Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°24LY00081

Par un arrêt en date du 13 février 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à une militaire au regard des modalités de publicité de l’acte réglementaire fondant l’obligation méconnue.

En l’espèce, une gendarme affectée dans une brigade de proximité a fait l’objet, le 4 janvier 2022, d’une sanction d’arrêt de dix jours avec dispense d’exécution pour avoir refusé de se soumettre à l’obligation de vaccination contre la COVID-19. La militaire a saisi le tribunal administratif de Lyon d’une demande tendant à l’annulation de cette décision. Par un jugement du 14 novembre 2023, sa demande a été rejetée. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la sanction était dépourvue de base légale. Elle faisait valoir que les instructions ministérielles instaurant l’obligation vaccinale n’avaient pas fait l’objet d’une publication régulière sur le site internet officiel prévu à cet effet à la date de la sanction, ce qui les rendait inopposables.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si la diffusion d’instructions à caractère réglementaire sur l’intranet d’un ministère constituait une formalité de publicité suffisante pour les rendre opposables à ses agents, alors même que le site internet dédié à leur publication officielle était inaccessible.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge d’abord que les instructions en cause, qui ajoutent une obligation vaccinale, présentent un caractère réglementaire et ne sont donc pas soumises au régime de publication des simples circulaires interprétatives. Elle considère ensuite que, eu égard à leur objet et à leurs destinataires, leur publication au Bulletin officiel des armées et la diffusion de ce dernier sur l’intranet du ministère constituaient des formalités de publicité adéquates au sens du code des relations entre le public et l’administration, les rendant ainsi applicables nonobstant le défaut de mise en ligne sur le site internet public.

La solution retenue par la cour repose sur une qualification préalable de la nature de l’acte fondant la sanction (I), laquelle conditionne l’appréciation des modalités de sa publicité (II).

I. La qualification réglementaire de l’instruction ministérielle, clef du régime de publicité applicable

La cour écarte le moyen de la requérante en distinguant la nature des actes en cause. Elle rejette ainsi l’application du régime de publicité propre aux circulaires non réglementaires (A) pour soumettre les instructions litigieuses au droit commun des actes réglementaires (B).

A. L’exclusion du régime de publication des circulaires interprétatives

La requérante invoquait le défaut de publication des instructions des 29 juillet et 7 décembre 2021 pour en contester l’opposabilité. Ce faisant, elle se référait implicitement au régime défini par les articles L. 312-2 et R. 312-7 du code des relations entre le public et l’administration, qui sanctionne le défaut de publication des circulaires et instructions interprétatives par leur abrogation réputée. Une telle sanction vise à garantir la transparence administrative et à lutter contre le droit occulte qui résulterait de l’application de textes non portés à la connaissance des administrés.

Toutefois, la cour écarte ce raisonnement en s’attachant à la substance des actes plutôt qu’à leur dénomination. Elle relève que les instructions en cause ne se bornaient pas à interpréter le droit existant ou à décrire des procédures. En effet, elles « ajoutent la vaccination contre la COVID-19 au calendrier vaccinal des armées et en fixe les modalités ». Par cette analyse, le juge administratif leur reconnaît un caractère normateur, créateur de droit, en ce qu’elles imposent une nouvelle obligation aux militaires. Cette démarche est classique en contentieux administratif, où le juge n’est jamais lié par la qualification formelle d’un acte.

Dès lors que ces instructions « présentent un caractère réglementaire », la cour conclut logiquement qu’elles ne peuvent relever du régime spécifique des circulaires non réglementaires. Par conséquent, la requérante « ne peut (…) utilement faire valoir que ces instructions ne seraient pas opposables faute d’avoir été publiées dans les conditions prévues au point 4 ci-dessus », c’est-à-dire celles des articles L. 312-2 et suivants du code des relations entre le public et l’administration.

