Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°23LY01322

L’exercice du droit au maintien des liens familiaux constitue un élément essentiel pour toute personne détenue, mais il n’est pas absolu et peut être restreint par l’autorité administrative. Par un arrêt en date du 13 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’exercice de ce droit et l’étendue du contrôle du juge sur les décisions de refus de permis de visite. En l’espèce, une personne avait sollicité un permis de visite pour un détenu, se présentant comme sa compagne. Le directeur du centre pénitentiaire a rejeté cette demande, une décision confirmée par sa hiérarchie puis par le tribunal administratif de Lyon. La requérante a alors interjeté appel devant la cour administrative d’appel, estimant notamment que le refus était insuffisamment motivé, portait atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale, et reposait sur une appréciation erronée des faits. Se posait dès lors la question de savoir à quelles conditions l’administration pénitentiaire peut légalement refuser d’accorder un permis de visite à une personne qui se prévaut d’un lien affectif avec un détenu. La cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête, considérant d’une part que la requérante n’a pas apporté la preuve de sa qualité de membre de la famille du détenu, et d’autre part que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que l’octroi du permis ferait obstacle à la réinsertion du condamné.

Il convient donc d’analyser la subordination du régime protecteur du droit de visite à la preuve d’un lien familial (I), avant d’examiner la confirmation de la marge d’appréciation de l’administration sous le contrôle restreint du juge (II).

***

I. La subordination du régime protecteur du droit de visite à la preuve d’un lien familial

La cour administrative d’appel applique une distinction rigoureuse entre les visiteurs membres de la famille et les autres personnes, ce qui conduit à une interprétation stricte de la notion de famille (A) et a pour conséquence de rendre inapplicable le régime le plus protecteur (B).

A. L’interprétation stricte de la notion de membre de la famille

Le droit pénitentiaire, notamment l’article 35 de la loi du 24 novembre 2009, établit deux régimes distincts pour les permis de visite, selon que le visiteur est un membre de la famille du détenu ou une autre personne. La cour rappelle que la charge de la preuve de ce lien familial incombe au demandeur du permis. En l’espèce, la requérante se présentait comme la compagne du détenu mais n’a pas réussi à convaincre les juges. La cour estime en effet qu’elle « ne l’établit pas en se bornant à produire des relevés de compte mentionnant des virements bancaires au profit de ce dernier, des attestations établies par eux-mêmes et deux attestations d’amis ». Cette approche démontre une exigence de la part du juge administratif, qui attend des preuves tangibles et objectives d’une vie commune stable et continue, au-delà de simples déclarations ou de flux financiers ponctuels. En l’absence de documents officiels tels qu’un pacte civil de solidarité ou un certificat de concubinage, la démonstration du lien devient particulièrement ardue. Le juge se montre ainsi peu enclin à reconnaître une relation de fait sur la base d’éléments qu’il juge insuffisants, confirmant que la protection renforcée accordée à la famille se mérite et ne se présume pas.

B. L’inapplicabilité du régime protecteur des visites familiales

Le défaut de reconnaissance de la qualité de membre de la famille emporte une conséquence juridique déterminante. La requérante ne peut plus bénéficier des dispositions les plus favorables de l’article 35 de la loi pénitentiaire. Ce texte dispose que l’administration ne peut refuser un permis de visite à un membre de la famille que « pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions ». Or, pour les autres personnes, un motif supplémentaire est prévu : le refus est possible « s’il apparaît que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné ». En jugeant que la requérante n’est « pas fondée à se prévaloir de la qualité de membre de la famille du détenu », la cour la place dans cette seconde catégorie. Par conséquent, l’argument tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est également écarté. L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale est jugée justifiée et proportionnée, dès lors que le lien familial n’est pas juridiquement établi et que l’administration peut se fonder sur un objectif légitime de réinsertion.

II. La confirmation de la marge d’appréciation de l’administration sous un contrôle restreint

Une fois la requérante qualifiée de « tierce personne », la cour valide le motif de refus retenu par l’administration (A) en n’exerçant qu’un contrôle limité sur l’appréciation des faits (B).

A. La validation du motif tiré du risque pour la réinsertion

L’administration pénitentiaire a fondé son refus sur les antécédents de la requérante, estimant qu’ils pourraient compromettre les efforts de réinsertion du détenu. La cour examine le dossier et relève que l’intéressée « a fait l’objet de citations pour vol et vol à l’étalage en 2019, violence avec usage ou menace d’une arme en 2012, menace de mort réitérée en 2012 et outrage » en 2011. L’arrêt valide le raisonnement de l’administration, en soulignant que même si les faits les plus graves sont anciens, la récurrence du comportement justifie la décision. Le directeur du centre pénitentiaire « a pu, eu égard au caractère récurent de son mauvais comportement, estimer que ces antécédents pourraient faire obstacle à la réinsertion » du détenu. Cette analyse montre que le comportement et le passé d’un visiteur potentiel sont considérés comme des éléments pertinents pour évaluer son influence sur le parcours d’un condamné. La finalité de la peine, qui inclut la préparation à la sortie et la prévention de la récidive, prime ainsi sur le souhait du détenu de recevoir des visites de personnes dont le profil est jugé problématique.

B. L’exercice d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation

En affirmant que le directeur « a pu […] estimer » que les visites feraient obstacle à la réinsertion, la cour administrative d’appel révèle la nature de son contrôle juridictionnel. Il ne s’agit pas pour le juge de se substituer à l’administration pour décider si, à sa place, il aurait accordé ou non le permis de visite. Le juge exerce ici un contrôle restreint, limité à la censure de l’erreur manifeste d’appréciation. Une telle erreur n’est constituée que si la décision de l’administration est à l’évidence inappropriée, disproportionnée ou fondée sur une appréciation grossièrement erronée des faits. En l’occurrence, compte tenu du passé de la requérante, la décision du directeur n’apparaît pas comme manifestement erronée. Cette solution confirme la large marge de manœuvre dont dispose le chef d’établissement pénitentiaire, en tant que garant de la sécurité et du bon déroulement de l’exécution des peines. Il lui appartient d’apprécier souverainement l’opportunité d’autoriser les visites de personnes extérieures à la famille, sous la seule censure d’une erreur flagrante.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture