’employeur « était toutefois tenu de reporter son entrée en vigueur ». Cette obligation de report démontre que le droit au congé maladie, tant qu’il est valablement justifié, prime sur la mesure de suspension. Cette dernière demeure valide dans son principe mais latente dans ses effets, qui ne peuvent se déclencher qu’une fois éteinte la cause de l’empêchement de l’agent, à savoir son état de santé. La solution garantit ainsi que l’agent ne soit pas privé du bénéfice de son congé maladie et de la rémunération afférente au motif d’une situation administrative qui ne peut produire ses pleins effets qu’à l’égard d’un agent apte à travailler.

II. La portée de la solution : une hiérarchisation des régimes en faveur de l’agent

En faisant prévaloir le statut de l’agent en congé de maladie, la décision de la cour réaffirme la force des garanties statutaires face à un régime d’exception (A) et encadre de manière pragmatique l’action administrative dans des circonstances factuelles évolutives (B).

A. La prééminence des garanties statutaires sur la législation d’urgence

La valeur de cet arrêt réside dans la hiérarchisation implicite qu’il opère entre, d’une part, les dispositions de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire et, d’autre part, les dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. La première est une loi d’exception, adoptée pour répondre à une situation de crise et créant une nouvelle prérogative pour l’employeur public. La seconde constitue le socle des droits et obligations de l’agent, et organise notamment sa protection sociale en cas de maladie.

En jugeant que la suspension ne peut prendre effet durant le congé maladie, la cour garantit que la législation d’urgence ne puisse anéantir un droit fondamental de l’agent, celui de bénéficier d’un congé et d’une rémunération lorsque sa santé ne lui permet plus d’exercer ses fonctions. Cette interprétation s’inscrit dans une logique juridique classique qui tend à interpréter restrictivement les mesures d’exception et à préserver l’application des garanties fondamentales. La solution assure ainsi une protection de l’agent, en évitant qu’une mesure de police administrative ne le prive d’un droit social statutaire.

B. Une clarification bienvenue des pouvoirs de l’employeur

Sur le plan de la portée, si cet arrêt est rendu dans le contexte spécifique de la législation sur l’obligation vaccinale contre la covid-19, le principe qu’il dégage est susceptible de trouver application dans d’autres situations. Il établit une règle claire pour l’administration : la nécessité d’adapter l’exécution de ses décisions à l’évolution de la situation de l’agent. Le directeur de l’établissement était ainsi contraint d’ajuster la date d’effet de sa décision suite à « l’information donnée par celle-ci le 13 octobre suivant, de la prolongation de son congé de maladie ».

La solution est donc pragmatique et prévisible. Elle signifie que l’administration doit vérifier l’aptitude de l’agent à exercer ses fonctions au jour où une mesure de suspension doit prendre effet. Bien que sa portée directe puisse apparaître limitée à la législation sanitaire, le raisonnement sous-jacent pourrait être transposé à d’autres cas de concours entre une mesure de suspension et un droit au congé, renforçant la sécurité juridique pour les agents publics sans paralyser l’action de l’administration, qui conserve la possibilité de prendre des mesures dont l’effet est simplement différé.

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Hassan KOHEN
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