Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les contours de deux garanties procédurales offertes au contribuable lors d’un contrôle fiscal, relatives à la communication de documents et au recours hiérarchique.
En l’espèce, une contribuable, mariée sous le régime de la séparation de biens et en instance de divorce, avait souscrit une déclaration de revenus conjointe ne mentionnant aucun revenu pour l’année 2016. À la suite d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, l’administration, informée de la procédure de divorce et de l’existence d’une ordonnance de non-conciliation fixant des pensions alimentaires, a procédé à une imposition distincte. Elle a ainsi réintégré dans les revenus de l’intéressée les sommes versées par son ex-époux et a rectifié son quotient familial, assortissant le redressement d’une majoration pour manquement délibéré. La contribuable a saisi le tribunal administratif de Grenoble en décharge de ces impositions, mais sa demande fut rejetée par un jugement du 18 juillet 2024. Elle a alors interjeté appel de cette décision.
Devant la cour, l’appelante soutenait principalement la méconnaissance par l’administration de l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, faute de lui avoir communiqué l’intégralité des documents obtenus de tiers. Elle arguait également avoir été privée de la garantie substantielle du recours hiérarchique, qu’elle estimait avoir sollicité par un courrier adressé à l’inspectrice principale.
Il revenait ainsi à la cour de déterminer si l’obligation de communication de renseignements obtenus de tiers s’étend à des documents que l’administration n’a pas directement utilisés pour fonder son redressement. Il lui appartenait également de définir les conditions de forme qu’une demande de recours hiérarchique doit respecter pour être considérée comme valablement exercée et ouvrir droit à la garantie qu’elle représente pour le contribuable.
La cour administrative d’appel rejette la requête, adoptant une lecture stricte des conditions de mise en œuvre de ces deux garanties. Elle juge que l’obligation de communication ne vise que les pièces effectivement utilisées pour la rectification et qu’une simple lettre de contestation ne saurait constituer une saisine régulière du supérieur hiérarchique. Cet arrêt illustre ainsi la nécessaire rigueur formelle qui encadre l’exercice des droits de la défense en matière fiscale (I), tout en confirmant le caractère substantiel mais non absolu des garanties offertes au contribuable (II).
I. Une application rigoureuse du formalisme procédural fiscal
La décision de la cour administrative d’appel met en lumière l’importance du formalisme, tant pour l’obligation d’information pesant sur l’administration que pour la saisine de ses supérieurs hiérarchiques par le contribuable.
A. La portée de l’obligation de communication conditionnée par l’utilité probatoire du document
La cour rappelle d’abord la règle posée par l’article L. 76 B du livre des procédures fiscales, qui impose à l’administration d’informer le contribuable de la teneur et de l’origine des renseignements obtenus de tiers et de lui en fournir copie sur demande. Toutefois, elle en précise immédiatement la portée en se fondant sur une jurisprudence constante. La garantie vise à permettre au contribuable de discuter l’authenticité et la portée des éléments qui lui sont opposés. Par conséquent, l’obligation de communication ne s’applique qu’aux seuls documents qui ont un lien direct et nécessaire avec le bien-fondé du redressement.
En l’espèce, l’administration avait mentionné dans sa proposition de rectification avoir obtenu des informations des autorités suisses concernant des comptes bancaires de l’ex-époux. Cependant, la cour relève que le rehaussement n’a pas été fondé sur ces éléments, mais uniquement sur « les mentions des relevés bancaires établis à son nom par la banque Alsace-Lorraine-Champagne consistant en des virements mensuels de 9 500 euros » et sur « l’ordonnance de non-conciliation du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Grenoble du 1er juillet 2014 ». Dès lors que les documents obtenus via l’assistance administrative internationale n’ont pas servi de support juridique ou factuel à la rectification, la cour conclut que l’administration n’était pas tenue de les communiquer. Le moyen est ainsi écarté comme « manquant en fait ».
B. La confirmation d’une conception finaliste de la garantie
Cette solution confirme une approche pragmatique et finaliste de la garantie prévue à l’article L. 76 B. L’objectif de la loi est de garantir un débat contradictoire loyal, non de permettre au contribuable de mener une investigation sur l’ensemble des informations collectées par le service vérificateur. Le juge administratif s’attache donc à vérifier si le défaut de communication a, concrètement, privé l’intéressé d’une possibilité de discuter utilement le bien-fondé de l’imposition. En l’absence d’utilisation probatoire du document par l’administration, le contribuable ne subit aucun grief du fait de la non-communication.
Cette interprétation restrictive protège l’administration d’une obligation qui pourrait s’avérer excessivement lourde et sans lien avec les nécessités de la défense. Elle recentre le débat sur les seuls éléments déterminants de la décision de taxation. Pour autant, elle impose au juge une analyse minutieuse des pièces du dossier pour s’assurer que des documents, même non explicitement cités comme fondement, n’ont pas implicitement influencé l’analyse du vérificateur. Dans le cas présent, la motivation de l’administration, fondée sur les relevés de la contribuable et une décision de justice, était suffisamment autonome pour écarter un tel risque.
II. L’exercice du recours hiérarchique subordonné à une manifestation de volonté explicite
La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’interprétation des conditions d’exercice du recours hiérarchique, une garantie jugée substantielle dont la méconnaissance peut entraîner la décharge de l’imposition.
A. Le rejet d’une saisine implicite du supérieur hiérarchique
La Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, opposable à l’administration, prévoit la possibilité pour le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur. La cour rappelle que cette garantie peut être exercée à deux moments : pendant le contrôle pour des difficultés de déroulement, et après la réponse aux observations en cas de désaccord sur le fond. C’est sur ce second point que portait le litige. La contribuable estimait que son courrier du 3 décembre 2019, demandant des « éclaircissements », constituait une demande de recours hiérarchique.
La cour rejette cette argumentation par une analyse stricte des faits. Elle relève que le courrier, bien que postérieur à la réponse de l’administration, ne contenait aucune des formules consacrées. La lettre « ne fait pas référence à ladite charte, ni aux termes de recours hiérarchique, ni à une demande d’entretien avec la supérieure hiérarchique du vérificateur ». L’emploi du mot « éclaircissements », pourtant présent dans la Charte, n’est pas jugé suffisant pour caractériser une volonté non équivoque de déclencher la garantie. La cour en déduit que l’administration n’a pas été valablement saisie et n’a donc pu priver la contribuable d’une garantie qu’elle n’avait pas formellement sollicitée.
B. Une lecture stricte protégeant la sécurité juridique
En exigeant une manifestation de volonté claire et non équivoque, la cour opte pour une solution qui renforce la sécurité juridique des procédures fiscales. Elle évite que de simples lettres de doléances ou de contestation, fréquentes après une proposition de rectification, soient systématiquement requalifiées en recours hiérarchiques. Une telle requalification imposerait à l’administration une vigilance constante et la tenue d’un entretien formel pour chaque contestation, sous peine de nullité de la procédure.
Cette décision place ainsi la charge de la clarté sur le contribuable et son conseil. Il ne suffit pas d’exprimer un désaccord ; il faut formellement demander l’application de la garantie prévue par la Charte. Cette exigence de formalisme, si elle peut paraître sévère, est le corollaire du caractère substantiel de la garantie. C’est parce que les conséquences de sa méconnaissance sont graves que son déclenchement doit être indubitable. L’arrêt rappelle ainsi que si le contribuable dispose de droits étendus, leur exercice demeure encadré par des exigences de forme destinées à assurer un déroulement clair et prévisible de la procédure de contrôle.