Par un arrêt en date du 13 juin 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les modalités de calcul et de recouvrement de la redevance pour pollution de l’eau d’origine non domestique. Une société coopérative agricole s’est vue réclamer par l’agence de l’eau compétente le paiement d’une redevance calculée sur la base d’éléments divergeant de ceux qu’elle avait initialement déclarés. Après le rejet de sa réclamation préalable, la société a saisi le tribunal administratif de Lyon. Celui-ci lui a donné raison en la déchargeant de la somme due, au motif que l’agence avait procédé à une rectification des bases d’imposition sans respecter la procédure contradictoire prévue par le code de l’environnement, privant ainsi la redevable d’une garantie substantielle. Saisie par l’agence de l’eau, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la nature de l’intervention de l’administration et sur la légalité du titre de recettes émis. La question soumise au juge administratif était double : il s’agissait, d’une part, de déterminer si le calcul de la redevance par l’agence, en utilisant des données différentes de celles déclarées par l’assujetti, constituait une procédure de rectification soumise au principe du contradictoire ; d’autre part, il convenait d’apprécier la légalité d’un titre de recettes dont les bases de calcul étaient opaques et fondées sur des dispositions réglementaires inapplicables à l’espèce. La cour a jugé que l’administration n’avait pas mis en œuvre une procédure de rectification mais s’était bornée à déterminer l’imposition primitive, écartant ainsi l’exigence d’une procédure contradictoire préalable. Toutefois, statuant par l’effet dévolutif de l’appel, elle a annulé le titre de recettes pour un double motif de fond : d’une part, une motivation insuffisante ne permettant pas à la société de comprendre les modalités de calcul de la somme réclamée, et d’autre part, une erreur de droit dans l’application des textes réglementaires servant de base à ce calcul.
L’analyse de la cour distingue nettement la question de la procédure de contrôle de celle de la validité intrinsèque de l’acte de recouvrement. En premier lieu, elle valide l’approche de l’administration quant à la nature de son intervention, la qualifiant de simple calcul et non de rectification, ce qui écarte l’application de certaines garanties procédurales (I). En second lieu, et de manière décisive, elle censure le titre de recettes en se fondant sur le non-respect d’autres garanties fondamentales tenant à la motivation de l’acte et à la correcte application de la loi (II).
I. La légitimation de la méthode de calcul de l’imposition primitive
La cour administrative d’appel, réformant le jugement de première instance, a d’abord considéré que la démarche de l’agence de l’eau ne relevait pas d’une procédure de contrôle nécessitant un débat contradictoire, mais de l’exercice normal de sa compétence de liquidation de la redevance (A). Cette position l’a ensuite conduite, en vertu de l’effet dévolutif de l’appel, à examiner les autres moyens soulevés par la société redevable (B).
A. L’exclusion de la procédure contradictoire de rectification
Le tribunal administratif avait déchargé la société du paiement de la redevance en retenant que l’agence de l’eau, en substituant ses propres données à celles déclarées, avait engagé une procédure de rectification sans en respecter le caractère contradictoire. La cour d’appel censure ce raisonnement. Elle estime que l’administration n’a pas corrigé une « insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des redevances », ce qui aurait déclenché l’obligation de dialogue prévue à l’article L. 213-11-3 du code de l’environnement. Au contraire, elle considère que l’agence « a uniquement déterminé les impositions primitives dues par la société ».
Ce faisant, la cour opère une distinction fondamentale entre la rectification d’une déclaration, qui suppose une mise en demeure préalable et un échange avec le contribuable, et la détermination initiale de l’impôt, qui relève de la prérogative de l’administration. En l’espèce, le fait de retenir une « grandeur caractéristique » différente de celle déclarée ou d’appliquer un coefficient spécifique pour calculer la pollution évitée ne constituait pas une rectification mais le simple exercice du pouvoir de liquidation de la créance publique. L’absence de procédure contradictoire sur ce point n’était donc pas, selon les juges d’appel, une irrégularité de nature à vicier la procédure.
