Par un arrêt en date du 14 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions d’application du maintien des avantages collectivement acquis au sein de la fonction publique territoriale. En l’espèce, un agent non titulaire exerçant les fonctions d’assistant familial pour le compte d’un département avait sollicité le versement d’une prime annuelle au titre des années 2018 à 2021. Face au silence gardé par l’administration, valant décision implicite de rejet, l’agent a saisi la juridiction administrative. Le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 6 février 2024, a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la collectivité à lui verser la somme réclamée. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, arguant notamment que le refus qui lui était opposé méconnaissait une délibération instituant ladite prime et portait atteinte au principe d’égalité de traitement entre les agents de la collectivité. Se posait ainsi à la cour la question de savoir si un agent public pouvait revendiquer le bénéfice d’une prime au titre d’un avantage collectivement acquis, en l’absence de preuve formelle de l’institution de cette prime antérieurement au 28 janvier 1984, date d’entrée en vigueur de la loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. La Cour administrative d’appel de Lyon répond par la négative, considérant que la charge de la preuve de l’antériorité de l’avantage pèse sur l’agent qui s’en prévaut. Elle juge que, faute de pouvoir établir que la prime a été instituée avant la date butoir fixée par la loi, celle-ci ne peut être considérée comme un avantage collectivement acquis maintenu en application des dispositions dérogatoires. La solution retenue par la cour, si elle s’inscrit dans une logique de stricte application des textes (I), conduit à écarter pragmatiquement les arguments fondés sur l’égalité de traitement et la pratique administrative (II).
I. La confirmation d’une application stricte du régime dérogatoire des avantages acquis
La décision de la cour administrative d’appel s’articule autour d’une interprétation rigoureuse des dispositions permettant le maintien des compléments de rémunération antérieurs à la réforme de la fonction publique territoriale. Elle réaffirme ainsi l’exigence d’une création de la prime antérieure à la loi de 1984 (A) et fait peser sur l’agent un fardeau probatoire déterminant (B).
**A. L’exigence réaffirmée d’une institution de la prime antérieure à la loi de 1984**
La cour fonde son raisonnement sur les dispositions de l’article 111 de la loi du 26 janvier 1984, aujourd’hui reprises à l’article L. 714-11 du code général de la fonction publique. Ce texte organise un régime dérogatoire au principe de parité, selon lequel les régimes indemnitaires des collectivités territoriales ne peuvent excéder ceux des services de l’État. Il autorise le maintien des « avantages collectivement acquis ayant le caractère de complément de rémunération » mis en place avant le 28 janvier 1984. La juridiction d’appel en déduit logiquement que la condition d’antériorité est un critère dirimant pour qu’un avantage puisse être légalement maintenu. Elle énonce clairement qu’« il résulte de ces dispositions que seules les primes et indemnités existant antérieurement à la promulgation de la loi du 26 janvier 1984 sont considérées comme des droits acquis ». L’analyse des juges se concentre alors sur la date de création de l’avantage revendiqué par l’agent. Ils constatent que la délibération de 1985, bien que visant des « rémunérations servies antérieurement », ne suffit pas à elle seule à prouver l’existence de la prime avant la date légale de référence, confirmant ainsi une lecture stricte de la condition d’antériorité.
**B. La charge de la preuve, un obstacle déterminant pour l’agent**
En conséquence directe de cette exigence, la question de la preuve devient centrale. La cour administrative d’appel confirme la position des premiers juges en faisant peser la charge de la preuve de l’antériorité sur le demandeur. L’agent soutenait que le département n’avait pas contesté le fondement de la prime, malgré des recherches infructueuses dans ses propres archives. La cour balaye cet argument en jugeant que « cette circonstance est sans influence sur l’impossibilité de déterminer la date à laquelle cet avantage collectif a été ouvert ». Cette approche place l’agent dans une situation probatoire difficile, voire impossible, lorsque les archives administratives sont lacunaires ou inaccessibles. En l’absence d’un acte formel antérieur à 1984, la simple mention d’une pratique passée dans une délibération postérieure est jugée insuffisante pour établir le droit. La prime, faute de pouvoir être rattachée à une décision formelle et datée d’avant l’entrée en vigueur de la loi, ne peut donc pas être qualifiée d’avantage collectivement acquis, fermant ainsi la porte à la réclamation de l’agent.
II. La portée limitée des pratiques administratives et du principe d’égalité
La cour administrative d’appel, après avoir écarté la demande sur le fondement principal de l’absence de preuve d’un avantage acquis, rejette également les moyens subsidiaires de l’agent. Elle démontre ainsi que ni les délibérations postérieures (A) ni le principe d’égalité (B) ne peuvent venir pallier le défaut de fondement légal de la prime.
**A. L’inefficacité des délibérations postérieures et de la pratique de versement**
L’appelant invoquait une délibération de 2004 qui viserait « tous les agents du conseil général » comme bénéficiaires de la prime. Cependant, la cour juge cette circonstance « sans incidence », car une délibération postérieure à 1984 ne peut légaliser rétroactivement un avantage qui ne remplissait pas la condition d’antériorité requise par la loi. De surcroît, les juges précisent que le relèvement du montant de la prime par des décisions ultérieures « ne présente pas davantage le caractère d’un avantage indemnitaire collectivement acquis ». Cette position est rigoureuse : un avantage illégal à son origine ne peut être validé par sa simple reconduction ou revalorisation au fil du temps. La pratique administrative, même constante, ne peut donc se substituer au respect des conditions textuelles posées par le législateur pour le maintien des droits acquis. La sécurité juridique et le principe de légalité prévalent sur les habitudes prises au sein d’une collectivité.
**B. L’éviction du principe d’égalité comme fondement d’un droit à la prime**
Enfin, la cour examine le moyen tiré de la rupture du principe d’égalité de traitement, l’agent soutenant que les assistants familiaux étaient les seuls agents du département à ne pas bénéficier de cette prime. La réponse de la juridiction est aussi classique que ferme. Elle rappelle, en des termes lapidaires, que le principe d’égalité « ne peut justifier l’octroi d’un avantage indu ». Autrement dit, un agent ne peut se prévaloir du fait que d’autres agents bénéficient illégalement d’un avantage pour en réclamer à son tour le bénéfice. Le principe d’égalité ne s’applique qu’entre personnes placées dans une situation juridique identique, et ne saurait être invoqué pour étendre le bénéfice d’une illégalité. Cette solution, constante en jurisprudence administrative, empêche que le principe d’égalité ne devienne un instrument de propagation de situations contraires au droit. La cour confirme ainsi que la légalité d’un avantage doit être établie en soi, indépendamment du traitement réservé aux autres agents de la même collectivité.