Cour d’appel administrative de Lyon, le 13 février 2025, n°24LY00641

Par un arrêt en date du 13 février 2025, la cour administrative d’appel de Lyon s’est prononcée sur l’engagement de la responsabilité de l’État à la suite d’une mesure de police administrative prise dans le contexte de la crise sanitaire de la Covid-19. En l’espèce, une association organisant un accueil collectif de mineurs a fait l’objet d’un arrêté préfectoral ordonnant l’interruption du séjour après la détection d’un cas de contamination parmi les enfants accueillis. L’association, estimant subir un préjudice financier important du fait de cette fermeture, a saisi la justice administrative afin d’obtenir réparation. Le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande par un jugement du 5 janvier 2024, conduisant l’association à interjeter appel. Devant la cour, l’appelante soutenait que la responsabilité de l’État était engagée, d’une part, pour faute, en raison des illégalités entachant l’arrêté préfectoral et, d’autre part, sans faute, sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si la fermeture d’un établissement d’accueil de mineurs, décidée en urgence pour des motifs sanitaires liés à une pandémie, pouvait ouvrir droit à indemnisation au profit de l’exploitant. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que ni la responsabilité pour faute, ni la responsabilité sans faute de l’État ne pouvaient être retenues, la mesure de police étant justifiée et le préjudice ne présentant pas les caractères requis pour être indemnisé sur le terrain de l’égalité devant les charges publiques.

La décision de la cour administrative d’appel confirme le bien-fondé de la mesure de police administrative en écartant toute faute de l’État (I), tout en refusant de reconnaître l’existence d’un préjudice anormal et spécial susceptible d’engager sa responsabilité sans faute (II).

I. Le rejet de la responsabilité pour faute fondé sur la légalité de la mesure de police sanitaire

La cour examine d’abord la légalité de l’acte administratif contesté pour conclure à son caractère justifié et proportionné (A), ce qui la conduit à écarter l’existence d’un lien de causalité entre les vices de procédure allégués et le dommage subi par l’association (B).

A. La justification de la mesure de fermeture au regard du contexte sanitaire

L’association requérante mettait en cause la légalité de l’arrêté préfectoral, le jugeant disproportionné et inadapté. La cour administrative d’appel procède à une analyse concrète des circonstances de l’espèce pour valider la décision de l’administration. Elle rappelle que la mesure a été prise sur le fondement de l’article L. 227-11 du code de l’action sociale et des familles, qui autorise le représentant de l’État à interrompre un accueil de mineurs en cas de risque pour leur santé. Le juge prend soin de contextualiser les faits, se situant à l’été 2020, période durant laquelle le risque pandémique demeurait élevé en l’absence de solutions thérapeutiques éprouvées. La découverte d’un cas positif au sein d’une collectivité de près de soixante personnes constituait un risque sanitaire majeur. La cour estime ainsi que la décision de fermeture, visant à prévenir la formation d’un foyer épidémique, n’était pas seulement fondée en son principe, mais également mesurée dans son exécution. Elle souligne que « eu égard en l’espèce à la gravité particulière des conséquences attachées à la date des faits à une contamination par le virus de la Covid-19, ainsi qu’aux risques spéciaux de dissémination liés à la constitution d’un « cluster » (…), cette solution sanitaire de fermeture de l’accueil, dont la justification n’est pas contestée, apparait également adaptée et proportionnée ». Cette motivation met en lumière le contrôle de proportionnalité exercé par le juge, qui conclut au caractère adéquat de la réponse administrative face à la menace sanitaire.

B. L’indifférence des vices de procédure en l’absence de lien de causalité avec le préjudice

L’association invoquait également des vices de forme et de procédure, tenant à un défaut de motivation et à l’absence de procédure contradictoire préalable. La cour écarte ces moyens en appliquant une jurisprudence constante relative au lien de causalité en matière de responsabilité pour faute. Elle considère que, même à supposer ces illégalités établies, elles seraient sans incidence sur le droit à réparation de la requérante. En effet, le préjudice de cette dernière ne découle pas d’un vice formel, mais de la décision de fermeture elle-même. Or, le juge ayant établi le bien-fondé de cette mesure au fond, il en déduit que l’administration, même en respectant scrupuleusement la procédure, aurait pris une décision identique. Le lien de causalité entre la faute procédurale et le dommage est ainsi rompu. Le juge affirme que « si l’association requérante se prévaut d’un défaut de motivation et d’une absence de procédure contradictoire, ces vices de forme et de procédure, qui n’affectent pas la justification de la mesure, ne peuvent être regardés en l’espèce comme la cause des dommages invoqués ». À titre surabondant, la cour ajoute que la décision était suffisamment motivée et que l’urgence sanitaire justifiait l’aménagement de la procédure contradictoire, qui s’est traduite par de nombreux échanges informels.

Après avoir écarté la responsabilité pour faute, la cour examine le second fondement invoqué par l’association requérante.

II. L’exclusion de la responsabilité sans faute en raison de l’absence d’un préjudice anormal et spécial

Le juge administratif se penche sur la possibilité d’indemniser l’association sur le terrain de la rupture d’égalité devant les charges publiques. Il en écarte l’application en constatant que le préjudice invoqué ne revêt ni un caractère spécial (A), ni un caractère anormal (B).

A. Le caractère non spécial du préjudice dans le cadre d’une crise pandémique généralisée

Pour qu’un préjudice né d’une mesure de police administrative soit indemnisable, il doit présenter un caractère spécial, c’est-à-dire ne toucher qu’un nombre restreint de personnes. La cour estime que cette condition n’est pas remplie en l’espèce. Elle inscrit la mesure de fermeture dans le contexte global de la pandémie de Covid-19, qui a affecté l’ensemble des secteurs d’activité économique et la population dans sa quasi-totalité. Les restrictions sanitaires étaient générales et la situation de l’association, bien que résultant d’un arrêté individuel, s’insérait dans une problématique commune à de très nombreux acteurs. Le juge retient que « la circonstance que l’activité de l’association ait été touchée par un cas de contamination ayant entrainé l’interruption d’un accueil ne peut être regardée, au regard du nombre d’organismes ayant été affectés dans un contexte identique, comme ayant entrainé un préjudice spécial pour l’association ». En refusant de reconnaître le caractère spécial du dommage, la cour évite de faire peser sur la collectivité la charge de réparer des préjudices sectoriels découlant d’une crise d’ampleur nationale, voire mondiale.

B. Le caractère non anormal du préjudice face à un risque prévisible

Outre son caractère spécial, le préjudice doit également être anormal, c’est-à-dire qu’il doit excéder les aléas que tout opérateur économique doit normalement supporter. Sur ce point, la cour développe un raisonnement fondé sur la prévisibilité du risque. Elle observe que l’association a organisé son activité à l’été 2020, alors que le contexte épidémique était connu de tous. Par conséquent, le risque de devoir faire face à une contamination et à une éventuelle fermeture administrative faisait partie des aléas inhérents à son activité dans de telles circonstances. Cet événement ne pouvait donc être considéré comme imprévisible ou excédant les contraintes normales de la période. Le juge note que « le risque de contamination qui s’est réalisé devait nécessairement être intégré dans ses prévisions et ne peut donc être regardé comme ayant présenté en l’espèce un caractère anormal ». En qualifiant ainsi le risque de prévisible, la cour considère que l’organisateur en a accepté les conséquences potentielles en maintenant son activité, ce qui fait obstacle à la reconnaissance d’un préjudice anormal engageant la responsabilité sans faute de l’État.

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Hassan KOHEN
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