B. L’examen des moyens de fond par l’effet dévolutif de l’appel
Ayant écarté le motif d’annulation retenu par les premiers juges, la cour n’en a pas pour autant rejeté la demande de la société. L’effet dévolutif de l’appel lui impose en effet de statuer sur l’ensemble du litige et d’examiner les autres arguments soulevés par les parties en première instance et en appel. La société redevable avait, à titre subsidiaire, contesté la légalité du titre de recettes sur plusieurs autres points, notamment son absence de motivation et l’erreur de droit entachant le calcul de la redevance.
C’est donc sur ce terrain que le litige s’est déplacé. La cour, après avoir validé la procédure suivie par l’agence de l’eau sur le plan formel du contradictoire, s’est attachée à contrôler la légalité interne de la décision de taxation. Cette démarche illustre la plénitude de la compétence du juge de l’impôt, qui ne se limite pas à vérifier le respect des garanties procédurales mais examine également le bien-fondé de la créance publique, tant dans sa forme que dans son fondement juridique et son calcul. La cour a ainsi transformé le cadre du débat, passant d’un contrôle de procédure à un contrôle de la substance même de l’acte administratif.
II. La sanction de l’illégalité substantielle du titre de recettes
Si la procédure de calcul a été jugée régulière, le titre de recettes a en revanche été invalidé au regard de deux principes essentiels du droit fiscal et administratif. La cour a d’abord sanctionné le défaut de motivation de l’acte, qui ne permettait pas à la redevable de comprendre sa dette (A). Elle a ensuite relevé une erreur de droit manifeste dans l’application des règlements techniques, viciant la base même de l’imposition (B).
A. La censure d’une motivation insuffisante du titre exécutoire
La cour rappelle qu’en vertu des règles de la comptabilité publique, un titre de perception doit indiquer les bases et les éléments de calcul de la créance qu’il vise à recouvrer. Cette exigence de motivation permet au débiteur de vérifier le bien-fondé de la somme réclamée et, le cas échéant, de la contester utilement. Or, en l’espèce, le titre de recettes était particulièrement laconique. Bien qu’il présentât des tableaux récapitulatifs, il « ne mentionne aucun texte » et « ne donne aucune précision sur les modalités de calcul tant de la grandeur caractéristique retenue (…) que du coefficient de récupération évalué à 0,78 ».
L’opacité du document était telle que la société n’était pas en mesure de comprendre comment l’agence avait déterminé le montant de la redevance. La cour souligne que les explications nécessaires ont été fournies pour la première fois en appel, ce qui est tardif. Elle en conclut que la redevable « n’a pas été régulièrement informée des bases et éléments de calcul des sommes dont il lui était demandé le règlement ». Cette carence constitue une violation des droits du contribuable et justifie à elle seule l’annulation du titre. La solution réaffirme avec force que la transparence des calculs est une garantie fondamentale.
B. La condamnation d’une application erronée de la réglementation technique
Au-delà du défaut de motivation, la cour relève une illégalité de fond, tenant à une application incorrecte des textes réglementaires. Pour calculer la « pollution évitée », l’agence de l’eau a appliqué un « coefficient de récupération » spécifique. Or, la cour constate que ce coefficient, prévu par l’arrêté du 21 décembre 2007, ne s’applique qu’en cas d’épandage d’effluents sur des terres agricoles. En l’espèce, la société disposait de « bassins d’évaporation », un dispositif de dépollution relevant d’une autre catégorie pour laquelle l’application d’un tel coefficient n’est pas prévue.
L’administration a donc commis une erreur de droit en appliquant à une situation donnée une règle qui lui était étrangère. La cour souligne que l’agence « a méconnu les dispositions du I de l’article R. 213-48-9 du code précité ce qui implique la décharge de la somme mise à sa charge ». Cette censure témoigne du contrôle rigoureux exercé par le juge administratif sur l’interprétation et l’application des réglementations, y compris les plus techniques. Elle rappelle aux autorités administratives qu’elles sont tenues par le principe de légalité et ne peuvent se prévaloir de coefficients ou de méthodes de calcul qui ne sont pas expressément prévus par les textes applicables à la situation de l’assujetti.