Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°23LY01483

Par un arrêt en date du 13 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur la légalité d’une mesure de police administrative restreignant l’accès à de grands centres commerciaux dans le cadre de la gestion d’une crise sanitaire. En l’espèce, le préfet du Rhône avait, par un arrêté du 13 août 2021, subordonné l’accès à plusieurs hypermarchés à la présentation d’un passe sanitaire pour une durée d’environ un mois. Une société exploitant ces établissements a contesté cette décision. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande par un jugement du 3 mars 2023. La société requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que l’arrêté préfectoral était insuffisamment motivé, qu’il avait été pris sans examen particulier de la situation, qu’il reposait sur un décret illégal et, enfin, que la mesure portait une atteinte disproportionnée à plusieurs libertés fondamentales, dont la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’aller et venir. Il était ainsi demandé aux juges d’appel de déterminer si l’instauration d’un passe sanitaire pour accéder à des centres commerciaux d’une certaine superficie constituait une mesure de police administrative proportionnée à l’objectif de sauvegarde de la santé publique et respectueuse des libertés fondamentales. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant la mesure préfectorale justifiée, nécessaire et proportionnée au regard des circonstances sanitaires et des risques de contamination. Cette décision valide la légalité de l’action administrative en situation de crise (I), tout en procédant à une conciliation des intérêts en présence qui favorise la protection de la santé publique (II).

I. La légalité justifiée de la mesure de police sanitaire

La cour administrative d’appel confirme la validité de l’arrêté préfectoral en écartant d’abord les critiques portant sur sa régularité formelle (A), puis celles visant le fondement réglementaire sur lequel il s’appuie (B).

A. Le contrôle de la motivation de l’acte administratif

La société requérante soutenait que l’arrêté attaqué était insuffisamment motivé. La cour rejette ce moyen en vérifiant que la décision préfectorale comporte bien les éléments de droit et de fait qui la justifient. Elle relève que l’arrêté vise les dispositions législatives et réglementaires applicables et qu’il « fait état des taux importants d’incidence et de positivité à la Covid-19 relevés dans le Rhône la semaine précédant son adoption et la nécessité de prévenir les comportements de nature à favoriser les risques de contamination ». En considérant que ces éléments constituent une motivation suffisante au sens de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration, la cour adopte une approche pragmatique. Elle lie cette analyse à celle du moyen tiré du défaut d’examen, estimant que la motivation de l’acte témoigne par elle-même de ce que le préfet « a procédé à un examen particulier de la situation sanitaire dans le département ». Le juge administratif se refuse ainsi à dissocier la motivation formelle de l’acte de la réalité de l’examen auquel l’autorité administrative a procédé, simplifiant ainsi son contrôle sur ces deux aspects.

Au-delà de cette régularité formelle, la cour a également validé le cadre normatif sur lequel reposait la décision contestée.

B. La validation du fondement réglementaire de la mesure

La société requérante soulevait par voie d’exception l’illégalité du décret du 1er juin 2021, au motif que ses modalités de calcul de la surface des centres commerciaux assujettis au passe sanitaire étaient inadaptées. L’argumentation reposait sur l’idée que l’inclusion des bureaux et des réserves, zones non accessibles au public, dans le calcul du seuil de 20 000 mètres carrés, créait une distorsion. La cour écarte cette critique en clarifiant l’intention de l’auteur du décret. Elle juge que le pouvoir réglementaire a pu, sans commettre d’illégalité, « déterminer un type de lieu de vente par renvoi à la législation des établissements recevant du public, sans égard à la destination particulière de chacune des parties des locaux ». Ce faisant, le juge valide le choix d’une méthode de calcul globale et objective, fondée sur la qualification d’établissement recevant du public, pour identifier les lieux présentant un risque de contamination élevé en raison de leur taille et de leur capacité d’attraction. En rejetant l’exception d’illégalité, la cour conforte la base légale de l’action préfectorale et s’attache ensuite à l’examen de sa proportionnalité.

II. La recherche d’une conciliation proportionnée entre santé publique et libertés

Le cœur du raisonnement des juges d’appel réside dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure attentatoire aux libertés. Pour ce faire, la cour examine le caractère nécessaire et adapté de la restriction (A), avant de consacrer un équilibre qui, en l’espèce, s’avère favorable à l’impératif sanitaire (B).

A. L’appréciation concrète du caractère nécessaire et adapté de la restriction

La cour procède à une analyse factuelle pour répondre à l’argument selon lequel la mesure n’était ni nécessaire ni adaptée. Elle constate d’abord que la situation sanitaire dans le département justifiait une action, relevant un taux d’incidence « très élevé » et une « augmentation constante » des hospitalisations dans les semaines précédant l’arrêté. Ensuite, elle se prononce sur le risque de contamination spécifique aux grands centres commerciaux. S’appuyant sur les pièces du dossier, y compris une étude produite par la requérante elle-même, la cour affirme que « les centres commerciaux et hypermarchés constituent des lieux où le risque de contamination est élevé, notamment dans la mesure où y convergent des personnes provenant d’une zone de chalandise plus large que les commerces de proximité ». Cette appréciation factuelle permet au juge d’établir un lien de causalité direct entre les caractéristiques de ces établissements et la propagation du virus, justifiant ainsi l’adéquation de la mesure de police.

Cette adéquation de la mesure à son objectif étant établie, la cour s’est attachée à vérifier qu’elle ne portait pas une atteinte excessive aux libertés invoquées.

B. La consécration d’un équilibre en faveur de l’impératif sanitaire

Face aux multiples libertés invoquées, telles que la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre ou encore le principe d’égalité, la cour effectue un bilan des intérêts en présence. Elle juge que l’atteinte portée à ces libertés n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif de santé publique poursuivi. Son raisonnement repose sur plusieurs facteurs modérateurs : la durée limitée de la mesure à huit semaines, son champ d’application restreint à treize établissements dans le département, et la persistance d’une offre commerciale suffisante pour garantir « l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ». La mesure est ainsi jugée « nécessaire, adaptée et proportionnée », sans porter une « atteinte excessive » aux libertés. Enfin, la cour écarte le grief de rupture d’égalité en considérant que les commerces de proximité et les hypermarchés « n’étant pas placés dans la même situation au regard du risque de diffusion du virus », une différence de traitement était justifiée. Cet arrêt illustre la méthode du contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif, lequel accepte une restriction significative des libertés économiques et individuelles lorsque celle-ci est circonscrite dans le temps et dans l’espace, et justifiée par un impératif prépondérant de santé publique.

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Hassan KOHEN
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