B. L’assujettissement à l’exigence d’une publicité adéquate des actes réglementaires

En qualifiant les instructions d’actes réglementaires, la cour les soumet au principe général posé par l’article L. 221-2 du code des relations entre le public et l’administration. Selon ce texte, l’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de « formalités adéquates de publicité ». La notion de publicité adéquate est une notion fonctionnelle, dont le contenu n’est pas figé et doit être apprécié au cas par cas par le juge. L’objectif est de s’assurer que les personnes concernées par l’acte ont été raisonnablement mises en mesure d’en connaître l’existence et le contenu.

Cette requalification déplace le débat juridique. La question n’est plus de savoir si une formalité de publication précise et impérative a été respectée sous peine d’abrogation, mais si les mesures de publicité effectivement mises en œuvre peuvent être considérées comme « adéquates » pour assurer l’entrée en vigueur de l’acte. Cette analyse est moins formelle et davantage pragmatique, centrée sur l’effectivité de l’information des destinataires.

La cour devait donc ensuite vérifier si, en l’espèce, les modalités de diffusion des instructions avaient satisfait à cette exigence de publicité adéquate, nonobstant l’indisponibilité avérée du site internet normalement prévu pour la publication du Bulletin officiel des armées.

II. La consécration d’une publicité adaptée aux destinataires spécifiques de l’acte

La cour admet qu’une diffusion interne via l’intranet ministériel peut, dans certaines circonstances, constituer une publicité suffisante (A), une solution pragmatique dont la portée doit cependant être mesurée (B).

A. La validation de la diffusion sur l’intranet comme formalité de publicité suffisante

Pour rejeter l’argument de la requérante, la cour opère une analyse concrète des mesures de publicité entreprises. Elle constate d’abord que les instructions ont bien été publiées dans des éditions du Bulletin officiel des armées, conformément à l’arrêté du 16 juillet 2013. Le support de publication formellement prévu a donc bien été utilisé. La difficulté provenait de la diffusion de ce bulletin, le site internet public étant en maintenance. La cour relève cependant qu’« il est constant que ces bulletins officiels ont été immédiatement diffusés sur le site intranet du ministère des armées consultable par l’ensemble des fonctionnaires intéressés ».

C’est sur cette base que la cour forge sa solution. Elle estime que, « eu égard à l’objet de ces instructions, leur publication au sein du bulletin officiel des Armées et la diffusion de ce bulletin via l’intranet du ministère ont constitué, en l’espèce, des formalités adéquates de publicité ». Le raisonnement est finaliste : les instructions s’adressaient exclusivement aux militaires, une population circonscrite ayant accès et étant tenue de consulter les outils de communication interne de leur employeur. Dès lors que l’information leur était accessible par ce canal, l’objectif de publicité était atteint à leur égard. L’inaccessibilité pour le grand public devenait, dans cette perspective, inopérante pour contester l’opposabilité de l’acte à un agent du ministère.

B. La portée de la solution : entre pragmatisme et sécurité juridique

Cette décision témoigne d’une approche pragmatique du principe de publicité. Elle évite qu’un dysfonctionnement technique sur un canal de diffusion public ne paralyse l’action administrative et ne permette aux agents de se soustraire à leurs obligations alors qu’ils en ont été dûment informés par d’autres moyens. La solution apparaît ainsi conforme à l’équité et au bon sens, la requérante ne pouvant sérieusement prétendre avoir ignoré une obligation qui faisait l’objet d’une large communication au sein de son institution.

Néanmoins, cette solution pourrait soulever des interrogations au regard du principe de sécurité juridique et de la règle « nul n’est censé ignorer la loi ». Admettre qu’une publication sur un intranet, par nature fermé au public extérieur, puisse suffire à assurer l’entrée en vigueur d’un acte réglementaire pourrait être vu comme créant une forme de publicité à deux vitesses. Si elle se justifie pour des actes ne concernant que les agents d’un service, la frontière peut parfois être poreuse. Cette jurisprudence, qui s’inscrit probablement comme une décision d’espèce en raison de son contexte très particulier (domaine militaire, obligation vaccinale en temps de crise sanitaire), rappelle que la notion de « publicité adéquate » est appréciée in concreto par le juge, qui met en balance les garanties des administrés et les nécessités de l’action administrative.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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