Cour d’appel administrative de Lyon, le 11 septembre 2025, n°25LY00253

En l’espèce, un étudiant s’est vu infliger par la commission de discipline d’une université une sanction d’exclusion de deux ans pour des faits qualifiés de harcèlement moral. L’étudiant a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à la condamnation de l’établissement à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il estimait avoir subi en raison de l’illégalité de cette sanction. Par un jugement du 4 décembre 2024, le tribunal administratif a rejeté sa demande. L’étudiant a alors interjeté appel de ce jugement.

La cour administrative d’appel, dans sa décision du 11 septembre 2025, était saisie de la requête de l’étudiant qui contestait le jugement de première instance. Le requérant soutenait que la sanction était illégale et disproportionnée, et qu’elle lui avait causé un préjudice moral certain. L’université, en défense, concluait au rejet de la requête. La question de droit qui se posait à la cour n’était cependant pas celle de la légalité de la sanction initiale, mais celle de la nature de la voie de recours ouverte contre un jugement statuant sur une demande indemnitaire dont le montant est inférieur au seuil de 10 000 euros. La cour administrative d’appel juge que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort pour de tels litiges. Par conséquent, elle considère que la requête, bien que présentée comme un appel, doit être requalifiée en pourvoi en cassation et transmise au Conseil d’État, seul compétent pour en connaître.

Il convient donc d’analyser la solution retenue par la cour, qui met en lumière l’application stricte des règles de compétence d’appel (I), avant d’examiner la mise en œuvre de l’office du juge administratif face à une erreur d’aiguillage procédural (II).

***

I. L’application rigoureuse des règles de compétence d’appel

La décision de la cour administrative d’appel repose entièrement sur une application mécanique et rigoureuse des règles de procédure qui déterminent sa compétence. Elle affirme l’irrecevabilité de l’appel en raison du montant de la demande (A), tout en demeurant indifférente aux particularités de l’espèce qui auraient pu suggérer une autre approche (B).

A. L’incompétence matérielle en raison du taux de ressort

La cour fonde sa décision sur les dispositions du code de justice administrative, qui organisent la répartition des compétences entre les juridictions. Elle rappelle que, selon l’article R. 811-1 de ce code, les tribunaux administratifs statuent « en premier et dernier ressort » sur les actions indemnitaires lorsque le montant demandé n’excède pas 10 000 euros. En l’espèce, la demande principale de l’étudiant s’élevait à 5 000 euros, soit un montant nettement inférieur à ce seuil.

Le raisonnement du juge d’appel est ici purement syllogistique. Il constate que le litige entre dans le champ d’application de l’exception au principe du double degré de juridiction. La conséquence directe est que la voie de l’appel n’est pas ouverte. La cour se déclare ainsi matériellement incompétente pour statuer sur le fond du litige, à savoir la légalité de la sanction et le préjudice moral de l’étudiant. Cette solution, bien que frustrante pour le justiciable qui pensait obtenir un second examen complet de son affaire, garantit une gestion efficace des flux contentieux en réservant l’appel aux affaires présentant un enjeu financier plus important.

B. L’indifférence aux circonstances factuelles de l’espèce

La cour administrative d’appel applique la règle de compétence sans tenir compte des éléments factuels qui auraient pu sembler la fragiliser. Elle relève que la requête a été formée en appel, mais surtout, elle écarte implicitement deux éléments qui auraient pu prêter à confusion. D’une part, le jugement de première instance avait été rendu par une formation collégiale, formation généralement associée aux décisions susceptibles d’appel. D’autre part, la lettre de notification du jugement mentionnait la possibilité d’un appel, induisant ainsi potentiellement le requérant en erreur.

Cependant, pour le juge, ces circonstances sont inopérantes. La règle fixant le taux de ressort est d’ordre public, et ni la composition du tribunal, ni les mentions erronées d’une lettre de notification ne peuvent y déroger. La cour rappelle ainsi que les règles de compétence priment sur les apparences et les erreurs matérielles. Cette rigueur assure la prévisibilité et la sécurité juridique, en confirmant qu’une voie de recours n’existe que si un texte la prévoit expressément, indépendamment des circonstances contingentes de la procédure.

Une fois l’incompétence de la juridiction d’appel établie, il convenait d’en tirer les conséquences procédurales qui s’imposaient, ce que la cour fait en appliquant les pouvoirs qui relèvent de son office.

II. La mise en œuvre de l’office du juge face à l’erreur procédurale

Confrontée à une requête qui lui est adressée à tort, la cour administrative d’appel ne la rejette pas purement et simplement pour irrecevabilité. Au contraire, elle met en œuvre son pouvoir de requalification (A), ce qui aboutit à un renvoi de l’affaire devant le juge de cassation (B).

A. L’obligation de requalification du recours

La cour ne se contente pas de constater son incompétence. Faisant application des principes directeurs du procès administratif, elle exerce son office en donnant au recours sa véritable qualification juridique. Elle juge qu’« il y a lieu de regarder la requête de M. B… comme constituant un pourvoi en cassation ». Cette démarche est une illustration de l’obligation pour le juge de ne pas s’arrêter à la dénomination que les parties donnent à leurs écritures, mais de rechercher leur véritable nature et leur véritable objet.

En agissant ainsi, la cour évite un déni de justice qui résulterait du simple rejet de la requête. Elle assure la continuité de l’instance et garantit au justiciable que son droit d’accès au juge sera préservé, même s’il s’est trompé dans le choix de la voie de recours. Cette requalification est l’expression d’un pragmatisme procédural visant à purger le procès de ses erreurs formelles pour permettre au débat juridique de se poursuivre devant la juridiction compétente. Le juge d’appel agit ici non comme une simple instance de contrôle, mais comme un régulateur de la procédure.

B. Le renvoi de l’affaire devant le juge de cassation

La conséquence logique de cette requalification est la transmission du dossier au Conseil d’État, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative. Cet article impose en effet à une cour administrative d’appel, saisie d’un pourvoi qui relève de la compétence du Conseil d’État, de le lui transmettre. La cour exécute cette obligation et met ainsi un terme à sa propre saisine.

Cette issue a des conséquences majeures pour le requérant. Alors qu’il espérait une révision complète des faits et du droit de son affaire en appel, il se retrouve partie à une instance de cassation. Le Conseil d’État ne réexaminera pas les faits de l’espèce, ni l’appréciation du préjudice. Son contrôle se limitera à la recherche d’éventuelles erreurs de droit commises par le tribunal administratif dans son jugement du 4 décembre 2024. La portée de la contestation s’en trouve donc singulièrement réduite, et les chances de succès de l’étudiant dépendront désormais exclusivement de sa capacité à démontrer que les premiers juges ont mal appliqué la règle de droit.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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