Par un arrêt en date du 13 juin 2025, la cour administrative d’appel de Lyon a tranché un litige relatif au calcul de la redevance pour pollution de l’eau d’origine non domestique. En l’espèce, une société coopérative agricole s’est vu réclamer par une agence de l’eau le paiement d’une redevance pour l’année 2019, calculée sur des bases différentes de celles qu’elle avait déclarées. La société a obtenu la décharge de cette somme devant le tribunal administratif de Lyon, qui a jugé la procédure d’imposition irrégulière au motif que l’agence n’avait pas respecté la procédure contradictoire prévue en cas de rectification. Saisie d’un appel formé par l’agence de l’eau, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la nature de l’intervention de l’agence et sur les garanties qui en découlent pour le redevable. La question de droit soulevée était double : d’une part, la modification par l’agence des données déclarées par un redevable pour calculer une redevance constitue-t-elle une rectification soumise à une procédure contradictoire obligatoire ? D’autre part, un titre de recettes est-il légal s’il n’expose pas précisément les modalités de calcul retenues, et si ces modalités reposent sur des coefficients non prévus par la réglementation applicable au dispositif de l’entreprise ? La cour administrative d’appel de Lyon rejette la requête de l’agence. Elle estime que l’administration n’a pas procédé à une rectification mais à un calcul initial, écartant ainsi l’obligation de suivre la procédure contradictoire. Cependant, par l’effet dévolutif de l’appel, elle substitue son propre motif et annule le titre de recettes, considérant qu’il est insuffisamment motivé et qu’il applique à tort des dispositions réglementaires.
I. Une requalification de l’intervention administrative écartant la garantie d’une procédure contradictoire
La cour, pour rejeter le raisonnement des premiers juges, a d’abord précisé la nature de l’action de l’agence de l’eau (A), ce qui l’a conduite à écarter l’application d’une procédure de contrôle spécifique (B).
A. La distinction entre calcul primitif et rectification de la déclaration
Le tribunal administratif avait considéré que l’agence de l’eau, en substituant ses propres données à celles de la coopérative, avait procédé à une rectification. Une telle opération impose, en application de l’article L. 213-11-3 du code de l’environnement, l’engagement d’une procédure contradictoire afin de permettre au contribuable de présenter ses observations. La juridiction d’appel écarte ce raisonnement en opérant une distinction subtile entre une rectification et une simple détermination de l’assiette. Elle juge que l’agence n’a pas corrigé une déclaration jugée inexacte, mais qu’elle a directement établi l’imposition en appliquant les dispositions légales relatives au calcul de la redevance. La cour relève que l’administration « s’est bornée à procéder au calcul de la redevance due ». En utilisant une grandeur caractéristique et des coefficients de pollution différents de ceux avancés par la société, l’agence n’a pas initié une procédure de contrôle mais a simplement exercé sa compétence d’établissement de l’impôt.
B. La neutralisation de la garantie procédurale attachée au contrôle
Cette requalification emporte une conséquence juridique majeure pour le redevable. En jugeant que l’intervention de l’agence ne constituait pas une rectification au sens de la loi, la cour administrative d’appel en déduit logiquement que la procédure contradictoire n’avait pas à être mise en œuvre. La société ne pouvait donc utilement se prévaloir d’avoir été privée de la garantie consistant à pouvoir échanger avec l’administration avant l’émission du titre de recettes. La cour affirme ainsi que « c’est à tort que le tribunal a estimé que la SCA Les Vignerons Montagnac-Domitienne a été privée de la garantie qui s’attache à la procédure contradictoire de contrôle prévue par ces dispositions ». Cette solution, tout en étant rigoureuse sur le plan juridique, restreint le champ des garanties procédurales lorsque l’administration ne qualifie pas elle-même son action de « rectification ». Toutefois, l’affaire n’est pas close, car la cour examine ensuite, par l’effet dévolutif de l’appel, les autres moyens soulevés par la société.
II. La censure du titre de recettes fondée sur des vices de fond
La cour administrative d’appel, si elle écarte le vice de procédure, confirme néanmoins la décharge de l’imposition en retenant deux illégalités substantielles : un défaut de motivation du titre exécutoire (A) et une erreur de droit dans l’application des textes réglementaires (B).
A. La sanction d’une motivation insuffisante du titre de recettes
Le droit administratif fiscal impose que tout acte de recouvrement permette au débiteur de comprendre les fondements et le détail du calcul de la somme réclamée. En l’espèce, la cour constate que le titre de recettes, bien que présentant des tableaux récapitulatifs, restait lacunaire. Elle souligne qu’il « ne mentionne aucun texte » et « ne donne aucune précision sur les modalités de calcul tant de la grandeur caractéristique retenue (…) que du coefficient de récupération évalué à 0,689 ». L’agence de l’eau n’ayant communiqué les justifications de son calcul que pour la première fois en appel, le redevable n’a pas été en mesure de contester utilement le montant dû. La cour conclut que l’intimée « n’a pas été régulièrement informée des bases et éléments de calcul des sommes dont il lui était demandé le règlement ». Ce manquement constitue une violation des droits du contribuable et justifie à lui seul l’annulation du titre.
B. La censure de l’application d’un coefficient de calcul erroné
Au-delà de ce défaut de motivation, la cour relève une erreur de droit manifeste. L’agence a appliqué un « coefficient de récupération » pour calculer la pollution évitée par les installations de la coopérative. Or, la cour observe que ce coefficient n’est prévu par l’arrêté du 21 décembre 2007 que pour les épandages sur terres agricoles. La société, elle, disposait de bassins d’évaporation, lesquels relèvent d’une autre catégorie, celle des « autres dispositifs de dépollution mis en œuvre ». Pour ces derniers, le texte réglementaire ne prévoit pas l’application d’un tel coefficient de récupération. En appliquant une méthode de calcul réservée à une autre situation technique, l’agence a méconnu les dispositions réglementaires applicables. La cour en conclut que l’intimée est « également fondée à soutenir que l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse a méconnu les dispositions du I de l’article R. 213-48-9 du code précité ce qui implique la décharge de la somme mise à sa charge ». Cette seconde illégalité, portant sur le fondement même du calcul, confirme de manière définitive le bien-fondé de la décharge accordée à la société.