Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°24LY00497

Par un arrêt en date du 13 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour au regard des liens personnels et familiaux développés sur le territoire national par des ressortissants étrangers.

En l’espèce, un couple de ressortissants algériens, entrés régulièrement en France en 2017 accompagnés de leurs deux enfants mineurs, ont vu naître leur troisième enfant sur le sol français en 2021. Après avoir fait l’objet de rejets de leurs demandes d’asile en 2018 et de plusieurs mesures d’éloignement non exécutées, ils ont sollicité en 2022 la délivrance de titres de séjour, arguant d’une intégration sociale et professionnelle. L’autorité préfectorale a opposé un refus à leurs demandes, assorti d’obligations de quitter le territoire français et d’une interdiction de retour. Saisi par les intéressés, le tribunal administratif de Lyon a confirmé ces décisions par des jugements du 30 janvier 2024. Les requérants ont alors interjeté appel, soutenant que les décisions préfectorales portaient une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, méconnaissaient l’intérêt supérieur de leurs enfants et étaient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.

Se posait ainsi à la cour administrative d’appel la question de savoir si une intégration familiale, sociale et professionnelle établie sur plusieurs années pouvait primer sur la situation administrative irrégulière et persistante des intéressés pour faire obstacle à un refus de séjour.

La cour a répondu par la négative, considérant que le préfet n’avait pas commis d’erreur d’appréciation ni porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants. Elle juge que les éléments d’intégration ne suffisent pas à contrebalancer la circonstance que leur séjour s’est maintenu en méconnaissance de précédentes décisions administratives et judiciaires. La décision de la cour illustre ainsi la méthode du bilan appliquée de manière rigoureuse en matière de police des étrangers, où les impératifs d’ordre public sont mis en balance avec la situation personnelle des individus (I), tout en révélant une appréciation restrictive des critères d’intégration et de l’intérêt supérieur de l’enfant (II).

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**I. La confirmation d’un contrôle de proportionnalité rigoureux**

La cour administrative d’appel opère une balance entre les intérêts en présence, en faisant prévaloir les manquements des administrés aux règles du séjour sur leur ancrage en France. Cette démarche conduit à une validation du refus de titre de séjour, en minimisant la portée des éléments d’intégration avancés par les requérants.

A. La prévalence de l’irrégularité du séjour sur les liens familiaux et personnels

Le juge administratif rappelle et donne un poids déterminant au parcours administratif des requérants, marqué par un maintien sur le territoire en dépit de décisions d’éloignement antérieures. L’arrêt souligne que les intéressés « ont fait l’objet de décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français le 3 avril 2019, décisions qu’ils n’ont pas exécutées ». De plus, il est relevé qu’une des requérantes n’a pas déféré à une mesure d’éloignement dont la légalité avait été « confirmée par un jugement du tribunal administratif de Lyon du 23 juin 2020 puis par une ordonnance du président de la cour administrative de Lyon du 8 mars 2021 ». Ces éléments factuels constituent le pivot du raisonnement du juge, qui y voit une manifestation d’une volonté de se soustraire à l’application de la loi. Dans le bilan qu’il effectue, le juge estime que cette circonstance pèse lourdement en faveur de la légalité de la mesure de refus de séjour. La durée de présence de six ans et la composition de la cellule familiale ne suffisent pas, dans ce contexte, à rendre le refus de séjour disproportionné.

B. La relativisation de l’intégration sociale et scolaire

Face à ces manquements, les preuves d’intégration fournies par la famille sont jugées insuffisantes par la cour. L’insertion professionnelle des deux parents, pourtant attestée par des contrats de travail à durée indéterminée, est qualifiée de manière restrictive. L’arrêt considère en effet que « ces éléments ne sont pas de nature à démontrer, à la date des décisions litigieuses, une insertion professionnelle stable et durable sur le territoire français ». Cette appréciation peut surprendre s’agissant de contrats permanents, mais elle s’inscrit dans la logique d’une mise en balance globale où l’irrégularité du séjour fragilise la portée de tous les autres critères. De même, la scolarisation continue des deux enfants aînés depuis plusieurs années est neutralisée par la considération qu’« aucun élément du dossier n’est de nature à établir qu’ils ne pourraient poursuivre leur scolarité et leurs activités sportives en Algérie ». La cour considère ainsi que la continuité de la vie des enfants n’est pas irrémédiablement compromise par un retour dans le pays d’origine, ce qui affaiblit l’argument tiré de l’atteinte à leur vie privée et familiale.

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La solution, si elle s’inscrit dans une jurisprudence constante, n’en interroge pas moins sur la portée laissée à l’appréciation des situations individuelles par le juge administratif. La lecture stricte des critères d’intégration et de l’intérêt de l’enfant révèle les limites du contrôle exercé sur les décisions préfectorales.

**II. Une portée limitée de l’appréciation des situations individuelles**

En retenant une interprétation restrictive des critères d’intégration et en subordonnant l’intérêt des enfants à la politique migratoire, la cour réduit considérablement la marge d’appréciation en faveur des étrangers en situation irrégulière, même anciennement établis.

A. Une conception exigeante de la stabilité de l’insertion professionnelle

L’arrêt retient une définition particulièrement stricte de l’insertion professionnelle en jugeant que des contrats à durée indéterminée occupés depuis plusieurs années pour l’un des conjoints ne caractérisent pas une situation « stable et durable ». Cette approche établit un standard d’intégration très élevé pour les personnes en situation irrégulière, suggérant que la nature juridique du contrat de travail est insuffisante si elle n’est pas corroborée par d’autres éléments que la cour ne précise pas. Une telle lecture peut être vue comme une façon de décourager la régularisation par le travail lorsque le séjour initial est marqué par le non-respect des obligations de quitter le territoire. Elle témoigne d’une certaine sévérité dans l’appréciation de la valeur et de la signification de l’effort d’intégration professionnelle, lequel est ici considéré comme secondaire face à l’historique administratif des demandeurs.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant subordonné aux objectifs de la police des étrangers

L’application de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant est également illustrative de la démarche de la cour. Le juge évacue le moyen tiré de la méconnaissance de l’intérêt supérieur des enfants par une formule lapidaire, considérant que la simple possibilité matérielle de poursuivre une scolarité dans le pays d’origine suffit à écarter toute atteinte. L’arrêt affirme qu’il n’est pas établi que les enfants « ne pourraient poursuivre leur scolarité ». Or, cette approche purement formelle omet de prendre en compte les conséquences concrètes d’un tel changement sur le développement et l’équilibre d’enfants longuement scolarisés en France, dont l’un est né sur le territoire. L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que qualifié de « considération primordiale » par la convention, apparaît en pratique comme un élément parmi d’autres dans le bilan opéré par le juge, et se trouve subordonné à la cohérence de la politique de maîtrise des flux migratoires, objectif qui demeure central dans le raisonnement de la cour.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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